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Tribune

Le rapport de développement humain : Démocratie et modernité pour assurer le développement

Il faut commencer tout d’abord par rendre hommage aux rédacteurs du Rapport de Développement Humain, qui ont analysé 50 ans de développement humain au Maroc (1955-2005), et ont élaboré des perspectives pour 2025. C’est le travail scientifique d’une centaine de personnes indépendantes, pendant deux ans, et qui a donné lieu à 16 rapports thématiques, 75 contributions individuelles, et l’évolution de 100 indicateurs sur 50 ans.
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Ce rapport a d’abord fait le bilan de 50 ans du Maroc en toute objectivité. Sur le plan politique, cette période a permis au Maroc de connaître la paix civile, et d’éviter la dérive totalitaire, qu’ont connue plusieurs pays après leur accession à l’indépendance. C’est une période au cours de laquelle a été consolidé l’Etat moderne, notamment par les diverses Constitutions qui ont été promulguées. Elle a été aussi, malheureusement, marquée par la lutte de pouvoir entre la Monarchie et l’opposition progressiste, une « conflictualité qui a été trop longue et très coûteuse ». Des atteintes graves contre les droits de l’Homme ont été commises pendant ce qu’on appelle communément « les années de plomb ». La gouvernance centralisée et une administration inefficace et pléthorique ont encouragé la corruption et le népotisme.

Heureusement à partir des années 1990, une ouverture politique a permis une amnistie générale, la constitution du Comité Consultatif des Droits de l’Homme, une amélioration de la transparence des élections, et l’avènement du gouvernement d’Alternance en 1998. Cette ouverture politique a été couronnée en 1999 par l’avènement du Roi Mohamed VI, qui a amené un souffle nouveau, marqué par le nouveau concept d’autorité, la révision du code de la famille, la création de l’IRCAM, de l’IER, du HCA, et de l’INDH. Le nouveau Roi a ainsi marqué sa volonté d’émanciper d’avantage la femme marocaine, de reconnaître la spécificité amazighe, de réconcilier le Maroc avec son passé récent, d’ouvrir l’audiovisuel, et de lutter contre la pauvreté.

Sur le plan économique, le Rapport a d’abord retracé la politique économique des 50 dernières années, marquée par l’interventionnisme de l’Etat, une première ouverture libérale à partir de 1982, l’instauration de la politique d’ajustement structurel (PAS) en 1983, la privatisation et une plus grande ouverture libérale à partir de 1993. Cette politique a permis la stabilisation de la production agricole, notamment grâce à la construction de nombreux barrages, l’industrialisation sélective du pays, et le développement des services, notamment banques, assurances, et tourisme.

Mais cette politique n’a pas réussi à assurer un taux de croissance élevé, entraînant un chômage endémique à deux chiffres, et une augmentation insuffisante du revenu moyen par habitant. Elle s’est caractérisée également par une économie de rente, profitant à quelques uns, au détriment du plus grand nombre. De plus, les réformes structurelles n’ayant pas été opérées dans l’agriculture, ont rendu l’économie globale dépendante de ce secteur, et de ses aléas climatiques. La mauvaise gouvernance des Entreprises publiques, a entraîné pour l’Etat des pertes financières importantes, et un manque à gagner considérable pour la Nation. Il en résulte une compétitivité de l’économie nationale faible, tant vis-à-vis de l’extérieur, qu’à l’intérieur même, du fait des Accords de Libre-échange signés par le Maroc. Enfin le secteur informel s’est largement développé, et représente selon certaines statistiques 50% du PIB national. Cependant à partir des années 2000, des réformes législatives et réglementaires, le succès des privatisations (Maroc- Télécom, Régie des Tabacs), le développement des infrastructures (Autoroutes, Tanger-Med) ont atténué la morosité économique ambiante, mais sans solutionner structurellement les problèmes économiques qui se posent au pays.

Sur le plan social, le Rapport a mis en exergue les avancées sociales qui ont concerné l’espérance de vie, passé de 47 ans en 1962 à 71 ans en 2004, et la maîtrise de la fécondité des femmes, qui est passée de 7 enfants à 2,5 enfants pendant la même période. De même qu’il signale le taux d’urbanisation qui est passé de 29% en 1960 à 55% en 2004, l’émancipation de la femme marocaine qui joue un rôle économique et social de plus en plus important, ainsi que le développement du monde associatif et la Société Civile. Il met également l’accent sur la Diaspora marocaine à l’étranger, qui s’est beaucoup développée, et qui joue un rôle économique important vis-à-vis de son pays d’origine (transferts financiers, tourisme). Cependant ces avancées ne doivent pas masquer les graves déficits sociaux dont souffre la société marocaine. C’est ainsi que le Maroc est classé au rang peu honorable de 124ème dans l’indice de développement humain, calculé par les Organisations internationales. Les maux sociaux les plus graves concernent l’Education, en crise depuis 1980, qui n’a pas éradiqué l’analphabétisme, qui a connu une baisse de qualité, et qui se caractérise par une école à plusieurs vitesses. Dans le domaine de la Santé, l’accès aux services reste incomplet et inégalitaire, marqué par un mauvais état général des dispensaires et hôpitaux. La pauvreté quoiqu’en baisse proportionnellement à la population (14,2% en 2005) touche encore 5 Millions de personnes. Le logement insalubre s’est largement développé dans les campagnes, et à la périphérie des villes.

L’inégalité est largement territoriale, puisque 40% de la richesse nationale est contenue sur 1% du territoire. Enfin, les jeunes, d’après les propres termes du Rapport « n’ont pas été intégrés dans l’équation globale du développement ». Ces jeunes souffrent de mal- formation, de chômage, de précarité, s’adonnent à l’émigration clandestine au péril de leur vie, et sont la cible des mouvements extrémistes.

Face à cette situation, le Rapport préconise, sans entrer dans les détails, et en appelant au débat public, un certain nombre de pistes. Ces pistes concernent d’abord le politique, qui doit permettre la consolidation de la Démocratie, le respect des Droits de l’Homme, de l’Etat de Droit et des libertés individuelles et collectives. Le Rapport appelle à une réforme constitutionnelle, et une recomposition du champ politique marocain en blocs idéologiques clés. Ceci ne peut se faire sans une réhabilitation du rôle des partis politiques. Le Rapport recommande également l’option régionale avec la décentralisation et la déconcentration de l’Administration, qui doit être réformée. Enfin, il insiste sur l’amélioration de la gouvernance politique qui doit passer par la participation, la planification, l’évaluation, et la nécessité de rendre compte.

Sur le plan économique, le Rapport préconise la poursuite des réformes en vue d’intégrer le Maroc à l’économie mondiale. Les problèmes sociaux ne peuvent être résolus que par une croissance forte (5 à 6%), et la création de 400.000 emplois par an. Ceci passe par l’instauration d’un environnement favorable à l’investissement national et étranger, l’accentuation de la recherche et développement, et la création de pôles régionaux de compétitivité. Cela nécessite également une réforme fiscale, une révision du statut foncier, et une réduction du secteur informel. Sur le plan sectoriel, les pistes proposées sont la réforme du secteur agricole, l’activation des plans AZUR (Tourisme) et Emergence (Industrie), le développement des infrastructures, l’élaboration d’une nouvelle politique en matière d’eau et d’énergie.

Sur le plan social, le Rapport insiste tout particulièrement sur l’Education. Le Maroc doit intégrer la société du Savoir, par l’éradication de l’analphabétisme, la réussite de la réforme en cours, et la formation continue. Il doit poursuivre une politique intensive d’inclusion des jeunes et des femmes, ainsi que l’inclusion territoriale par l’aménagement du territoire. Une nouvelle politique de la santé doit être élaborée avec la généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO). La lutte contre la pauvreté, lancée par l’INDH, doit être prioritaire, et l’affaire de tous. Enfin, la lutte contre le logement insalubre doit être accentuée.

En conclusion, on ne peut être que d’abord sur les recommandations du Rapport de Développement Humain qui préconise, pour synthétiser, la démocratie et la modernité pour sortir notre pays des graves difficultés présentes et à venir. Comme indiqué par les rédacteurs, ce Rapport doit faire l’objet d’un débat public, impliquant toutes les composantes de la société : pouvoirs publics, partis politiques, syndicats, société civile. Ce Rapport tombe à point nommé, et peut servir de banque de données, pour élaborer les programmes des partis politiques, qui vont s’affronter aux prochaines élections législatives de 2007, en espérant que ces partis présenteront cette fois de vrais programmes au choix des électeurs.

Jawad KERDOUDI
Président de l'IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
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