Dix jours après la violente rixe sur une plage de Sisco en Haute-Corse, dans laquelle trois Marocains (ainsi que deux Corses) sont poursuivis par la justice, les autorités marocaines continuent de garder le silence : aucune réaction officielle, aucun communiqué de presse, aucune assistance juridique. Une insouciance des officiels marocains qui ne passe pas inaperçue auprès des associations de MRE.
Contacté par Yabiladi, Salem Fkire, président de l’Association CAP Sud MRE, insiste sur la nécessité de remettre les choses à leur place. «J’ai vu une famille meurtrie, dans un désarroi total, sur le point d'être lynchée. Ils ont passé cinq heures coincés entre un ravin et une centaine de personnes qui leur criaient dessus», indique-t-il, revenant sur l’histoire de l’affrontement.
L’assistance juridique, un mythe ?
Le président de CAP Sud MRE rappelle qu’il ne s’agit pas d’«immigrés» mais bien de Corses d’origine marocaine et de touristes marocains impliqués dans cette affaire. «Il est temps que le Maroc applique de manière stricte l’article 16 de la Constitution, pour défendre et protéger ses ressortissants. Ce qui se passe actuellement est inadmissible », nous confie-t-il. Et d’ajouter qu'en tant que père de famille, musulman, de nationalité française et d’origine marocaine, il a «peur parce qu['il] ne voit pas pourquoi [il serait] épargné».
De son côté, Boualam Azahoum, président de l’association Al Ghorba dédiée aux MRE qualifie de «triste affaire» les poursuites et l’audience des trois Marocains. «Je n’ai pas le souvenir que le Maroc se soit soucié de ses ressortissants. L’assistance juridique ou consulaire ne signifie rien pour le Maroc», nous répond-t-il à la question concernant ce dispositif que le Maroc ne semble pas avoir. «C’est la première fois que j’entends le mot consul dans une affaire pareil mais il faut que cela devienne un geste mécanique», ajoute-il.
Revenant sur l’affaire des Marocains en Corse, Boualam Azahoum déclare que «dans cette affaire, le seul qui semble avoir de la jugeote est le juge qui a reporté l’audience », et il ne manque pas d’insister sur la présence des politiques et la condamnation du procureur. «C’est un banal fait divers qui a pris de l’ampleur et qui est devenu un procès méritant une attention particulière avec toute la confusion totale, alors qu’on évoque al-Qaida et le burkini», nous dit-il, rappelant que «ces Marocains ont frôlé le lynchage». Et de conclure : «Moi, je n’aimerais pas être un Marocain dans ce coin».
Islamophobie en Corse
Mounir Liam, conseiller départemental du Cher, évoque pour sa part l’islamophobie de plus en plus présente en Corse. «Ce genre d’affaire est toujours présenté avec l’islam et particulièrement l’islamophobie comme fond. Il faut savoir qu’avec la Corse, c’est un double problème puisque les Corses rejettent la France et certains sont islamophobes. Les Français se sont donc tus», nous dit-il.
Estimant que «tout est mélangé dans cette affaire », Mounir estime qu’il «est regrettable de voir qu’il n’y a pas un seul responsable national qui est sorti pour dire 'stop, il n’est pas question de religion dans cette affaire’». Même les élus français de confession musulmane et/ou d'origine marocaine n'ont pris la peine de réagir à la polémique pour calmer les esprits alors qu'ils n'ont de cesse de prôner le vivre-ensemble.
Enfin, pour Mounir Liam, l’absence de réactions de la part des autorités marocaines est «un vrai problème». «Dans cette affaire, on aurait vraiment préféré qu’il y ait une position étatique ou même politique, au moins pour se dire que le gouvernement tient compte de la diaspora marocaine», déplore-t-il, en se posant la question «de savoir si cette absence, qui est une erreur regrettable, est volontaire. On veut l’expression de la vérité».
« Une marginalisation» due à l'absence du droit de vote ?
Mohamed Saoud, premier vice-président de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima et membre du bureau politique du Parti de l’Istiqlal pense de son côté que le vrai problème des MRE vient du fait qu’ils sont «marginalisés dans leur double nationalité». Ce natif de Belgique évoque aussi le manque flagrant de prise en compte de la citoyenneté des MRE et cite le fait qu’ils «ne représentent pas un corps électoral».
«Avec cela, il y aura toujours des problèmes. On ne peut pas demander une réaction institutionnelle sans réfléchir au fond de ce problème», nous confie-t-il. Il va plus loin en accusant la laïcité d’être derrière les problèmes liés à l’islam et aux musulmans. «Aujourd’hui, le problème est plus profond et touche l’idéologie de la laïcité, qui est considérée comme une religion», nous indique Mohamed Saoud.
Et d'ajouter que «les Marocains avaient fait preuve d’une ouverture d’esprit lorsqu’ils ont libéré la Corse, puisque le Maroc est le juste milieu entre l’Occident laïc et l’Orient islamiste. Malheureusement, ce sont les 4e et 5e générations qui subissent maintenant les répercutions».