Pourquoi cinglé ? Parce-que lancer un festival de jazz dans une ville marocaine qui, dans les années 90, avait perdu de son attractivité internationale, ce n’est pas le projet le plus évident à faire aboutir. «Une aventure impossible, vous n’y arriverez pas», lui avait-on prédit.
L’objectif est pourtant là. Dans la vision de l’ancien publicitaire, il faut que «les gens se ré-intéressent à ce qui se passe à Tanger», il faut «remettre Tanger sur la carte de la culture, de l’amusement, sur la carte de la fête, et sur la carte du tourisme».
Pourquoi alors le jazz ? «Je ne connais que le jazz et le latino et la musique classique», nous explique M. Lorin. «Et la musique classique... J’ai commencé par le jazz qui était ma passion depuis que j'ai 14 ans».
Ensuite, le premier concert : «deux groupes sont venus gratuitement parce que je connais des musiciens jazz, ils ont eu la gentillesse de venir à l’œil, jouer à l’œil». Sauf que le public n’y était pas encore. 60 spectateurs, mais les organisateurs – regroupés dans la fondation Lorin – ont persévéré. Et comme l’indique Philippe Lorin, «aujourd’hui, nous avons un public, un public qui vient pour écouter cette musique là». Un public de Rabat, Casablanca, mais aussi de l’Espagne, de Paris et du bassin Marseillais. Le festival s'internationalise.
Mais pour qu'il prenne pied à Tanger, en plus du public d’amateurs, un public local doit être conquis. Alors pas de jazz expérimental mais plutôt du jazz soigné, du blues, funk et soul, et, de plus, une scène gratuite où est diffusé la nouvelle scène marocaine «pour faire plaisir au public tangérois».
De manière générale, la programmation «n’est pas une programmation chapelle», pour ne pas reproduire l'idée selon laquelle le jazz est une musique élitiste ou élitaire, affirme M. Lorin. «Allez demander à Louis Armstrong si sa musique est une musique intellectuelle», poursuit-il. «Il vous répondra qu’il joue cette musique avec ses nerfs, avec ses muscles, avec son sang, avec ses tripes, avant que ça ne passe par la tête». La musique parle d'elle-même à qui veut l'entendre. «Ici à Tanjazz, tout le monde est VIP», rajoute-t-il.
Mais l’idée a du mal à percer. Sauf dans la rue. Deux fanfares ont joué en se déplaçant au centre ville de Tanger, allant à la rencontre des gens - qui ont apprécié et en ont fait un vrai spectacle. Mais dans l'enceinte du palais des institutions italiennes, où se trouvent les scènes jazz, on a bien l'impression que pas tout le monde n'est VIP. Alors y a-t-il un fossé entre le jazz et le public tangérois ? Pour un musicien d’une des fanfares, «ce n’est pas qu’elles [les scènes] sont à l’écart, c’est que les gens ne viennent pas. Pourtant, il y a des scènes ouvertes. Mais il n’y a pas tant de curieux».
Il reste donc du chemin à parcourir, mais le festival s'y engage, notamment à travers le Tanjazz pour enfants, une après-midi dédicacée à la découverte du jazz pour un jeune public tangérois. Et s'il y a certes des musiciens dont la musique reste difficile à apprécier, d'autres n'ont pas besoin d'être expliqués. A l'instar de Monty Alexander, pianiste jamaïcain, qui a su capter son public vendredi soir. Et qui se dit heureux de jouer au Maroc pour la première fois, un pays sur lequel il tirait ses informations principalement d'un ami : Randy Weston.