France / Belgique: Burqa, la totale?

Un des résultats du débat sur l'identité nationale en France était la volonté du gouvernement Fillon d'interdire la burqa dans l'espace public en France, à l'instar de la Belgique qui est sur le point de voter une loi dans ce sens. Cela a soulevé de nombreux débats, démesurés si l'on considère le nombre de femmes portant le voile intégral en France. Les chiffres varient entre 367 (chiffre donné par la direction centrale du renseignement intérieur) et 3000 (estimation reprise par la Mosquée As-Salam de Mulhouse), 1900 selon le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux (cité par France 24) – sur à pue près 6 millions de musulmans en France, et 65 millions de Français. Mais ce n'est pas pour autant que les discussions seraient moins virulentes. De plus, des alliances improbables se sont établies dans la scène politique française, car ni la gauche, ni la droite n'ont une position unifiée sur la question.

Le Conseil d'Etat a pourtant statué clairement, dans un rapport dont la presse avait pris connaissance, qu’une interdiction totale de porter la burqa en public en France serait contraire à la constitution de la Vème République. A l'exception d'une décision notable sur l'interdiction du lancer de nains en 1995, l'on ne légifère pas en France sur la base de la protection de la dignité. C'est seulement sur base de troubles à l'ordre public que la burqa pourrait être interdite, mais sur cette base, le Conseil d'Etat estimait qu'une interdiction totale n'était pas de mise. A certains endroits, à certains moments, il peut être nécessaire pour garantir l'ordre public de pouvoir identifier des personnes et donc de voir leur visage. Le Conseil d'Etat conseillait à l'Exécutif de légiférer sur ces détails. Mais pas plus tard qu'hier, Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, annonçait qu'un projet de loi serait déposé en mai. Le Premier ministre François Fillon a affirmé être «prêt à prendre des risques juridiques» parce que  selon lui, «l'enjeu en vaut la chandelle».

Les défenseurs d'une interdiction totale mettent en avant trois arguments principaux, celui de la lutte contre l'intégrisme religieux, pour la sécurité et pour la dignité de la femme.

Sous la burqa peuvent se cacher des criminels, à l'image du braquage d'une banque par deux hommes en burqa en février 2010. On doit l'interdire pour ne pas prendre de risques.

Les opposants féministes et de gauche à la burqa mettent surtout en avant la dignité de la femme et l'égalité des sexes, auxquels le port du voile intégral serait opposé. Une interdiction serait «le début d'une nouvelle page pour l'émancipation des femmes des quartiers populaires à qui on va proposer autre chose que l'enfermement ou la mort sociale», a déclaré Sihem Habchi de l'association Ni Putes ni Soumises.

Au Canada, le Congrès Canadien Musulman a également demandé l'interdiction de la burqa et du niqab, estimant que ces manières de se voiler la face n'avaient pas leur origine dans l'islam, mais plutôt dans les traditions du Moyen-Orient, et qu'effectivement, elles pouvaient être contraire à l'ordre public. Tous se félicitent sur la tenue d'un débat nécessaire pour la France, qui limiterait le communautarisme et l'intégrisme religieux en posant des limites claires à ce qui peut être accepté dans la République française et ce qui ne doit pas l'être.

Dans ce sens, la Belgique était censée être un pays précurseur en matière d'interdiction du voile; le vote final d'une loi déjà élaborée devait se tenir ce jeudi à la Chambre des représentants belges. Mais la politique intérieure du pays en a décidé autrement. Après un ultimatum du groupe Open VLD sur la partition de l'arrondissement Bruxelles -Hal-Vilvorde non pris en compte, le groupe s'est retiré du gouvernement et le premier ministre Yves Leterme à présenté sa démission au Roi. Les turbulences politiques ont rempli l'agenda, mais les opposants de l'interdiction de la burqa ne pourront s'en féliciter. Le vote n'est que partie remise.

En France, les opposants à une telle loi espèrent que le chemin sera long pour le gouvernement. Le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l'homme pourraient paver ce chemin, et l'interprétation du risque pour l'ordre public pourrait devenir un enjeu majeur, tout comme la praticabilité d'une interdiction totale.

Concernant ce dernier point, Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République, s'est exprimé au micro de RTL : «J'aime la loi, je n'aime pas l'interdiction générale», a-t-il dit. Et à ajouter: «je ne sais pas comment on va faire avec les Saoudiennes qui viennent acheter sur les Champs Elysées, par exemple.»

Une critique d'ordre plus générale provient de l'ONG internationale Human Rights Watch. «Des interdictions de cet ordre créent une situation où tout le monde est perdant», a déclaré dans un communiqué Judith Sunderland, une chercheuse de l'ONG. «Elles violent les droits de celles qui ont choisi de le porter et n’aident en rien celles qui sont obligées de le faire», ajoute Mme Sunderland.