Mamadou Diarra attendait, ce matin, lundi 2 février, d’être sorti de la prison de Salé pour être conduit au tribunal militaire de Rabat. Mais la première audience de son procès a été finalement annulée sans que son avocate, Me Naïma El Guelaf – qui s’était occupé de l’affaire Anouzla à ses débuts, ne soit prévenue. Mamadou Diarra, jeune migrant subsaharien, est accusé du meurtre d’un militaire, au poste frontière Farkhana, entre Melilla et le Maroc, le 10 juillet 2012.
«En guise de représailles collectives contre la population migrante, les jours suivants, plusieurs centaines de personnes [...] seront arrêtées lors d’opérations de ratissages et refoulées à la frontière algérienne», explique dans un communiqué le collectif d’associations, dont le GADEM, qui s’est ému du sort de Mamadou Diarra, interpellé lors de ces arrestations collectives. Accusé d’avoir lancé la pierre qui a mortellement blessé le militaire, il séjourne en prison depuis un an et demi.
Une audience sans traducteur
Craignant un procès injuste puisqu’il oppose un jeune migrant démuni, ne parlant ni français ni arabe, à l’armée, les associations avaient donc organisé un sit-in ce matin devant le tribunal militaire. «Depuis son arrestation, il n’a été entendu qu’une seule fois par une juge d’instruction, sachant qu’il n’y avait lors de cette audience aucun traducteur du bambara à l’arabe», rappelle Me Naïma El Guelaf. Les associations demandent la libération provisoire de Mamadou Diarra et la suspension de la loi qui autorise un civil à être présenté à un tribunal militaire.
Selon le dahir n°1-56-270 de 1956 formant le code de justice militaire, peuvent être jugées par le tribunal militaire «toutes personnes, quelle que soit leur qualité [militaire ou civil, ndlr], auteurs d'un fait, qualifié crime, commis au préjudice de membres des forces armées royales et assimilées». Il est possible de considérer que ce dahir entre en contradiction, depuis juillet 2011, avec la nouvelle constitution du royaume. A l'article 127, elle précise que : «les juridictions ordinaires ou spécialisées sont créées par la loi. Il ne peut être créé de juridiction d’exception», or les tribunaux militaires peuvent être assimilés à une juridiction d’exception.
Pas de civil jugé par un tribunal militaire
Le droit international encadre peu le bon fonctionnement d’une juridiction militaire. Un projet de principes sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires, a toutefois été réalisé par la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme des Nations Unies en 2004. Le principe n° 5 prévoit que «[l]es juridictions militaires doivent, par principe, être incompétentes pour juger des civils. En toutes circonstances, l’Etat veille à ce que les civils accusés d’une infraction pénale, quelle qu’en soit la nature, soient jugés par les tribunaux civils».
Sur ce principe, qui fait plutôt le consensus au niveau international en matière de défense des droits de l’homme, le Conseil National marocain des Droits de l’Homme (CNDH) avait élaboré pour le roi un rapport, début mars, sur la réforme du tribunal militaire. «Le rapport préconise notamment que les civils ne soient plus poursuivis devant le tribunal militaire et que la compétence de ce dernier soit rétrécie», avait alors indiqué un communiqué officiel du palais royal dans lequel le roi se félicitait «de l'esprit de la démarche et de la teneur des rapports thématiques».
Est-ce dans une perspective de réforme que la première audience du procès de Mamadou Diarra a été annulée ou pour éviter sa médiatisation ? Le jeune subsaharien attend toujours son procès. «Sans audience nous ne pouvons demander la libération provisoire du jeune homme», regrette Stéphane Julinet, chargé de programme droit des étrangers et plaidoyer au Gadem. «Nous ne savons pas quand aura finalement lieu la première audience, le tribunal militaire ne prévient pas des audiences à l’avance», précise son avocat Naïma El Guelaf