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Grand Angle

Réforme du collège en France : Où est passée l’histoire de l’immigration ?

En 2011, Yabiladi réalisait un dossier sur l’histoire de l’immigration en France et son enseignement. Un constat relativement positif qu’il faut aujourd’hui nuancer au regard des nouveaux programmes du collège qui s’appliqueront à la rentrée prochaine.

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Benjamin Stora, président du conseil d’orientation de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration en France, a été le premier à s’affliger de «la faible place de l’immigration dans les nouveaux programmes». «J’ai beau chercher la mention d’une histoire de l’immigration dans les programmes d’histoire de 3e, elle n’apparaît qu’une seule fois, et encore, pas comme une thématique à part entière mais comme une entrée possible, presque un exemple parmi d’autres», explique-t-il au Monde quelques semaines plus tard. En France, les nouveaux programmes d’enseignement du collège ont été adoptés fin novembre dernier et s’appliqueront à la rentrée 2016.

Le constat de Benjamin Stora n’est qu’une demi-nouveauté. En réalité, l’histoire de l’immigration, étudiée en 3e, a déjà connu une «coupe» en 2013. Les programmes de la précédente réforme ont été adoptés en 2008 mais ne se sont appliqués en 3e qu’à la rentrée 2012. A cette date, l’immigration apparaissait dans le thème 2 du premier chapitre de l’année où il tenait une place centrale. Au terme de cet enseignement, les élèves étaient censés être capables de «caractériser l’évolution de l’immigration en France au XXe siècle».

A peine un an plus tard, cependant, en 2013, une modification est opérée dans le programme des 3e. «L’étude sur «un siècle d’immigration en France» a été  supprimée parce que l’on a considéré que le programme de troisième était trop chargé», rappelle Sophie*, enseignante d’Histoire-Géographie au collège. Elle est alors remplacée dans un autre chapitre par une étude sur «le rôle de l’immigration dans la croissance économique des 30 Glorieuses». En d’autres termes, la période étudiée passe de tout le XXe siècle à sa seconde moitié seulement.

En 2016, la part de l’enseignement dévolue à ce sujet sera encore réduite. Elle n’apparaît plus que comme l’une des transformations décisives connues par la société française depuis la seconde guerre mondiale dans le cadre d’un thème intitulé - comme imprégné des discours nationalistes actuels - «Françaises et Français dans une République repensée».

L’Histoire longue de l’immigration

«Le problème migratoire doit toujours se voir dans «l’histoire longue» pour éviter de croire à des «nouveautés» migratoires venant détruire «l’identité française», aujourd’hui menacée», insiste pourtant Benjamin Stora dans une interview récente. C’est même au XIXe siècle, que «la France devient un pays d’immigration. L’évolution se fait par à-coups. À partir de 1830, se produit un premier décollage avec l’arrivée d’exilés politiques européens. Puis une nouvelle phase s’amorce liée aux besoins de l’économie. […] Le cap du million est franchi en 1881. Les immigrés venus des pays voisins de la France dominent très largement : Belges, Anglais, Allemands, Suisses, Italiens, Espagnols», rappelle le site de la Cité de l’immigration.

Sur cette période, le nouveau programme d’Histoire de la classe de 5e est ambivalent. Alors qu’aucune mention n’était faite des migrations dans le programme de 2008, celui-ci évoque, avec la révolution industrielle du XIXe l’émigration européenne (italienne, irlandaise ...). Reste à savoir si la France, dans ce contexte migratoire, sera désignée comme l’un des points d’arrivée de ces migrants. «Au fonds, cet enseignement va dépendre des indications plus précises et des ressources offertes aux enseignants par l’Education nationale, estime Sophie, mais aussi des choix réalisés par les enseignants eux-mêmes en fonction de leur démarche et de leur sensibilité.»

* le prénom a été changé.

La deuxième déconstruction du roman national

Alors que l’intégration de l’histoire de l’immigration, même furtive et incomplète, dans les programmes scolaires était le résultat de la déconstruction du roman national éthérée et irréaliste qui faisait de la France un tout monolithique unitaire et uniforme, deux jeunes anthropologues, Wiktor Stoczkowski et Anastasia Krutikova, tentent aujourd’hui une nouvelle déconstruction. Ils montrent dans une étude que les manuels scolaires – attachés aux programmes de 2008-2015 – offrent encore une vision irréaliste de l’Histoire de l’immigration, trop idyllique selon eux.

« Le ton est optimiste, la vision idyllique. Les livres scolaires dépeignent un monde tel que l’on voudrait qu’il soit. Un monde auquel on voudrait que les Français croient […] Dans cette vision enchantée, l’immigration n’a jamais rien d’une exploitation intéressée de la main-d’œuvre étrangère dans le but de conserver – à peu de frais, veut-on espérer – le mode de vie quelque peu insouciant auquel la prospérité de l’après-guerre a accoutumé les Occidentaux. Ce serait plutôt une preuve de la grandeur morale de l’Occident qui, en s’ouvrant à l’immigration, affirme son altruisme, sa charité, sa mission civilisatrice », écrivent-il dans une tribune publiée sur The Conversation.

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