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Grand Angle

France : Des ex-détenus livrent des confessions sur le processus de recrutement de djihadistes dans les prisons

«Retourner des cerveaux !» C’est l’expression consacrée à l’enrôlement de djihadistes dans les rangs des détenus au sein des prisons françaises. En interrogeant d’ex-prisonniers et des aumôniers, le site Streetpress a voulu lever un coin du voile sur le processus d’embrigadement en milieu carcéral. Certains détenus, aujourd’hui retirés du processus, racontent.

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images d'illustration(DR)
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Christophe qui témoigne ce jour là sur Streetpress a 37 ans. Chef de bande au début, l’homme a été incarcéré dans une prison de la région parisienne à l’âge de 18 ans pour meurtre. Après un an en quartier jeunes majeurs, il se retrouve dans le même quartier que les criminels les plus dangereux. «Là tu fais moins le malin. Tu passes des petites bagarres pour rigoler aux coups de lames de rasoir», a confié Christophe. «La prison c’était la jungle», ajoute Karim, un autre détenu interrogé par Streetpress. C’est la première étape vers la radicalisation.

A la recherche de sécurité et d'une seconde famille

Dans un environnement hostile comme celui-ci, les jeunes hommes a besoin de se rattacher à un groupe de détenus pour assurer sa sécurité. «Pendant la promenade, un détenu m’a pris mes chaussures, un second mon manteau. Ça a fini littéralement avec mes crocs dans leur gorge. Mais j’ai quand même pris des coups dans la figure», se souvient Karim. «Il fallait des alliés pour survivre là-dedans», confirme Christophe.  

Karim, finira par rejoindre le groupe des musulmans dont il se sentait proche de par ses origines. «Les gens de ce groupe avaient l’air tellement apaisés. Ils étaient propres sur eux, posés, non violents, c’étaient des gens lumineux. Ils donnaient envie, vraiment», témoigne-t-il. Christophe quant à lui est converti par « des frères du GIA (Groupe Islamique Armé), des mecs des attentats du RER B». Pour les deux hommes, le processus reste le même. Ils sont approchés par des groupes déjà radicalisés, dirigés par des imams autoproclamés qui acceptent de leur fournir un «régime all inclusive », une aide matérielle se traduit par la fourniture de vêtements, de chaussures, de tapis de prière et même de nourriture. 

«Ces imams sont liés à des filières extérieures, qui lui font passer de l’argent par mandat postal, sous le nez de la prison». Mais l’explication de leur attachement au groupe est à chercher ailleurs. « Au-delà de la dimension financière, il répondait à une douleur mentale. Ça faisait du bien d’être entouré. La violence institutionnelle de la prison est telle que l’on se sent déshumanisé. J’étais devenu un numéro, le 23.136. Je m’en souviendrai toute ma vie. J’étais violent, impulsif, mal dans ma peau. Je voulais calmer toute cette rage », explique Karim à qui l’imam intime l’ordre de ne plus fumer et de se débarrasser de ses addictions. Il s’exécute, le groupe devenant rapidement une seconde famille et une bulle de protection.

Bourrage de crâne

Quand ils rejoignent le groupe, les détenus gravissent vite les échelons. «Les surveillants m’appelaient Ben Laden… J’en ai retourné des cerveaux », confie Christophe, d'origines italienne de père et algérienne de mère qui a des connaissances de l’arabe et connaissait une partie du Coran grâce à quelques années passées dans un lycée musulman. «L’imam autoproclamé doit avoir trois qualités : connaître les textes sacrés, parler l’arabe littéraire et avoir du charisme. Si t’as pas ça, tu peux remballer ton baratin », complète Karim.

Christophe nuance cependant : «Si tu connais 4 versets, tu es le roi du pétrole. Les gens ne connaissent rien à l’Islam en prison». Sa personnalité à fait mouche auprès des détenus en cultivant le mystère autour de lui. «À ce moment-là, t’es un repère. Le mec en face, il est fasciné par toi. T’as de la culture, t’as fait quelques études, t’as toujours toute ta tête après plusieurs années de placard. Et en plus t’es intègre. Tu deviens un Dieu pour le gars. Un Dieu qui l’aide à tenir».

L’influence de Chistophe grandit au point d’être imam à la place de l’imam. «J’avais des mecs qui me suivaient tout le temps. L’un d’eux se baladait toujours avec une lame. Il me disait “tu fais un signe et je m’en occupe”. J’ai envoyé des types en égorger d’autres ». Il s’entoure d’un petit groupe et sème la terreur dans la prison. «On se promenait à quinze en djellaba. Les surveillants appelaient notre étage “Bagdad”. On s’emparait des parties communes. On voulait appliquer la charia dans toute la prison !»

Entraînement paramilitaire et affaiblissement psychologique

Le processus ne s’arrête pas là. Il soumet ses sbires à un entraînement paramilitaire intense durant les heures de promenades. «Tu leur expliques qu’il faut développer le corps et l’esprit Tu leur répètes : on n’est pas des chrétiens, on est des musulmans ! On ne tend pas la joue ! On répond au coup, par le coup ! C’est la loi du Talion ». Tout le monde s’y mettait et suivait les instructions de l’imam autoproclamé à la lettre au risque d’être réprimandé par le groupe. Un jour un membre de son groupe rompt son jeûne. «Je l’ai insulté devant tout le monde, je lui ai gueulé dessus. On l’a fait pleurer de honte. Après ça, il a eu l’impression qu’il devait se racheter. Il devait prouver qu’il avait sa place dans la communauté. Et très vite, il est devenu le plus radical du groupe en voulant tout faire mieux que les autres».

Puis, il faut leur bourrer le crâne. Pour Christophe, «tout est question de rhétorique. Tu prends le Coran et tu sors les phrases de leur contexte historique, tu omets des versets. T’en sors l’histoire que tu veux. T’as le livre saint en main, tu connais les pages par cœur, qu’est-ce que tu veux que le type en face objecte ?». Des prêches qui répondent à toutes les questions que le nombre dérisoire d’aumôniers n’a pas le temps de couvrir. «Il répondait à toutes nos interrogations : le système carcéral, la loi française, nos peurs. On aurait pu en parler à notre avocat ou à l’aumônier. Mais l’imam autoproclamé était le seul présent pour nous répondre », complète Karim.

Ensuite, il faut les isoler de leurs attaches familiales. «C’est complexe, il ne faut pas se planter. C’est le moment où beaucoup abandonnent», concède Chritsophe. On leur parle de lutte armée et d’Al Qaïda, leur donne des numéros à appeler. Mais beaucoup abandonnent à cette étape. «J’étais là pour m’apaiser, en finir avec mon passé. Pas pour retourner me battre », confie Karim qui s’éloigne du groupe. Christophe quant à lui est placé en isolement. Il met le feu à son matelas. Asphyxié, il tombe dans le coma pendant 6 mois et ses jambes sont brûlées au 3ème degré. «Avant mon accident, Saddam Hussein était en fuite et le PSG était premier du classement. À mon réveil, Saddam avait été attrapé et Paris était dernier. Un nouveau monde », un épisode qui le transformera à jamais. Aujourd’hui sorti de prison après 20 ans de prison, il se dit «anarchiste athée» et s’est définitivement éloigné de la religion dont il était l’imam autoproclamé après avoir «retourner» plusieurs cerveaux.

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