Alerte rouge, le pays se dirige droit dans le mur. C’est ainsi qu’on pourrait résumer le rapport annuel présenté devant le roi Mohammed VI par le gouverneur de Bank Al Maghrib (BAM), Abdelatif Jouahri. «Aujourd’hui, notre pays a besoin d’initier une véritable refonte de son modèle économique et une série de ruptures au niveau de la conception et de la mise en œuvre des politiques publiques», a-t-il déclaré, estimant que «le modèle basé sur la demande intérieure comme moteur de la croissance qui a prévalu jusqu’à présent a montré ses limites».
Le gouverneur fait notamment allusion à la faiblesse de la croissance et de la création d’emplois, la sensible détérioration ces dernières années des déficits jumeaux, l’aggravation du niveau d’endettement et la persistance d’un faible niveau de compétitivité du tissu productif marocain, entre autres.
En somme, Abdelatif Jouahri appelle à une accélération des réformes, notamment celle des retraites dont la lenteur génère, selon lui, un coût qui pourrait peser lourd sur les finances publiques à moyen terme. Le gouverneur de la BAM propose également de tout mettre en œuvre pour rehausser la confiance du citoyen marocain et de l’opérateur économique, tout en plaçant l’industrialisation au cœur de la transition économique.
Le modèle économique marocain, vraiment basé sur la demande intérieure ?
Mais alors que la plupart de ces points ont souvent été relevés par les économistes, ces derniers jugent «pas assez pertinentes» les critiques et recommandations du patron de la Banque centrale. «Il dit qu’il faut reformer le modèle économique, mais il ne dit pas dans quel sens. Il y a une différence à faire entre le modèle économique en lui-même et son mode de gestion», explique à Yabiladi Aziz Belal, vice-président du Centre d’études et de recherche (CERAB), enseignant à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat Agdal et ancien cadre à la BAM. Pour cet économiste, la Banque centrale ne propose «rien de nouveau». «Le Maroc développe les zones franches, il fait appel aux capitaux étrangers… Les grands groupes français et chinois et autres s’intéressent au royaume…», argue-t-il encore.
L’économiste Mohamed Chiguer va plus loin : «C’est absolument faux de dire que le modèle économique marocain est basé sur la demande intérieure», s’offusque-t-il. «Tout le monde sait que le modèle économique marocain est basé sur la demande extérieure. C’est pourquoi le Maroc se retrouve aujourd’hui avec une cinquantaine d’accords de libre-échange. Mais comme dans la pratique ce modèle n’a pas porté les fruits escomptés, on s’est rendu compte que la croissance arrivait à ne pas fléchir davantage grâce à la demande intérieure», explique l’économiste, appelant à «remettre chaque chose à sa place».
Le «piège» du Fonds monétaire international
D’après lui, si le modèle économique marocain était réellement basé sur la demande intérieure, le dialogue social serait «privilégié» et les subventions «maintenues». «Si la croissance au Maroc a tant bien que mal tenu ces dernières années, ce n’est pas grâce aux efforts de l’Etat, mais tout simplement parce que les Marocains consomment», fait-il remarquer avant de glisser : «BAM tombe dans le piège du FMI».
L’année 2016 s’annonce depuis longtemps comme une mauvaise année pour la croissance du royaume. Si le Fonds monétaire international (FMI) reste encore optimiste pour une croissance de 2,3 %, toutes les autres institutions ont revu leurs prévisions à la baisse, les plus pessimistes comme Bank Al Maghrib tournant autour de 1 %. Après deux trimestres de ralentissement, la même tendance devrait se poursuivre au troisième trimestre selon le Haut-commissariat au plan (HCP), en raison notamment d’une chute de 13,2 % de la valeur ajoutée agricole.