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Grand Angle

Samir : "Un cas d'école du capitalisme de copinage"

Les 42,5 milliards de dirhams de dette qui accablent la Samir aujourd’hui ne sont pas apparus soudainement en 2015. Raison d’Etat, connivence, manque de placements financiers, aveuglement, erreur de gestion, chantage, privatisation ratée ont abouti au désastre actuel.

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La Samir est à l'arrêt depuis le 5 août 2015. Le coût du redemmarrage, s'il a lieu, sera exorbitant / DR
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«Ce qui se passe avec la Samir est totalement surréaliste, il n’y a pas d’arguments, pas d’explications, on cherche des réponses, mais c’est complètement dingue», constate Afifa Dassouli, professeur de Finance à l’ISCAE et journaliste financière à La Nouvelle Tribune. Le 21 mars 2016, le Tribunal de Commerce de Casablanca a prononcé la liquidation de la Samir, unique raffinerie nationale et filiale de la société saoudienne Corral Petroleum Holdings AB, après un long bras de fer avec le gouvernement. «L’affaire de la Samir est un cas d’école de ce que l’on appelle le capitalisme de copinage», estime Hicham El Moussaoui, fondateur de Libre Afrique et maître de conférences à l’Université Sultan Moulay Slimane de Fès.

Pour lui, «les difficultés financières de la Samir étaient bien connues. Si le gouvernement n’avait encore jamais osé la mettre au pied du mur, c’est qu’il avait reçu pour consigne d’être compréhensif, de lui offrir de nouvelles chances. Le Maroc a besoin du soutien de l’Arabie Saoudite sur d’autres sujets comme le Sahara et El Amoudi [PDG de Corral Petroleum et de la Samir, ndlr] était la deuxième plus grande fortune du royaume. Il avait des réseaux, des soutiens et le Maroc ne voulait pas se fâcher avec l’Arabie Saoudite. »

«L’Arabie Saoudite a lâché Al Amoudi»

La demande d’audience royale de Mohamed El Amoudi, début août 2015, alors que le roi Salman d’Arabie Saoudite entamait sa villégiature à Tanger, a été analysée comme une tentative du PDG de la Samir de politiser l’affaire. Le 5 août, la Samir annonçait l’arrêt temporaire de l’activité de la raffinerie. Pour Hicham El Moussaoui, c’est plutôt le contraire qui s’est produit : une dépolitisation du cas Samir. «El Amoudi a été lâché par l’Arabie Saoudite. Quand El Amoudi a essuyé un refus définitif à sa demande d’audience, Rabat a très bien compris le signal et les douanes ont ouvert le bal avec la saisie des actifs de la Samir [le 13 août, ndlr]», analyse-t-il.

La vente aux enchères des 25 ou 26 milliards d'actifs de la Samir si la liquidation de la société est finalement confirmée par le Tribunal ne permettra pourtant jamais le remboursement de toutes les dettes de la Samir qui s’élèvent à 42,5 milliards de dirhams, selon le ministre de l’Industrie, Abdelkader Amara.

L’incendie de 2002

«La Samir a commencé à s’endetter avec l’incendie [en novembre 2002, ndlr]. Comme le management n’a jamais été innocenté, la société n’a jamais pu recevoir d’argent des assurances. L’investissement dans la deuxième raffinerie, sur le site avait été budgété à 6 milliards de dirhams pour un coût final de 12 milliards. Les banques ont dû suivre sous la contrainte de perdre leur premier prêt», explique Afifa Dassouli.

La Samir n’a pas réussi à faire face à la nouvelle concurrence des importateurs de pétrole quand en 2002 l’Etat supprime les droits de douane à l’importation. Dans un contexte de plus en plus concurrentiel et avec la baisse des prix du pétrole, l’activité de raffinage est devenue de moins en moins rentable. La dette de la Samir n’a alors cessé de croître.

Surliquidité

«Je ne vais pas innocenter les banques, souligne Afifa Dassouli. Une banque seulement, la Banque populaire, a pris un terrain en garantie. En période de surliquidité, la Samir, ancienne entreprise privée, était censée constituer un investissement sans risque. Les banques se sont fait avoir.»

En plus de prêter de l’argent à une société en déroute, les investisseurs institutionnels ont conservé leur investissement en action dans le capital de la Samir. «Les banques ont vu le risque mais n’ont rien fait. Les banques, les assurances avaient beaucoup de liquidités et ne savaient pas quoi en faire. Faute de produits de placement financier, elles sautaient sur toutes les occasions sans forcément procéder à une évaluation et surtout à un suivi de leurs engagements», estime également Hicham El Moussaoui.

La logique de rentabilité à court terme des banques a également joué contre elles. «Ceux qui accordent ce genre de prêts sont des cadres qui subissent la pression du chiffre. Ils doivent accorder le plus de prêts rentables possibles. On a ainsi pu constater que la Samir avait abusé des crédits à court terme qui sont les plus chers, mais donc aussi les plus rentables pour les banques», rappelle Hicham El Moussaoui. A l’aveuglement volontaire des banques dans un contexte pétrolier et politique encore favorable à Mohamed El Amoudi, se sont ajoutées des erreurs de gestion que le gouvernement ne cesse aujourd’hui de dénoncer.

«Des erreurs de gestion flagrantes»

«Quand les banques se sont rendues comptes en 2012 que l’endettement de la Samir devenait dangereux, elles ont proposé de les convertir en dette de long terme. Une aubaine, en principe, pour le raffineur, mais la Samir a refusé et elle est partie chercher d’autres emprunts, obligataires ceux-là», indique El Moussaoui. «La société s’est endettée pour la trésorerie de tous les jours et la direction continuait à se verser et donc exporter des dividendes», ajoute Afifa Dassouli.

«Il y a eu des erreurs de gestion flagrantes, que je pourrais lier à cette trop grande confiance d’Al Amoudi. Il se sentait protégé par ses connexions, son réseau et puis il faisait du chantage à l’Etat et menaçait de couper le robinet», explique El Moussaoui. Pourtant la part de marché national de la Samir n’a cessé de se réduire depuis sa privatisation, même si elle était encore de 57% quand la raffinerie s’est arrêtée. La violente hausse des prix et la pénurie escomptée par Mohamed El Amoudi pour faire plier le gouvernement n’ont pourtant pas eu lieu. Les importateurs ont réussi à pallier son absence.

La faute originelle : la privatisation

Le gouvernement a reporté les obligations de stockage jusque-là dévolues à la Samir sur les distributeurs. «Depuis la fermeture de la Samir, le ministère de l’Energie et des Mines nous oblige à disposer d’un stock minimal de 30 jours», précise Adil Ziadi, président du Groupement des Pétroliers du Maroc. «Auparavant, les subventions aux carburants constituaient un fardeau que nous supportions, aujourd’hui il a été transféré sur les obligations de stockage », ajoute-t-il.

Toute l’histoire désastreuse de la Samir serait finalement liée à une faute originelle : sa privatisation en 1997. «La privatisation de la Samir a été une erreur», a déclaré le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane devant la Chambre des Conseillers, le 13 janvier 2016. «L’autre erreur a été de la confier à un groupe étranger, qui cherche aujourd’hui à faire du chantage à l’Etat […] la privatisation exige une concurrence dans le secteur et non une situation de monopole», a-t-il également affirmé, selon l’Economiste

Dès 2002, Abraham Serfaty, célèbre opposant au régime de Hassan II, nommé en 2000 par le roi Mohammed VI conseiller auprès de l'Office national de recherches et d'exploitations pétrolières, n’avait pas de mots assez durs contre les dirigeants de la Samir. A l’époque, la raffinerie demandait au gouvernement de suspendre la suppression des droits de douane à l’importation de produits pétroliers (qui viendront faire concurrence à ses carburants) en contrepartie d’investissements dans sa raffinerie pour améliorer la qualité du pétrole raffiné.

«On a transgressé les normes techniques de l'appel d'offres»

«Les conditions de l'appel d'offres de la Samir étaient bonnes et impliquaient pour les soumissionnaires d'investir de façon à réaliser une qualité des produits pétroliers conforme aux standards internationaux. Cela va du pourcentage de soufre dans le gasoil à l'indice d'octane pour l'essence jusqu'au carburant sans plomb, etc. Par la suite, après que Corral a été désigné adjudicataire, le contrat final signé avec cette société, qui est le candidat qui s'était engagé sur les normes de l'appel d'offres avec des prix plus bas que ses concurrents, on a transgressé les normes techniques de l'appel d'offres. Ce qui a débouché sur une convention plus favorable à Corral que ne le prévoyait l'appel d'offres», expliquait en 2002 Abraham Serfaty, dans une interview à l’Economiste. A cette époque, le directeur général de la Samir n’est autre que l’ancien ministre de la Privatisation, Abderrahmane Sâaïdi, celui-là même qui a défini et signé le contrat de cession à Corral Holding.

Abraham Serfaty dénonçait également la trop grande propension de la Samir à s’approvisionner en pétrole brut saoudien, du fait de la nationalité de son PDG, Mohammed Al Amoudi, plutôt que de faire jouer la concurrence. En 2013, la Samir achetait encore 46% de son pétrole brut à la société saoudienne Arabian Light.

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