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Grand Angle

En finir avec une certaine "hypocrisie sociale"

« Chez nous, il n’y a jamais eu de sida, ou si peu de cas que ça ne mériterait même pas un sujet de conversation. Chez nous, et jusqu’à il y a quelques années, les accidents de la route, les incendies mortels, les inondations et les catastrophes naturelles, on ne connaissait pas, et lorsque la télé en parlait, c’était pour nous montrer des images venues d’ailleurs. Chez nous, la vache folle, le mouton psychotique, le poulpe parano, la sardine énervée et la poule enrhumée, niet ! C’est pas ici que ça se passe. Awwaah, même pas un petit kreutzfeldt Jacob ou un discret atchoum avicole pour nous donner l’impression que finalement, nous aussi, on ressemble aux autres ».
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L’ironie est de Yassine Zizi, dans sa chronique parue dans le "Journal Hebdomadaire" du 25 au 31 mars 2006. Arrêtons de rire un instant (c’est vrai que Yassine Zizi a un sens de l’humour qui ne laisse personne impassible…) et prenons-le au sérieux. Car ses écrits (très généralement) transpirent des relents du faire rire en châtiant les moeurs de Molière…En effet, dans cette chronique, Yassine Zizi relevait, entre autres, l’émission de M6, "Enquête exclusive", diffusée le 19 mars dernier, et qui se penchait sur le tourisme sexuel –fléau mondial- qui n’a pas épargné le Maroc. Pire, les reporters dépêchés sur place à Marrakech, pensent que le pays ‘’semblent succéder à la Thaïlande et aux Philippines en matière de tourisme sexuel’’. Bref, dans le reportage, on voyait un rabatteur proposant un môme de huit ans à un ‘’client’’ au prix initial de 150 euros avant d’en arriver … à 15 euros.

Le même jour sur la chaîne ‘’Arte’’, se passait un documentaire intitulé ‘’Hchouma ou le poids de la honte’’, et où on racontait le calvaire des mères célibataires contraintes de quitter le giron familial parce qu’elles ont ‘’commis le péché charnel’’… Et on oublie que ces mères n’ont pas été les seules responsables, que la plupart d’entre elles ont succombé par amour ; que des hommes vendeurs d’illusions et sans cœur leur ont promis le mariage avant de se dérober une fois le feu ardent qui couvait en eux s’est éteint…

Avant l’émission de M6, toujours à Marrakech, il y a eu en mars 2005 un ‘’polar sexuel’’ avec mort d’homme à la clé, Imad Ait Bich. Au mois de janvier de l’année courante, un autre scandale de mœurs éclate dans la ville ocre, suite à une émission de la télévision espagnole ‘’Antenna 3’’ qui a diffusé un reportage sur la prostitution infantile, avant que la police ne démantèle un réseau de pornographie homosexuelle qui recrutait parmi la jeunesse ‘’paumée et déshéritée’’. Sans oublier les CD pornographiques à Agadir en avril 2005, et de l’affaire des ‘’600 marocaines’’ qui, selon le magazine arabophone ‘’LAHA’’, seraient parties en Israël initialement pour travailler comme femmes de ménages, mais qui auraient basculé dans ‘’le plus vieux métier du monde’’.

Concernant les accidents de la route (3500 personnes sont tuées sur les routes marocaines, soit dix tuées par jour) sur lesquels ironisait Yassine Zizi, ce n’est un secret pour personne qu’il y a beaucoup de laxisme dans la délivrance des permis de conduire de la part de bon nombre d’auto-écoles : dans une de ses chroniques Khalid Jamaï se plaignait d’un reportage d’un journaliste Français qui se serait procuré complaisamment d’un permis dans une auto-école de Casablanca au prix de… 200 DH…

Tous ces problèmes ne sont pas spécifiques au Maroc. Loin de là. Ce sont des fléaux dont les ramifications se trouvent partout dans le monde. Mais le hic est de considérer qu’en parler est du ‘’hchouma’’. D’autres évoquent l’image du royaume à l’extérieur, en oubliant que la meilleure façon de se soucier de la bonne image du pays en dehors des frontières, c’est de se regarder en face, c’est de renoncer au ‘’circulez, il n’y a rien à voir’’, d’ouvrir les yeux -sans complaisance aucune- sur les tares de la société afin d’y apporter les remèdes qui conviennent.

Quand le maire de Marrakech, Omar Jazouli, dans un entretien à ‘’Maroc Hebdo International’’ du 1er au 7 juillet 2005, reconnaissait qu’il y a des touristes qui viennent pour des ‘’escapades sexuelles’’, mais que ‘’de là à taxer [sa ville] de destination du tourisme sexuel est complètement faux, qu’il n’y a pas de tourisme sexuel à Marrakech’’, on imagine aujourd’hui qu’il a mis du bémol dans son enthousiasme. Les faits lui ayant donné tort, même s’il avait fait un aveu de faiblesse en déclarant qu’ ‘’ on ne peut pas tout contrôler’’.

Maintenant, comme le suggère un sociologue, il faut que les Marocains aillent ‘’vers plus de réalisme, de pragmatisme’’, et d’ ‘’admettre que non seulement le tourisme sexuel [tout comme d’autres maux] existe, mais que le Marocain lui aussi est consommateur d’alcool, de drogue, de sexe. Des réalités incontournables qu’il faut désormais admettre’’ au lieu de se confiner dans un reniement permanent. Et une question intéressante que Abderrahmane Yazidi, syndicaliste et président de l’association ‘’Anaruz’’ pour le soutien des femmes victimes de discrimination et de l’intolérance, dans son passage au rituel interrogatoire de ‘’Tel Quel’’ du 18 au 24 mars dernier, adressait aux autorités : ‘’ Pourquoi est-ce qu’il suffit de promettre à un Marocain de l’emmener ailleurs pour que toutes ses barrières de défense tombent ?’’

En tout cas, au moment où se tiennent à Tanger les sixièmes assises internationales sur le tourisme qui ambitionne d’accueillir dix millions de touristes à l’horizon 2010, les autorités devront avoir à l’idée de protéger nos mômes contre ces visiteurs à la recherche d’ ‘’émotions fortes’’, contre ces ‘’agresseurs de valeurs’’. Et les partis politiques devraient jouer davantage leur rôle dans la lutte acharnée que mène le Souverain contre la pauvreté, au lieu d’attendre à chaque fois que le Roi donne l’impulsion pour que tout le monde se réveille. Car à l’origine de ces maux, pour la plupart des cas, la misère et le désespoir des gens qui, malgré eux, succombent dans l’indignité.

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