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Interview

Elections : « Les plus pauvres ne votent pas pour le PJD », selon David Goeury [Interview] 1/2

Hier, une manifestation anti-PJD a été organisée à Casablanca. Au-delà du débat sur l’intention réelle des manifestants, David Goeury, chercheur au Centre Jacques Berque à Rabat et spécialiste de la géographie politique du Maroc estime que l’assise du PJD reste solide même s’il n’est pas à l’abri d’un revers de tendance lié à la très forte abstention. Il détaille pour Yabiladi la stratégie électorale de la formation islamiste.

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Le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane lors d'un meeting. / Ph. AFP
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L’électorat du PJD est-il réellement attentif à la politique menée par le parti, au gouvernement depuis cinq ans ? Le PJD pourrait-il être sanctionné par son électorat sur la base de ses promesses en 2011 et de ses actes ?

Au regard du succès du PJD aux élections locales de 2015, il est difficile de parler de vote sanction contre le PJD, bien au contraire. Le parti a renforcé son assise. Par ailleurs, les électeurs changent difficilement de vote. Il existe une forte résistance de l'affiliation politique. Il est même possible de parler de tradition. La différence se fait donc plutôt au niveau des nouveaux votants.

Du fait de la forte abstention, le parti n'est cependant pas à l'abri d'un revers de tendance. Les dirigeants du PJD espèrent conserver le pouvoir encore un mandat pour renforcer leur position au sein du gouvernement, d'autant qu'ils disposent désormais d'une puissante assise locale. Le parti mise sur la dynamique des élections municipales et notamment de sa victoire dans des chefs-lieux de provinces rurales pour s'assurer de nouveaux sièges.       

Les détracteurs du PJD l’accusent souvent d’exploiter politiquement la pauvreté de la population en se positionnant comme unique recours. L’idée très répandue que le PJD, comme tous les partis islamistes, conquiert des voix grâce à la force de ses associations caritatives distribuées sur tout le territoire est-elle exacte ?

Cette affirmation constitue un lieu commun de l'analyse politique marocaine. En réalité, selon nos enquêtes de terrain, les plus pauvres ne votent pas pour le PJD. Ils s'abstiennent massivement. Les nombreuses associations caritatives proches du PJD lui permettent en revanche de recruter des bénévoles parmi les classes moyennes urbaines, soit des jeunes ayant un niveau d'étude secondaire, voire supérieur, qui adhèrent à ces associations et qui constituent le noyau des jeunes militants du parti. Grâce à son action caritative et morale - l'aide accordée aux veuves, mères d'enfants en bas âges, mais non aux femmes divorcées ou abandonnées… - le PJD apparaît auprès de cette classe moyenne urbaine comme un parti proche du peuple qui agit au quotidien auprès des plus démunis. Par conséquent, ces associations sont des outils de mobilisation qui dépassent les bénéficiaires.

Le PJD se pose au niveau national comme un outsider, fidèle au roi, aujourd’hui, et rebelle à «l’entourage royal». L’idée selon laquelle le vote PJD est celle du désenchantement et de la colère populaire contre le système se vérifie-t-elle ?

La force du PJD s'appuie avant tout sur un noyau de militants qui adhèrent aux valeurs du parti. Ces derniers mobilisent fortement leurs proches et tout particulièrement leur famille. Certains déçus des autres partis peuvent voter pour le PJD mais la déception se traduit en réalité davantage dans l'abstention, le vote blanc ou nul, majoritaire au Maroc. C'est elle - l'abstention - qui incarne le désenchantement et non le PJD : en 2011, sur près de 20 millions d'électeurs potentiels, le PJD ne mobilise que 1,08 million de personne, soit 5% de la population en âge de voter.

En fait, l'idée selon laquelle le PJD est à même de mobiliser des déçus vient essentiellement de sa capacité à attirer localement des élus d'autres partis, de l'USFP notamment. Nous avons encore observé plusieurs cas aux élections municipales de 2015 dans des provinces rurales comme celle de Tata.

Thierry Desrues, spécialiste de la politique marocaine et chercheur à l’Instituto de Estudios Sociales Avanzados del Consejo Superior de Investigaciones Científicas, établissait que le ministère de l’Intérieur avait, par le découpage électoral, assuré la défaite du PJD lors des législatives de 2007. Aujourd’hui, le découpage électoral actuel et les nouvelles lois électorales adoptées récemment défavorisent-ils toujours le PJD ?

Le découpage électoral a effectivement permis de retarder l'affirmation d'un grand parti qui serait en situation hégémonique, mais les résultats des élections de 2007 ne sont pas liés au seul découpage. Les analystes occultent souvent plusieurs phénomènes qui expliquent la victoire de l'Istiqlal. Ce parti historique avait notamment su mettre en avant une nouvelle génération de quadras en 2002 à même de proposer une nouvelle communication politique dans des ministères techniques (Hjira à l'Habitat, Ghellab à l'Equipement, Diouri au Tourisme) permettant au parti de séduire un électorat urbain notamment à Casablanca, alors que l'USFP connaissait un effondrement. L'Istiqlal dispose également de fiefs électoraux au sud comme Taroudant ou Laâyoune. Il était même l'un des seuls parti à couvrir l'intégralité du territoire marocain.

A l’époque, le PJD n’était pas vraiment en position de force. Il avait ainsi décidé de ménager l'Istiqlal en prévision d'une future alliance notamment en ne présentant pas de liste dans la circonscription de Casablanca Anfa, fief de Yasmina Baddou. Le parti a d'ailleurs rapidement reconnu sa défaite et en a tiré les leçons. Dès 2008, lors des législatives partielles dans la province d'Azilal, mais surtout en 2009 pour les élections communales, le parti a ainsi démultiplié les prospections dans les communes rurales pour trouver des relais potentiels et recruter de nouveaux militants. Le PJD a compris qu'il devait présenter des candidats partout et surtout avoir une présence nationale pour devenir le premier parti du Maroc.

Cette année, le débat n'a pas porté sur le découpage en lui-même mais sur l’abaissement du seuil électoral de 6 à 3% adopté en avril 2016 par le conseil du gouvernement. En 2011, le PJD avait été le seul parti à profiter de l'élimination du partage des sièges des listes réalisant moins de 6% des suffrages valides. Elle lui a permi d'obtenir un deuxième siège (voire un troisième à Tanger) dans au moins quatre circonscriptions. Après s’être opposé à l’abaissement du seuil à 3%, le PJD a finalement accepté en mettant en avant sa volonté de ne pas être hégémonique pour ménager ses futurs alliés. En fait, le parti a surtout estimé que les dommages seraient négligeables. Il espère renforcer son électorat dans les circonscriptions casablancaises et à Tanger mais aussi conquérir de nouveaux sièges dans des provinces plus rurales.

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