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Troisième anniversaire du 20 février : Des leçons à tirer et des enjeux

Soufiane Sbiti, vice-président de CAPDEMA, s’exprime en son nom au sujet du troisième anniversaire du mouvement du 20 février et des leçons à en tirer.

Publié
Photo le Soir Echos
Temps de lecture: 6'

L’anniversaire du mouvement du 20 février coïncide cette année avec un contexte bien particulier : celui du revers du printemps arabe. Dans les cas de l’Egypte ou de la Tunisie, le printemps arabe est entrain de prendre un tout autre chemin. Dans certains cas, il s’agit d’un chemin plus ou moins heureux et dans d’autres cas, le chemin pourrait être considéré comme moins satisfaisant. Mais qu’en est-il du Maroc ?

Plus les mois passent, plus il s’avère que ni la réforme constitutionnelle ni la victoire du PJD lors des élections n’ont réussi à modifier l’exercice du pouvoir de la monarchie marocaine qu’on pourrait qualifier d’autoritaire. Elle est bien loin la monarchie parlementaire que nombre de démocrates voudraient. On se retrouve plus devant une monarchie exécutive qui tient, de manière directe ou indirecte, à contrôler tous les champs. Plus le temps passe, plus on commence à mieux cerner la chose : il n’est pas uniquement question de concessions que la monarchie devrait faire en fonction de circonstances, mais plutôt de tout un système dont les dysfonctionnements deviennent de plus en plus flagrants et indignes d’un Etat de droit. Que nous reste-t-il donc à faire ? Redresser des bilans ? Regretter ? Se désoler et attendre un autre tournant de l’Histoire ? Ou plutôt, ne serait-il pas opportun d’apprendre de ce qui se passe ici et là pour ensuite essayer de voir plus grand ?

Partant de cette optique, il se trouve être nécessaire de rappeler le contexte qui a tout pour nous être favorable à long-terme, mais également d’insister sur un point qui tend à freiner l’élan et la créativité de cette jeunesse qui a été derrière le mouvement du 20 février.

Apprendre du printemps arabe

Tout d’abord, prenons notre mise à l’écart du printemps arabe. Devrions-nous à l’heure actuelle la considérer comme un rendez-vous manqué dont il faudra, dans quelques années, se souvenir avec amertume ? Au vu du déroulement des choses dans la région, il n’y a pas lieu qu’il en soit ainsi. Les jeunes, plus spécialement, ne devraient donc pas y voir une sorte d’handicap, mais plutôt un avantage certain sur les autres pays de la région. Il serait plutôt salutaire d’y voir un moyen de tirer les leçons nécessaires de ce qui a pu se passer depuis début 2011. Et de manière plus spécifique, lorsqu’il a dû être question de refonder un pays et d’édifier une toute nouvelle nation.

Les leçons à en tirer sont diverses. Une n’est pas de moindre importance : la nécessite d’un consensus national. En Tunisie et en Egypte, nous avons eu respectivement l’exemple et le contre-exemple. Partant de ce qui a pu s’y passer, la question serait donc de prendre conscience du fait que la nation refondée appartient à tous les citoyens, sans exception aucune. Et qu’on ne saurait exclure de cette nation et de son édification aucune composante ni courant. Cela, quel que soit le résultat des élections.

Se libérer du paternalisme ambiant

Il y a un second point que je souhaiterai aborder et auquel je consacrerai l’essentiel de cet article. Le déclenchement des manifestations du printemps démocratique ne devrait pas être uniquement synonyme de chute des despotes. Un autre aspect se doit d’être mis en valeur : celui de la nécessité du renouvellement. Non pas uniquement des élites au pouvoir, par d’autres élites qui, sous prétexte d’avoir été dans les rangs de l’opposition et d’avoir condamné un régime, prétendent être dans la vérité absolue. Il y a donc, en plus des figures, des idées à renouveler également. La venue du printemps arabe signifiait entre autres que les idées prônées au lendemain de l’indépendance avaient fait leur temps. Et on ne saurait rafistoler l’instant présent par des discours remaquillés. Alors soit. Mais qu’en est-il maintenant ? Et plus précisément au Maroc ?

A chaque anniversaire de ce mouvement de jeunes qu’est le 20 février, il y a comme une sorte d’habitude qui est en train de s’installer. Car habitude, en plus d’être déplacée, devient même indécente. Nous assistons, surtout dans les médias, à la prolifération de militants dépassant la cinquantaine et qui viennent, par je ne sais quelle légitimité d’ailleurs, parler au nom du mouvement, au nom des jeunes et au nom de tout le dynamisme qui a pu marquer le Maroc depuis un fameux 20 février. Ici, une question s’impose : Comment peut-on faire la promotion d’un avenir meilleur alors même qu’on ne laisse aux voix de l’avenir aucune possibilité de s’exprimer ?

Au lieu de cela, que ce soit dans les médias, dans les manifestations et lors des événements publics, il y a une sorte de monopolisation de la parole. Ce sont bien ces gens-là qui prétendent détenir la vérité et la véritable analyse concernant le système actuel. Et il n’y a bien évidemment personne d’autre qui saurait définir avec brio ce à quoi nous faisons face, hormis ceux ayant affronté le régime actuel depuis les années de plomb, voire même pour certains depuis l’indépendance.

Pour ce qui est des jeunes, ils devraient se contenter, selon cette idée, d’applaudir leur bravoure lors des premières manifestations, tout en les encourageant à défier encore une fois la machine de l’arbitraire. Mieux, cela serait encore plus courageux de leur part, s’ils venaient à distribuer les tracts et autres. Peu importeront les conséquences des arrestations. Ce qui devrait plutôt compter c’est le romantisme des actions, au nom de la liberté, de la dignité et du lendemain meilleur.

Passer le flambeau

Vous me direz que c’est un peu trop exagéré que de me plaindre de la monopolisation de la parole dans les médias par cette génération ? Voyons grand et prenons la question du boycott. Lors des dernières élections législatives, un parti de la gauche non-institutionnelle, en l’occurrence le PSU, avait opté pour le boycott au lieu de la participation. Pourquoi ? Certains dirigeants de ce parti expliquent leur choix par ce qui suit : «nous ne voulons pas être compromis». Fort bien. C’est une chose louable de ne pas vouloir se salir. Mais considérant le fait que le parti en question abrite dans ses rangs un nombre conséquent de jeunes, ne serait-il pas justement en train de compromettre l’avenir de ses jeunes en leur refusant la possibilité d’organiser leur toute première campagne électorale ? Pour les voir aller à la rencontre des citoyens et essayer de les convaincre du bien-fondé du programme de leur parti ? Ce choix n’aurait pas pu être considéré comme étant hautement symbolique, au vu des valeurs que le parti prétend défendre ? Niet. La réalité a été autre lorsque le parti en question a choisi plutôt de boycotter des élections qu’il présentait comme étant «falsifiées». A-t-il eu raison ? Là n’est pas la question. Il importe plutôt de savoir si ces jeunes, dont la plupart si ce n’est tous sont issus du mouvement du 20 février, ont appris quelque chose ou non. Et personnellement, je ne crois pas. Voilà donc un parti politique qui se targue d’être à l’écoute du mouvement du 20 février, et qui a failli à son objectif premier et la raison même de son existence, à savoir l’éducation politique des citoyens marocains, et surtout des plus jeunes.

Ce n’est pas tant au parti en question que je m’intéresse, et encore mois à son idéologie dans laquelle je ne me reconnais aucunement, mais ce sont plutôt tous ces jeunes qui ont rejoint ce parti. Ces jeunes qui doivent avoir à peu près mon âge, appartiennent tous à cette génération montante, née dans les années 80 et 90 et qui pourra, dans quelques années, affirmer avec fierté avoir vécu le printemps arabe. Plus que cela, cette jeunesse d’aujourd’hui racontera qu’elle aura fait son propre printemps marocain, en sortant dans les rues un dimanche 20 février et en faisant ce que les partis n’avaient pas réussi à faire depuis plus d'une dizaine d’années. Cette jeunesse est allée jusqu’à faire pression sur un régime qu’on disait inébranlable. Mais bien évidemment, ces jeunes n’ont pas tout su faire. Il y a eu des erreurs, de mauvais choix. Cela aurait pu leur servir de leçons. Mais malheureusement pour d’étranges raisons, ceux qui se complaisaient dans leur médiocrité depuis quelques années déjà, ont continué à le faire en attirant vers eux la jeunesse.

Il n’est pas à nier que cette précédente génération dont il est question a déjà énormément fait pour le Maroc. En effet, vers les années 90, leur combat pour le respect des droits de l’Homme a été bien plus que symbolique. Il a amélioré les choses dans le bon sens. Et nous ne sommes pas sots pour oublier ou ignorer tout ceci. Mais il y a cependant une chose qu’on devrait apprendre et enseigner : l’humilité. Cette précédente génération devrait plutôt être satisfaite de son parcours et de son travail, et penser à passer le flambeau à qui viendra les remplacer. A savoir, nous, les jeunes.

Le défi des jeunes

Ces jeunes qui vont, tôt ou tard, devoir récupérer ce qui leur est dû, devraient tout d’abord savoir ébaucher les tâches essentielles. La première serait tout d’abord d’être à cheval avec le lexique. Les années à venir ne doivent pas être pour nous des «combats à continuer» ou encore «des luttes à reprendre». Mais il s’agirait plutôt de songer à provoquer la rupture entre les pratiques passées et les pratiques futures qui vont nous donner la possibilité d’atteindre nos buts. La seconde tâche serait ensuite de définir quels sont au juste ces «buts». Il doit être question de construire un Maroc à défendre et à proposer à la société qui ne cesse d’évoluer. Dans ce Maroc, nous pourrons nous reconnaître, nous, et toutes les composantes de la nation que nous aurons à édifier. La troisième tâche devrait être de l’ordre du temporel. Pour quelle échéance faisons-nous tout cela ? Pour maintenant ? Pour les prochaines élections ? L’idée ne devrait pas être de viser le court terme et d’améliorer la situation actuelle, durant le présent mandat de ce gouvernement. Elle doit être encore plus grande et implique de songer à une nouvelle génération de réformes. Réformer quoi ? A l’heure actuelle, la question paraît plus que «déplacée», étant donné le fait que tout est à réformer et à reconstruire. A nous simplement de le vouloir, de le décider et d’apprendre à le faire, petit à petit.

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Soufiane Sbiti
Militant
Vice-président de Capdema
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