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Grand Angle

Marocaines en migration : Victimes mais pas seulement

Deux chercheuses sont arrivées à des conclusions a priori contradictoires sur la situation des Marocaines émigrées, dans l’ouvrage paru en début d’année, «Mobilités au féminin : La place des femmes dans le nouvel état du monde». Pour l’une, elles vont de Charybdes en Scylla, pour l’autre, elles affirment leurs choix avec force. Explications.

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Précaires, les Marocaines qui ramassent les fraises en Espagne ne sont pas pour autant privées de tout choix de vie. / AFP
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«Dans ces stratégies de survies, l’émigration, tant officielle que clandestine, attire de plus en plus de femmes qui ne se rendent pas compte que, à part quelques success stories très médiatisées, elles vont échanger une précarité marocaine contre une précarité en immigration», assure Nadira Barkallil, professeur à l’Université Mohamed V, à Rabat, lors d’un colloque, en 2006, dont les actes sont publiés aujourd’hui dans «Mobilités au féminin : La place des femmes dans le nouvel état du monde», de Natalia Ribas-Mateos et Véronique Manry (éd.) aux éditions Karthala. Dans son article intitulé, «l’émigration des Marocaines ou l’échange d’une précarité contre une autre précarité» la chercheuse rend la femme marocaine qui émigre deux fois victimes. Sur la base de chiffres, elle mesure notamment la précarité des Marocaines sur les marchés du travail européens.

Pourtant, une deuxième étude publiée dans le même ouvrage, «Les chemins des femmes dans l’émigration transnationale», réalisée auprès de Marocaines en Italie par Francesca Decimo, offre des conclusions opposées. Les Marocaines apparaissent comme les gagnantes du processus de migration. «Le trait le plus distinctif qui émerge des interviews est la capacité substantielle de combiner des sphères différentes de la vie quotidienne. [...] Plutôt que d’être assimilées par le contexte qui les entoure, ces femmes imposent leurs propres idées de participation sociale, de puissance et de citoyenneté», conclut Francesca Decimo, professeure à l’université de Trente, en Italie. Sur la base d’un emploi ou du permis de conduire, elles exercent leur liberté et prennent des décisions que personne ne conteste, selon la chercheuse.

Précarité professionnelle et autonomisation

Entre les deux études, le contraste est violent. Les Marocaines sont-elles victimes de la migration, ou en sortent-elles victorieuses ? «Etre en situation de précarité ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autonomisation pour les migrantes. Les ‘fraisières’ en Espagne, par exemple, ont un statut légal d’une extrême précarité du fait des accords entre le Maroc et l’Espagne. Elles subissent une discrimination réelle, mais cela ne signifie pas qu’elles n’ont pas entamé un processus d’autonomisation», explique Véronique Manry, socio-anthropologue et chargée de mission Diaspora à l’Agence pour la Coopération Internationale et le Développement Local en Méditerranée, à Marseille.

Pourtant le travail, élément objectif, apparaît comme un élément clé des deux études. Pour Nadira Barkallil, «les Marocaines, surtout celles de la nouvelle vague d’immigration, sont souvent considérées comme une main-d’œuvre bon marché, docile, flexible et cantonnées». Parce qu’elles sont à la fois femmes et étrangères, elles possèdent un double handicap sur le marché de l’emploi, comme le révélait notre propre recherche sur les Marocaines de Belgique. Seules 5% d’entre elles disposaient d’un emploi à temps plein.

Travail, élément clé

Au contraire pour Francesca Decimo, le travail est le principal moyen de l’autonomisation des femmes, elles «ont apporté une contribution indispensable aux revenus des groupes familiaux [des Marocains en Italie], car il y avait plus d’opportunités d’emploi pour elles que pour les hommes qu’elles avaient rejoints». «Le processus d’autonomisation des femmes migrantes ne se fait pas exclusivement sur la base du travail, tempère Véronique Manry, il dépend également de la configuration familiale. Dans certains cas, par exemple, une femme qui travaille reverse la totalité de son salaire à son mari.»

Pour elle - indépendamment du travail, et de la précarité réelle qui lui est associée, comme l’autonomisation qu’il peut offrir aux migrantes - la mobilité est en soit la «première voie d’individualisation des femmes migrantes. Il s’agit d’un processus d’autonomisation, d’ascension sociale», explique-t-elle. Pendant longtemps, les études scientifiques ont nié les femmes dans la migration, puis les ont mises en position de victimes. «On disait même pour celles qui étaient restés au pays, que le mari ne ‘les avaient pas fait venir’, comme si elles n’avaient eu aucun choix. Par la notion de regroupement familial elles étaient assimilées à leurs enfants, or elles faisaient le choix de venir, elles établissaient des stratégies, ne serait-ce que celle d’échapper à leur belle-mère !», souligne Véronique Manry.

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