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Interview

Gouvernement Benkirane : « Le PJD rogne les acquis de la Moudawana »

L’Association démocratique des femmes du Maroc a présenté un document d’information sur les droits des femmes devant le Comité des droits économiques sociaux et culturels du Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies lors de l’examen du 4e rapport périodique du Maroc, jeudi 1er octobre. «La situation des femmes n’a pas enregistré d’amélioration significative du fait […] du caractère régressif des réformes proposées», indique l’association dans son document. Samira Birkaden, présidente de l’ADFM à Rabat nous a détaillé l’évolution des droits des femmes durant le mandat du PJD. Interview.

Publié
Manifestation pour les droits des femmes 8 mars 2014. /DR
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Yabiladi : Le mandat du gouvernement Benkirane touche à sa fin. En 5 ans, comment ont évolué les droits des femmes ?

Samira Birkaden : Il n’y a pas vraiment d’avancées législatives depuis l’adoption de la constitution en 2011, car il n’y a pas de volonté politique de promouvoir ces droits. Au contraire, le gouvernement a eu tendance, pendant sa mandature, à rogner les acquis de la Moudawana. C’est logique. Le PJD en a été, il ne faut pas l’oublier, le grand opposant à l’époque de son adoption.

Le gouvernement voudrait ramener l’âge minimal du mariage à 16 ans. Ce serait hypothéquer l’article 19 de la Moudawana qui établit cet âge à 18 ans. La reconnaissance des mariages [traditionnels, conclus par la simple lecture de la Fatiha, ndlr] qui ne devait être permise par l’article 16 que pendant 5 ans [le temps de permettre leur régularisation, ndrl], a été prolongé a plusieurs reprises. Aujourd’hui, c’est un article qui sert à contourner l’interdiction du mariage des mineures et de la polygamie. Un amendement a été déposé pour une nouvelle prolongation, heureusement, la mobilisation de la société civile a permis de le bloquer jusqu’ici.

Le gouvernement Benkirane a également repris «l’Agenda pour l’égalité  2011-2015», adoptée en mars 2011 par le précédent gouvernement, mais en offre une lecture à minima. Le plan gouvernemental de l’égalité vers la parité est ainsi devenu le «Plan Ikram» dont le terme arabe relève plus de la charité que du droit. On perçoit clairement cette vision ‘caritative’ des droits des femmes depuis la création d’une aide directe aux veuves et l’élargissement du Fonds d’aide familiale bénéficiant aux femmes divorcées.

Plusieurs projets de lois et textes ont été récemment déposés au secrétariat général du gouvernement voire adoptés. Obéissent-ils toujours à la même logique ?

Le vote au Parlement du Protocole facultatif sur Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes, le 7 juillet dernier, intervient 3 ans après son adoption par le Conseil de gouvernement, alors même que tant que le Maroc ne dépose pas les instruments de ratification du Protocole, il ne sera pas effectif.

En mars, les avant-projet et projet de lois sur le nouveau code pénal et l’APALD ont été rendus publiques en même temps comme pour déborder volontairement les capacité d’analyse et de réactions. Le projet de loi sur l’APALD n’est pas clair dans ses attributions. Il laisse entendre que cette autorité est à motifs multiples et qu’elle n’est pas spécifiquement dédiée aux discriminations subies par les femmes.

L’avant-projet de réforme du code-pénal dépoussière grossièrement un Code adopté en 1962, au beau milieu des années de plomb. Il instaure quelques mesures tape-à-l’œil, mais conserve l’essentiel en l’état. Il faut revoir toute son approche sécuritaire qui fait toujours primer la défense de la stabilité et de la sécurité de l’Etat sur la liberté individuelle.

On a l’impression que le gouvernement veut boucler précipitamment ce dossier avant la fin de sa mandature, tout en neutralisant la société civile. Imaginez que le projet de loi portant création du Conseil consultatif de la Famille et de l’enfance a été adopté en Conseil de gouvernement, à la veille de l’Aïd, sans que l’on puisse seulement trouver trace de ce projet de loi !

En août, les lois électorales organiques adoptées dans la perspective des élections ont cependant augmenté les quotas d’élues communales et régionales.

De 12% d’élues dans les conseils communaux, on est passé à 27%, mais on reste encore en dessous du tiers, véritable seuil minimal pour envisager de dépasser le plafond de verre. Ces quotas ont été établis dans la loi, mais le ministère de l’Intérieur n’a diffusé aucune information sur les résultats des élections, le nombre réel d’élues communales et de présidentes de communes. Ce que l’on sait de façon certaine, c’est que tous les maires et tous les présidents de régions sont des hommes. La maire de Marrakech, unique maire femme du pays, a perdu son siège.

De quelle façon, la décision du Palais royal de trancher dans le débat sur l’avortement, en élargissant les cas pour lesquelles l’avortement est autorisé, s’est-elle traduite au niveau du gouvernement ?

En amont, le CNDH et les ministères de la Justice et des Habous ont été sollicité par le Palais royal pour émettre un avis sur cette question. Comme d’autres associations, l’ADFM a été auditionné par le CNDH, mais rien n’a filtré du travail des deux autres ministères pour expliquer que le communiqué royal final estime qu’une «écrasante majorité penche pour la criminalisation» de l’avortement.

Surtout, aujourd’hui, la décision d’élargir les possibilités légales d’avorter n’a toujours pas été traduite par un amendement au code pénal. La commission composée du ministère de la Justice et du ministère de la Santé chargée de traduire la décision du cabinet royal en dispositions juridiques n’a toujours rien produit. Nous leur avons écrit, sans recevoir de réponse.

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