Affaire Karima Safia : Pas d'arrestation à Marrakech, mais 1000 km en taxi pour passer la frontière à Melilla

Tout a commencé au mois d’octobre dernier lorsqu'une jeune Marocaine en Belgique aurait contacté l’association «Insoumise et dévoilée». La jeune fille s’inquiétait pour l’avenir de son demi-frère. Selon les informations de RTLinfo, en juin 2010, le père, Belgo-Marocain, apparemment marié pour la neuvième fois, a proposé «des vacances» au Maroc à son fils et sa femme d'origine marocaine mais vivant en Belgique. Une fois sur place, le père les aurait abandonnés et confisqué leurs papiers belges, empêchant ainsi leur éventuel retour en Belgique. Sa demi-soeur aurait vécu une histoire similaire quelques années auparavant. 

Avec l’accord de la mère, l’association «Insoumise et dévoilée»  serait alors intervenue afin de faire retourner le fils en Belgique. Joint par téléphone, la présidente de l'association, Karima Safia, a expliqué qu'elle aurait mené certaines actions en Belgique, conjointement avec la mère de l'enfant au Maroc. Ils auraient déposé des plaintes à l'encontre du père et la mère aurait fait une procuration à Mme Safia pour prendre en charge l'enfant. 

Mme Safia jouissant de la double nationalité s’est finalement rendue au Maroc et a rempli quelques formalités au consulat de Belgique à Marrakech qui a accordé un passeport provisoire à l’enfant qui jouit des deux nationalités. Cependant,  vendredi matin à l’aéroport de Marrakech lors du rapatriement, elle a été retenue par les autorités douanières, car ne disposant pas de l’autorisation du père de l’enfant. «Ils m’ont demandé où est le père de l’enfant. Ils ont dit que puisque le père n’est pas là, l’enfant ne peut pas sortir…ils ne m’ont pas demandé la mère, mais le père.» explique Karima.

Son interpellation, vendredi matin, a très vite trouvé son chemin dans l'actualité belge, plus précisément sur RTLinfo. Et pas de manière anodine. Selon RTLinfo, la responsable de l'association  «Insoumise et dévoilée» aurait été  «arrêtée au Maroc »; une information que nous avions reprise dans une brève.

RTLinfo corrige l'information, mais sans expliquer ses erreurs

Mais aujourd'hui, il ne reste de cette information plus que l'adresse URL (avec les mots clés «-insoumise-et-devoilee-karima-arretee-au-maroc»). Le contenu de l'article a été corrigé. Et pour cause : il n'y a pas eu d'arrestation, Mme Safia a simplement été retenue à l'aéroport pour une question de papiers et de législation marocaine en matière d'autorisations parentales. Le porte-parole des Affaires étrangères belges l’a d'ailleurs reconnu en déclarant à RTLinfo : «La loi marocaine dit qu’il faut avoir une autorisation du père pour ce genre de démarche mais nous plaidons, pour des raisons humanitaires, pour que l’enfant quitte le territoire». 

Contactée par nos soins, Mme Safia s’indignait toutefois de cette retenue à la frontière. Elle nous disait avoir en sa possession tous les papiers nécessaires au rapatriement de l’enfant au moment des faits. «J’avais la procuration légalisée par la mère à Oujda… j’avais les papiers de l’ambassade !» souligne-t-elle. 

A la question de savoir pourquoi Mme Safia n’a pas suivi une procédure judiciaire normale pour obtenir gain de cause, elle répond : «Nous avons déposé une plainte en Belgique et la mère a également porté plainte à Oujda…les procédures judicaires sont trop longues…la mère s’inquiétait pour la santé de son enfant».

Une «affaire privée» pourtant vite rendue publique

Contactée par nos soins, la diplomatie belge au Maroc préfère ne faire  «aucune déclaration»  à ce sujet, considérant qu’ «il s’agit d’une affaire privée».  Ils disent avoir agi à cause des «problèmes de santé de l’enfant».

Toutefois, le caractère privé souligné ici est quelque peu incohérent avec ce qui s’est fait depuis vendredi. Après la déclaration du compagnon de Karima vient celle de la diplomatie marocaine, celle des Affaires étrangères belges ainsi que celle de Karima elle-même. Il y avait visiblement rapidement une intention de rendre l'histoire publique, même si cette intention est plutôt à prêter à l'association et à RTLinfo qu'à la diplomatie belge.

La manière dont cela a été fait n'est pas non plus anodine. Une arrestation, voilà qui pose Mme Safia clairement en victime, mais cela suppose aussi une charge retenue contre elle, alors qu'il s'agissait vraisemblablement d'une simple vérification de papiers.

Même si l'information a été retirée, le titre de l'article qui le remplace ne change pas beaucoup : «Karima libre, le Maroc dément l'interpellation». L'orientation est la même. Pourtant, l'article cite un communiqué de l'ambassade du Maroc qui explique que «à aucun moment, Mme Safia n'à été arrêtée, ni privée de sa liberté de mouvement». Le journaliste ne donne cependant pas davantage d'éléments sur les circonstances mêmes de cette histoire opaque. 

Zones d'ombre, image noircie ?

Les faits relatés révèlent tout de même certaines zones d’ombres. Une certaine clarification permettrait de lever l’équivoque. La polygamie n’étant pas reconnu en Belgique, comment cet homme, qualifié de polygame a-t-il pu aller jusqu’à neuf mariages tout en étant citoyen belge ? Y aurait-t-il eu à chaque fois le mariage et le divorce au Maroc ? Se serait-il fait reconnaître tous ces documents par les autorités belges pour faire venir ses 9 femmes en Belgique ?

Si l’authenticité des propos de Karima était vérifiée, que risquerait ce père de famille de nationalité belge ? Cette affaire vient s’inscrire sur la liste des évènements sociaux qui font parler du Maroc depuis l’année dernière. On se souvient ainsi de l’affaire Najlae, jeune fille marocaine expulsée de France puis « graciée » par Nicolas Sarkozy, ou encore celle de Sanae en Belgique disant avoir été mariée de force et menacée d’expulsion. Ces deux histoires avaient suscité plusieurs interrogations, car elles étaient également nébuleuses. 

Karima Safia aurait passé la frontière à Nador, avec l'enfant

Dernière information, parvenue lundi après-midi : Mme Safia serait arrivée à Madrid, avec l'enfant. Elle aurait informé l'agence de presse belge Belga qu'elle aurait passé la frontière espagnole. Partie de Marrakech samedi, elle aurait rejoint Oujda en taxi, pour aller ensuite à Nador et dans l'enclave espagnole Melilla. A la frontière, «le petit était dans la poussette, ils ont vérifié mes papiers et m'ont heureusement laissé passer mais j'avais très peur», affirme Mme Safia, qui devait atterrir en Belgique dans la soirée de lundi. Elle rajoute que «les autorités marocaines ne peuvent plus rien maintenant, étant donné que l'enfant est de nationalité belge et qu'il est sur le territoire européen».

Cependant, cette action presque romanesque n'aide pas à éclaircir davantage les dessous de l'affaire. Aidera-t-elle au moins à ouvrir un débat sur la législation marocaine en matière de responsabilités parentales ?