Il est 15h, je sors avec mon ami Yasser d’un café du quartier du Maarif, à Casablanca. Nous venions une fois de plus, de refaire le monde… en commençant par le Maroc dans une discussion passionnante. A 50 mètres du café, mon regard croise celui de Jamila, une amie franco-marocaine installée au Maroc depuis de nombreuses années. De loin, nous nous saluons d’un geste de la main. Elle reprend sa communication téléphonique, lorsqu’une personne se rapproche d’elle.
Tout se passe très vite, et plusieurs secondes seront nécessaires pour qu’on comprenne ce qui lui arrive. «Non, non !» crie-t-elle en tenant son téléphone face à ce jeune homme armé d’un couteau (ressemblant à un Opinel). Il finit par lui arracher le portable des mains et démarre en trombe, alors que Jamila tente de le poursuivre en criant «mon téléphone, mon téléphone !».
Nous sommes de l’autre côté de la rue. Face à l’agression dont nous sommes témoins, le réflex marocain nous saisi. Yasser et moi, nous nous mettons à courir, ainsi qu’un inconnu dans la ruelle. Nous rattrapons Jamila et continuons derrière l’agresseur en criant «Au voleur, arrêtez-le !». La ruelle fait quelques centaines de mètres en ligne droite, mais aucune des personnes alertées par nos cris n’a réussi à attraper le jeune qui se montrait en plus agressif avec des grands mouvements de bras, armé de son couteau.
Une course poursuite hollywoodienne sponsorisée par Dacia
Un conducteur au volant de son Dacia Duster réagit vite en démarrant en trombe pour le rattraper et lui couper la route. Il arrive à la fin de la ruelle, au croisement avec le boulevard Zerktouni et essaye de le coincer. Il réussira à ralentir un peu l’agresseur qui commence à avoir peur, mais il reprend sa cavale en traversant le boulevard Zerktouni à toute vitesse sans se soucier de la circulation.
Nous continuons la poursuite. Nous avons repris un peu de terrain sur le voleur qui commence à fatiguer. De 3 ou 4, le groupe des poursuivants a grossi à une bonne quinzaine. Nous crions toujours aussi fort. Les badauds qui sortent des cafés et restaurants longeant le boulevard ne comprennent pas instantanément ce qui se passe. Mais la plupart tenteront d’arrêter l’agresseur, jusqu'à réussir à le bloquer dans une ruelle perpendiculaire, à l’angle du café Le Repère.
L’arrestation fût brutale et si l’agresseur a tenté de donner des coups, il a goûté à tout l’amour que portent les Marocains aux voleurs. Attroupement de plusieurs dizaines de personnes, les poursuivants, les curieux, et une ou deux minutes après arrive Jamila, furieuse et en état de choc simultanément. Elle m’avouera : «en courant je me suis pissé dessus !» Forcément, subir un vol à l’arrachée et être menacée d’une arme blanche laisse des traces chez la victime.
Solidarité de la communauté face à la violence de l’individu
La police qui faisait une ronde dans le quartier sera très rapidement sur place. Le voleur est embarqué. Toutes les personnes présentes sur place, surtout les femmes ont insisté auprès de la victime pour qu’elle ne se désiste pas et qu’elle porte plainte pour que cela serve de leçon. Mais pour Jamila la chose est entendue d’avance. Elle ira porter plainte au commissariat sans aucun remord.
Plus tard dans la soirée, elle me rappelle pour me tenir informé. Le commissaire lui a expliqué que le jeune homme de 23 ans, vivant à Hay Hassani, risque plusieurs années de prison puisqu’il y a eu vol avec préméditation et agression à l’arme blanche. Le contexte ne plaide pas pour le jeune agresseur avec la récente affaire des joueurs du Wydad attaqués à l’aide de sabres. Jamila, soulagée précisera que «ce n’est pas le téléphone qui m’importait, mais tout ce qu’il y avait à l’intérieur : mes contacts professionnels, les photos de famille…».
Ce qui a le plus touché Jamila, c’est l’action spontanée de tous ces inconnus qui ont risqué leur intégrité physique face à un agresseur armée. Face à l’agression d’un individu, seule la solidarité de la communauté pouvait venir en aide à cette victime. Si cette mésaventure était arrivée à Paris ou dans n’importe qu’elle ville de l’Hexagone, hormis un acte courageux isolé, l’agresseur aurait continué son chemin sans être inquiété. L’individualisme a pris le dessus et personne ne souhaite risquer un coup de couteau pour le téléphone portable d’une inconnue. Si la société marocaine suit aussi ce processus d’individualisation, force est de constater que dans les moments graves, une solidarité spontanée se met en place. C’est sûrement la plus grande richesse qu’il convient de préserver, car c’est elle qui nous permet de garder une cohésion, dans une société de plus en plus violente. Casablanca est certes une grande ville, mais garde certains traits typiques d’un douar.