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Interview

Liberté de la presse en Afrique du Nord, entretien avec Saïd Essoulami

A l'occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, l'Association Mondiale des Journaux (AMJ) organisait les 2 et 3 Mars à Casablanca, une conférence sur le thème : « Quelle stratégie pour faire face aux attaques contre la presse en Afrique du Nord ?».
Saïd Essoulami, directeur général du Centre pour le respect de la liberté d’expression dans le monde arabo-musulman (CMF MENA) lève le voile sur «l’état » des libertés de cette presse au Maghreb dans un entretien exclusif pour Yabiladi.com.
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Temps de lecture: 4'
- Yabiladi : L’édition 2008 de la journée mondiale du journalisme a été organisée au Maroc. Est-ce un choix qui répond à des circonstances particulières?
- Saïd Essoulami :
Non. Le Maroc est un pays ouvert ou chacun peut venir. La Tunisie, l’Algérie ou la Libye ne sont pas très favorables à ce genre de manifestations. Le Royaume est un pays ou les journalistes peuvent s’exprimer librement sur les affaires qui les concernent sans peur d’être arrêté ou de s’autocensurer. Voila pourquoi le choix du Maroc.


- La thématique semble faire apparaître que la presse est sous pression au Maroc? Vous partagez cet état de fait?
- Le thème général du séminaire était de réfléchir sur des stratégies pour soutenir la liberté de la presse dans chaque pays de l’Afrique du Nord. Au Maroc, la presse souffre essentiellement de la justice qui n’est pas indépendante. On a vu comment les juges politisent les cas de presse en condamnant les journalistes à des peines de prisons où à des amendes colossales. Les juges subissent de nombreuses pressions et il a été question de mener des plaidoyers envers les institutions qui font pression sur les juges, et bien sûr de continuer à faire pression sur le gouvernement pour la libération de Moustafa Rahmat Allah, journaliste à Al Watan al-An, ainsi que la poursuite du dialogue avec le gouvernement dans le cadre de la réforme du code de la presse.


- Quelles sont les formes de pression que vous dénoncez ?
Il y a des formes de pressions comme les attaques physiques que subissent les journalistes lors des couvertures des manifestations publiques, des pressions économiques avec, par exemple, l’attitude de certains annonceurs publics ou privés qui refusent d’acheter des espaces publicitaires. La pression politique et celle exercée par le gouvernement sur les journalistes par l’usage du soit disant code d’éthique qui d’ailleurs n’existe pas au Maroc, et la plus grave, la rétention de l’information par l’administration marocaine.
Pour d’autres pays, en particulier la Tunisie et la Libye, nous avons réfléchis sur le besoin de faire le bilan des actions menées pour la défense de la liberté de la presse. Malheureusement, ces actions à l’échelle internationale, régionale et nationale n'ont pas abouti. Nous avons également proposé que soient inventés de nouveaux moyens de plaidoyers beaucoup plus effectifs et de mener de formations appropriées pour les défenseurs de la liberté de la presse.


- Que faut-il retenir des débats et travaux qui se sont déroulés durant deux jours?
- Qu’il n’est pas possible actuellement de créer un réseau régional de défense de la liberté de la presse, car des pays travaillant dans ce domaine comme l’Algérie, la Tunisie ou la Libye ne peuvent pas travailler librement. Que les défenseurs de la liberté de la presse doivent inventer de nouvelles méthodes de défense et de protestation en s’inspirant des pays d’Amérique du Sud et d’Europe de l’Est. Et que les institutions internationales sortent de leur timidité et qu’elles exigent clairement dans leurs programmes de partenariat avec ces pays, le respect de la liberté d’expression et de la presse.


- Y a-t-il eu des spécificités qui ont émergées des différents orateurs?
Tous les orateurs ont bien diagnostiqué la situation de la liberté de la presse dans leur pays respectif. Mais la différence était dans le niveau de faire le lien entre la liberté de la presse et les autres libertés publiques et le droit des citoyens. Les marocains étaient les plus pertinents car ils ont pu aborder le sujet dans tous ses détails et sa complexité.


- Vous affirmez donc que le Maroc serait en avance sur ses voisins algérien, tunisien et égyptien ?
Le plaidoyer pour la liberté de la presse est en avance au Maroc par rapport aux autres pays. Les dossiers sont bien connus, et un dialogue entre le gouvernement et les journalistes est en cours même s’il est bloqué sur les questions de peines d’emprisonnement et de la protection du « sacré » contre la critique. Le travail que notre centre a initié sur le droit d’accès à l’information est maintenant bien compris par la société civile et le gouvernement. Il y a de plus en plus d’associations qui se mobilisent sur cette question. Deux choses ont du mal à avancer : le droit des radios associatives à exister et l’éducation des citoyens -surtout les jeunes- aux médias pour comprendre les messages et éviter d’être victime de la manipulation.


- Alors, comment se prépare-t-on à contrecarrer les "attaques" des régimes en place au Maghreb?
D’abord, il faut réfléchir sur la situation des défenseurs de la liberté de la presse dans les pays où ils sont harcelés comme la Tunisie, la Libye ou l’Algérie, désorganisés ou non reconnus par l’Etat tel l’Egypte, et voir comment peut-on les soutenir professionnellement et matériellement. Il faut définir des priorités d’attaques pour ces associations qui sont cohérentes et possible à réaliser. Il ne faut pas demander l’impossible et rester paralyser. Il faut avoir des objectifs concrets, réalisables et trouver des entrées dans d’autres secteurs sur la question de la liberté : les partis politiques, les entreprises, les syndicats, les artistes, les écrivains et les universitaires. La liberté de la presse est une liberté publique et les libertés publiques comme celles du droit de s’organiser et de se réunir impactent directement la liberté de la presse. L’ensemble fait partie de la liberté d’expression. On ne peut pas défendre la liberté de la presse si on ne peut pas se réunir ou s’organiser librement.

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