Ce n'est pas une véritable histoire, mais plutôt un assemblage de scènes qui attend le spectateur du film «Fissures», dernier long-métrage du réalisateur franco-marocain Hicham Ayouch. Ces scènes évoquent les relations difficiles entre Abdelsellem, Marcela et Noureddine, trois caractères très différents mais qui se retrouvent en relation triangulaire étroite à Tanger, où déroule le film.
Abdel, sexagénaire impulsif et macho, sort de prison et est logé dans la garçonnière de son ami Noureddine. Un soir, Abdel rencontre par hasard Marcela, dans le fast-food où il travaille, et, signe prémonitoire, se met d'emblée à pleurer sans raison. Marcela, artiste-peintre brésilienne, femme libre, indépendante mais aussi suicidaire, vit des aventures à la limite de la folie à Tanger, cette ville aux multiples facettes. Les deux se revoient deux jours plus tard, dans un bar, et il s'ensuit une folle histoire d'amour, un jeu improbable entre possessivité de l'un et désir de liberté de l'autre. Mais quand Marcela rencontre Noureddine, architecte solitaire mais sensible à l'art et à la poésie, les relations se compliquent.
A première vue, cette constellation entre caractères forts, unis de manière improbable pour vivre des moments forts, semble prometteuse. S'ajoute à cela la manière de filmer qui fait penser à des films documentaires ou alors aux films Dogma95, sans effets spéciaux et avec la caméra sur l'épaule pour suivre au plus près le jeu des acteurs. Ce tout a valu au film d'être considéré comme «film rebelle et anticonformiste», de film expérimental, «film choc», «Jules et Jim version trash».
Mais au lieu de tisser un ou plusieurs fils mettant en relief les vies et les destinées des uns et des autres dans le contexte de la diversité de la ville de Tanger, le film juxtapose seulement les scènes, sans véritable histoire. Les scènes sont fortes et pleines d'émotions, mais, sans trame qui contextualise et explique ces émotions, le spectateur est souvent confronté à la question du pourquoi. Pourquoi montrer la mort cruelle d'un mouton égorgé vif? Pourquoi continuer à montrer des scènes d'ivresse, quand après les premières, le spectateur peut avoir compris ce mélange de liberté et de fragilité dont ces scènes témoignent?
Est-ce pour choquer simplement? Hicham Ayouch le formule autrement. «Fissures» veut faire vivre au spectateur des émotions fortes, émotions qui ne s'exprimeraient pas assez au Maroc bien qu'elles fassent partie de la réalité de vie de beaucoup. Selon Ayouch, l'assemblage de scènes sans scénario était un effet de style. Ne pas s'enfermer par un scénario était chose voulue, les acteurs étaient libres d'improviser, d'ajouter leurs touches au film qui s'est ainsi développé sous leur impulsion.
Mais le résultat est que le film a des longueurs et devient par moment ennuyeux en ce que les excès des personnages deviennent prévisibles. Les aspects originaux, la violence des scènes et le doute qui plane sur viabilité de cette relation à trois auraient gagné à être réduits à un court métrage, aussi apte sinon plus à véhiculer une variété d'émotions fortes.
En fin de compte, on ne peut que suivre le réalisateur qui expliquait que ce film est «né d'une urgence, d'un besoin d'expression insoutenable», qu'il répondait à un besoin de se défouler. Et de se demander s'il sert à autre chose encore…
Bande annonce du film: (contient des scènes déconseillées aux moins de 18 ans)