Menu

Grand Angle

Relations Maroc-Afrique subsaharienne : L'amorce d'une nouvelle ère

Depuis lundi dernier le roi du Maroc Mohammed VI effectue un voyage dans quatre pays d'Afrique subsaharienne (Gambie, Congo, République Démocratique du Congo et Gabon). L'occasion pour nous de jeter un coup d'œil sur l'état de la politique africaine du souverain à l'aune de celles de ses prédécesseurs.
Publié
DR
Temps de lecture: 6'
« Pays de grandes et anciennes civilisations qui s'y succèdent depuis des millénaires, carrefour de brassage et de passage de races, pays méditerranéen et subsaharien à la fois, balayé par les vents du Grand Large de l'Atlantique et taraudé par les courants descendants des glaciers du Nord qui viennent taquiner ses longues côtes blanches avant de s'étirer vers le sud, mur inexpugnable de l'expansif empire ottoman, point de départs périodiques d'émigrants vers le sud savanien et l'Est sud saharien où ses descendants, au contact de populations noires, ont bâti de brillants empires, autant d'éléments qui caractérisent la singulière aventure du Maroc et son africanité d'une richesse telle que seul Dieu peut donner aux peuples ».
Sans nous attarder donc sur l'enracinement historique du Maroc dans le giron africain dont Abdoulaye WADE nous a offert un beau résumé, il s'agit de voir la place qu'occupe l'Afrique subsaharienne dans la politique extérieure du royaume sous Mohammed VI. Mais étant donné que « l'étude d'une politique ne peut se limiter à une synthèse de données ponctuelles, mais plutôt jaugée à l'aune des ruptures avec la politique précédente », il serait judicieux de jeter un regard, ne serait-ce que furtif, dans le rétroviseur des relations entre le Maroc et les autres pays du continent sous ses prédécesseurs, à savoir Mohammed V et Hassan II.

L'Afrique dans la politique étrangère du Maroc sous Mohammed V et Hassan II

Le joug du protectorat tombé, le Maroc recouvrait sa souveraineté grâce à l'opiniâtreté d'un homme, Mohammed V dont les premières options politiques allaient être le ralliement du camp progressiste, le soutien aux peuples colonisés (avec par exemple la conférence anti-colonialiste de Casablanca en 1961), l'aide militaire discrète à l'Algérie, le soutien au Congo de Patrice Lumumba ; le ralliement du camp des non-alignés dans le sillage de la conférence de Bandoeng, etc...
Pour résumer, la conjoncture de l'époque étant dominée par le processus de décolonisation des peuples africains, la politique africaine du Maroc était d'aider à l'émancipation des peuples africains, mission dans laquelle l'apport considérable de Mohammed V est connu de tous.

Pour ce qui concerne son successeur, Hassan II arrivé au trône en 1961, sa politique africaine a connu plusieurs phases au gré de l'évolution du dossier du Sahara. En effet, la préoccupation du roi en ce moment était le recouvrement du « Grand Maroc ». Un grand projet qui conditionnait donc ses relations avec les Etats du continent qui, soit dit en passant, ont accepté l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Et dans lequel le puissant parti de l'Istiqlal très en flèche sur la question risquait de lui ravir la vedette. Il faut attendre jusqu'à la décennie 1970 pour assister à un véritable réchauffement des relations Maroc-Afrique subsaharienne, surtout à la suite de la reconnaissance de la Mauritanie en tant qu'Etat souverain à part entière et l'entrée du royaume à l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) dont il est un des fondateurs. Pour rappel, le Maroc « mû par une volonté unitaire africaine », avait organisé avec le Ghana, à Accra, en 1958, la première conférence des Etats indépendants.

Cette dynamique de réarticulation et de redynamisation du champ diplomatique marocain va se poursuivre jusque dans les années 1980, pour marquer ensuite un grand virage dans les années 1990. En effet, dans les années 80, le royaume va nouer des relations avec des pays comme l'Angola (1985), le Cap Vert (1987), etc. ; et avec la création de l'Agence Marocaine de Coopération Internationale (AMCI) en 1986, destinée à la formation de cadres étrangers et surtout africains, le signal est donné...
Dans les années 90, l'intérêt pour l'Afrique s'est encore accru : dans la première moitié de la décennie pas moins de 150 accords ont été signés contre 120 de l'indépendance à 1987. Il y a eu également la participation d'un contingent marocain de 1250 militaires à l'opération de maintien de la paix « restore hope » en Somalie entre 1992-1993. Sans parler des visites de 6 chefs d'Etat, de présidents d'Assemblées Nationales et de ministres effectuées dans la seule année 1996, etc.

Mohammed VI et l'Afrique

Quid de l'apport du nouveau souverain dans les relations du Maroc avec les pays du continent ? Depuis son accession au trône en 1999, on aura vu le dynamisme du nouveau roi sur le plan continental. En effet, à peine deux ans après son avènement, le roi effectuait une visite officielle au sud du Sahara en 2001. En juin 2004 et en février 2005, le souverain effectuait de nouveau un périple africain. Un an après, février courant, Mohammed VI se rend en Gambie, au Congo, en république démocratique du Congo (RDC) et au Gabon. Sans parler du voyage effectué l'été dernier au Niger pour porter secours a ce pays frère victime d'une crise alimentaire due à la sécheresse et dont, faut-il le rappeler, le royaume a été le premier à avoir répondu au cri de détresse lancé. On voit donc un véritable regain d'intérêt pour le continent suivi de beaucoup de concrétisations et de nouveautés. En effet, comme l'a si bien noté Mustapha Sehimi à propos de la dernière visite du souverain au Burkina Faso, en Mauritanie, au Sénégal et au Gabon l'an dernier, il ne s'agissait pas seulement de rencontres et de déplacements conventionnels avec un ordre du jour conventionnel sur des accords de coopération. Mais il y a eu un nouvel aspect qui aurait souvent été négligé dans les rapports interafricains où il y a un accord commercial, un accord douanier, un accord fiscal…Cette nouveauté c'est la coopération sociale, c'est-à-dire la proximité, l'aide concrète apportée aux populations à travers les stocks de pesticides, les stocks de médicaments, la possibilité d'hospitalisation dans les hôpitaux marocains d'un certain nombre de ressortissants, etc.

L'implication également du souverain en faveur de la suppression de la dette des Pays Moins Avancés (PMA) selon l'expression consacrée, notamment lors de la conférence extraordinaire de ces pays à Rabat en juin 2003 n'a jamais fléchi... Dans la même lancée, le roi décide d'une ouverture unilatérale du marché marocain à ces pays avec suppression de leurs dettes. Plusieurs accords de coopération seront signés : en juillet 2003, 270 accords ont en effet été signés, ce qui est considérable comparé aux 88 accords signés entre 1972 et 1985.On a également noté la multiplication des programmes de coopération dans les domaines de l'agriculture, de l'hydraulique, les aménagements urbains, les infrastructures, l'éducation...

Autre signal fort : le rapprochement avec les organisations régionales comme l'Union Economique et Monétaire Ouest Africain (UEMOA) et la signature en octobre 2000 d'un accord préférentiel de commerce et d'investissement, prévoyant l'abolition partielle des droits de douane et l'encouragement des opérateurs économiques à des investissements réciproques. Le Maroc rejoint, en outre, en 2001 la Communauté des Etats Sahélo-Sahariens (COMESSA) qui regroupe une quinzaine de pays. La liste des accords de coopération économique n'est pas exhaustive.
Last but not least, le 27 février 2002, Mohamed VI parvenait à réunir à Rabat les chefs d'Etat Lansana Conté de la Guinée, l'ancien président du Libéria Charles Taylor et Ahmed Tejan Kabbah de la Sierra Leone. Une grande prouesse, car aucune diplomatie n'avait réussi jusque- là à réunir autour d'une table ces trois frères ennemis. Ce qui témoigne de l'intérêt marocain de plus en plus prononcé vis-à-vis du continent.

Sur le plan historique et géographique, on voit donc que la vocation africaine du Maroc ne peut être démentie. Au plan politique également, de gros efforts sont fournis par Rabat dans le rapprochement des peuples. Il reste sans doute à mieux expliquer davantage la politique africaine du nouveau roi à certains secteurs de l'opinion publique marocaine (la presse nationale doit jouer un grand rôle dans ce sens). Car ceux-ci n'appréhendent pas suffisamment la portée de cette orientation parce qu'ils surdimensionnent la vocation européenne du Maroc ou ses solidarités culturelles avec d'autres aires.
Mais avec l'AMCI (qui est un véritable relais de cette politique africaine du Maroc avec plus de 7000 étudiants boursiers regroupant 35 pays), associée aux efforts de l'Institut des Etudes Africaines, cela permettra de renforcer la connaissance mutuelle entre africains du Nord et ceux du Sud. Une nécessité, car en plus de ce que nous avons en commun, nous avons également beaucoup de choses à nous offrir. Sur tous les plans.



Sources :

- Iba Der Thiam, « L'Unité Africaine », conférence donnée à la Cité Universitaire de Rabat le 24 novembre 2000
- La Mauritanie contre vents et marées, mémoires de l'ex président mauritanien Maktar Ould Daddah
- Alain Antil, Le royaume du Maroc et sa politique envers l'Afrique subsaharienne, étude réalisée par l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI) en novembre 2003
- Abdallah Saâf, Le Maroc et l'Afrique après l'indépendance, publication de l'institut des Etudes Africaines, Rabat, 1996
- Abdelaziz Barre, « La politique marocaine de coopération en Afrique. Essai de bilan » . in Abdallah Saâf : Le Maroc et l'Afrique après l'indépendance, publication de l'institut des Etudes Africaines, Rabat, 1996
- El Mellouki Riffi Bouhout, « La politique marocaine de coopération avec l'Afrique subsaharienne » in in Abdallah Saâf : Le Maroc et l'Afrique après l'indépendance, publication de l'institut des Etudes Africaines, Rabat, 1996
- L'Agence Marocaine de Coopération Internationale (Amci)
- Entretien avec le politologue Mustapha Sehimi
Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com