On va répéter ce que tout le monde sait et contre quoi les hommes et les femmes épris de justice luttent depuis des années : la politique inexorable de colonisation israélienne au détriment de toutes les règles du droit, le refus opposé à un peuple entier de vivre libre sur sa terre et en sécurité, le choix d’étouffer par une politique mortifère tout projet de paix. On va maudire, s’emporter, manifester, choisir son camp… Et puis on va oublier. Car on oublie toujours. Après la rage et la colère, la vie et ses occupations reprendront leurs droits, et noieront de nouveau, jusqu’à la prochaine crise nos cris d’effroi. Pendant ce temps là Gaza sèchera ses larmes et puisera dans une source intarissable la force de survivre par-delà son drame.
Parce que j’ai tant de fois par le passé crié, pleuré, manifesté, hurlé ma colère et même ma haine, parce que tant de fois j’ai aussi oublié quand le feu a cessé, aujourd’hui je ne joins pas ma voix aux cris de colère, même si elle est partagée. Aujourd’hui, en plein cœur de la guerre injuste qui bat et fauche la vie d’innocents, je me joins à ceux et celles qui eux n’oublient jamais la seule chose pour laquelle il vaille la peine de se battre : la paix. On ne les entend pas, on les voit peu, et pourtant eux sont toujours là : avant, pendant et après les crises, ils sont là. Il n’y a qu’eux de constants dans cette région. C’est vers eux qu’il faut se replier, eux dont il faut parler. C’est à Martin Luther King qu’on doit cette phrase : «ceux qui militent pour la paix doivent apprendre à s’organiser aussi bien que ceux qui veulent la guerre». Aidons-les.
La voie tracée par Mandela
Et qu’on ne me dise pas que la paix est impossible. Elle l’est si on ne la veut pas assez. Elle l’est si l’on refuse de se libérer de la rancœur. C’est un de ces pas difficiles mais nécessaires, un pas dont Nelson Mandela, à qui le monde entier rend hommage aujourd’hui, a été capable. De tous les épisodes marquants et de toutes les phrases fortes lues dans ses mémoires, il y en a une en particulier qui m’a frappée. C’est une phrase qu’il s’est dite à lui-même alors qu’il franchissait les portes de sa prison, le jour de sa libération. Il s’est dit que s’il n’oubliait pas les offenses subies, s’il ne pardonnait pas à ceux qui l’avaient condamné, à ceux qui avaient tué ses frères, il ne serait jamais vraiment libre et il n’y aurait jamais de paix possible.
Les hommes et les femmes prêts à faire le même chemin existent. Il y a des hommes, et des femmes, et des jeunes, qui pour payer chaque jour un lourd tribut à la guerre, sont prêts aujourd’hui à s’acquitter de la rançon de la paix. Il n’y a plus le choix. La justice fera un jour son travail pour juger les exactions. Mais les hommes et les femmes doivent faire le leur, qui passe par donner de la valeur à la seule chose capable de sauver cette terre endeuillée : la paix. Et pas la vengeance qui risque de ne laisser en partage qu'un océan de tombes. Et pas les accusations mutuelles qui se renvoient la responsabilité des morts. Et pas la violence, que rien ne justifie. Ceux-là enferment. Le pardon libère.
Mandela l’a compris, et l’histoire lui a donné raison. Nous l’avons honoré de nos pensées. Il est temps de le faire vivre dans nos choix et dans nos actes, maintenant et plus que jamais. Faisons vivre son héritage et son exemple en relayant inlassablement les paroles, les actes, les gestes, de ceux qui croient en la paix, même au cœur du tourment, surtout au cœur du tourment. C’est le choix que je fais aujourd’hui, ici. Parce que l’horreur qui s’étale ne doit pas être la promesse d’une autre encore plus terrible à venir, mais la raison d’un sursaut et d’un réveil qui n’ont que trop tardé à venir.