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Grand Angle

Elections locales au Maroc : Le clientélisme renforcé mais rénové

Les élections communales auront lieu le 4 septembre 2015. En jeu, la présidence du Conseil de la ville et par voie de conséquence celle du Comité local de l’INDH. La manne financière de l’Initiative a tendance à renforcer le clientélisme, mais celui qui marchande son vote a appris à sortir son épingle du jeu.

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A l’approche des élections communales, le vieil épouvantail du clientélisme ressort. Mustapha El Mnasfi, chercheur associé en sciences politiques au Centre Jacques-Berque, à Rabat s’inquiétait en avril dans un texte intitulé «L’INDH et les prochaines élections locales» du risque de politisation de l’INDH par les élus locaux. «Quand le président de la commune crée une association ou deux et que le comité local de l'INDH qu'il préside reçoit par la suite des demandes de subventions de ces associations créées par lui-même ou par des personnes proches de lui, cela encourage cet élu à demander une contrepartie à ces associations si elles veulent bénéficier des fonds de cette initiative. Cette situation encourage des associatifs à se mobiliser en faveur de tel élu juste parce qu'ils ont déjà eu une subvention de l'INDH ou qu'ils envisagent d'en faire la demande», explique Mustapha El Mnasfi.

Le Maroc comptait 116 836 associations fin décembre 2014, selon les statistiques rendues publiques par le ministère de l’Intérieur. Leur nombre a explosé avec le lancement de l’INDH en 2005. Aujourd’hui, 93% d’entre elles sont des associations de quartiers et de douars. Leur position stratégique, leur audience locale et leur manque récurrent de moyens – en 2007, le HCP, révélait que plus de la moitié d’entre elles n’avaient pas de local dédié et un tiers était hébergé à titre gratuit – en font des interlocuteurs de choix à l’approche des élections.

Accéder aux ressources publiques

«D’après de nombreux témoignages, le tissu associatif aurait connu une dynamisation notable dans les huit mois qui ont précédé les élections de 2007, en raison de l’intérêt accru porté par certains partis et (futurs) candidats aux associations», révélait Yasmine Berriane, enseignante-chercheuse à l'Université de Zürich, spécialiste du monde associatif féminin de Casablanca, dans son article «Intermédiations stratégiques : l'engagement de militantes associatives locales dans la campagne pour les législatives marocaines de 2007».

«En raison du manque de moyens dont souffrent les association, le recours aux partis, et surtout aux futurs candidats, importants pourvoyeurs de financement pour obtenir des soutiens ponctuels, est considéré comme une ‘‘nécessité’’ et relève de l’évidence. Les aides consenties vont de l’achat de mobilier pour la maison de jeunes du quartier à la fourniture de chaises roulantes», explique-t-elle.

En retour, les futurs candidats attendent d’elles qu’elles servent de relais électoraux auprès du quartier, des bénéficiaires, de leur cercle de connaissances. A ce jeu, les associations se font concurrence pour susciter l’intérêt des partis. «La concurrence entre acteurs associatifs est d’autant plus importante que le secteur parait comme un levier de promotion sociale car il offre un statut, voire un emploi et qu’il permet d’élargir un capital relationnel. Il serait également un moyen d’accéder à des ressources publiques. Si celles-ci sont limitées, la mise en place de l’INDH a contribué à les étoffer, aiguisant ainsi les concurrences au niveau local», analyse Yasmine Berriane. A la fin de l’année, ce sont 17 milliards de dirhams qui auront été alloués en 4 ans dans le cadre de l’INDH.

Réenchantement de la relation de clientèle

Si les associations livre une rude concurrence pour attirer l’attention des partis politiques en lice, ces derniers sont également en compétition pour s’attirer la faveur des associations dont le poids social est le plus important. Ainsi, même si toute relation clientéliste reste déséquilibrée par nature, le clientélisme a beaucoup évolué. Lamia Zaki, politologue, spécialiste de l’action urbaine au Maghreb, racontait ainsi en 2003, dans son article «Le clientélisme, vecteur de politisation en régime autoritaire ?», comment les bidonvilles de Casablanca étaient passés de réservoirs à voix qui, divisés entre plusieurs circonscriptions servaient à pondérer le vote des quartiers réguliers adjacents, à une force de changement.

En 1997, en «apportant l’assainissement» aux électeurs (jâbnâ l-oued lhârr) six mois avant le scrutin (et donc bien avant l’ouverture officielle de la campagne électorale), le (futur) candidat a pu asseoir son autorité politique sur le quartier, et initier la cristallisation d’une mobilisation collective matériellement et symboliquement gratifiante pour ses clients», raconte Lamia Zaki qui parle même de «réenchantement de la relation de clientèle». «L’ouverture (certes limitée) du champ électoral à la compétition politique a mis les électeurs en position de négocier leur vote en obtenant plus (ou en tout cas autre chose) que la simple marchandisation des suffrages», analyse-t-elle.

«Non seulement les intérêts individuels ou collectifs des «clients» [celui qui vend sa voix ou celles des bénéficiaires d’une association, ndlr] ont-ils tendance à primer dans la relation d’échange mais encore l’exigence de la proximité et de ‘‘l’ancrage dans la société locale’’ [de la population appliqués à leurs élus, ndlr] aboutit-elle à l’émergence de ce qui pourrait ressembler à un ‘‘patronage démocratique’’ mêlant structure hiérarchique et élan égalitaire», analysait Mounia Bennani Chraïbi, dans son article «Représenter et mobiliser dans l’élection législative au Maroc», publié en 2002.

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