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Interview

Saïd Essoulami : Point de vue d'un maroco-britannique sur le Conseil supérieur

Saïd Essoulami de nationalité marocco-britannique, est marié et père de trois enfants. Il a fait ses études universitaires en France puis a travaillé en Angleterre où il a contribué au lancement d'Article19, une ONG internationale intervenant dans la défense de la liberté d'expression dans le monde. Onze années durant, il a dirigé son antenne sur le moyen orient et l'Afrique du nord. En 1998, Saïd Essoulami a lancé à Londres le CMF MENA, un centre de recherche et de plaidoyer pour la liberté des médias dans la région MENA, et en 2006, le Centre a ouvert un bureau à Casablanca. Saïd Essoulami est considéré comme l'un des premiers militants/professionnelles de la liberté d'expression dans le monde arabe et il a publié plus d'une centaine de travaux sur la situation dans les pays arabes. Essoulami est le fondateur du réseau Euromed des droits de l'homme et il est membre de la "Task Force Euromed et médias" de la commission européenne ainsi que membre de nombreuses organisations américaines et européennes.
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Temps de lecture: 5'
- Yabiladi : Le Roi Mohammed VI vient d'annoncer la création d'un Conseil supérieur dédié à la communauté marocaine basée à l'étranger. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Saïd Essoulami :
C’est une bonne nouvelle,… tant attendue. Enfin, nous aurons un instrument officiel par lequel les communautés marocaines résidentes à l’étranger pourront influencer sur la politique de l’Etat dans les questions et dossiers qui les concernent.


- Selon vous, cette instance sera-t-elle en mesure de répondre aux exigences de cette communauté ?

Il faut une volonté politique très forte et des moyens humains et financiers importants pour revaloriser au niveau institutionnel les droits des personnes et des communautés marocaines à l’étranger. Ce travail doit se faire par des gens compétents et dans la transparence. Il faut aussi instituer une structure de contrôle et d’audit. Il faut qu’il n’ait aucune place pour les «grosses» erreurs et les dérapages. Les responsables du Conseil doivent être tenus par un code d’éthique et de bonne gestion. Le Conseil doit aussi avoir des postes de proximité installés dans les grandes villes où il y’a une grande concentration de marocains. Il faut aussi définir la relation que ces postes pourraient entretenir avec les ambassades et les consulats.


- On parle souvent de nationalité double, de double culture, d'appartenance plurielle, de citoyenneté universelle,... Quelle lecture faîtes-vous de l'exercice de la citoyenneté pour les Marocains du monde?

Je suis convaincu que la majorité des marocains à l’étranger ont un fort désir de contribuer au développement du pays. Ils le font déjà à plusieurs niveaux, mais leur participation reste centrée dans la construction politique du pays : le droit de vote, le droit de se présenter aux élections, le droit d’être consulté et d’être aussi représenté dans d’autres instances officielles. C’est la jouissance des droits qui permettent à la citoyenneté d’exister. Priver une personne de ses droits et elle refusera d’exercer ses obligations. Les marocains qui ont la double nationalité ne se sentent pas handicapés, au contraire, c’est une richesse pour ce pays. Ceux qui ont pu intégrer les rouages politiques, artistiques, académiques et autres dans le pays hôte ont beaucoup apporté au Maroc. Ce sont en fait des gens qui font de la diplomatie publique. Malheureusement, les responsables dans notre pays ont ignoré cette catégorie de personnes et ils donnent l’impression de n’être intéressé qu’à l’argent de l’immigration. Le côté matériel dans la relation avec les marocains vivant à l’étranger a beaucoup influencé la politique officielle. Cette approche doit cesser. Il y a une grande diversité dans les communautés marocaines et des expertises qu’il faut reconnaitre.


- Des bruits de fonds font état de 80 "cooptations" qui assureront la représentativité de la communauté? Etes-vous intéressé pour apporter votre contribution? Ce nombre a-t-il une signification pour vous?

Je suis intéressé pour apporter ma contribution sur le volet de la Recherche et surtout sur ce qui concerne les programmes de télévision destinés aux membres de la communauté, mais aussi sur la question de la socialisation et la participation des jeunes de l’immigration aux débats et la recherche des solutions aux problèmes en relation avec le Maroc, plus particulièrement à travers les nouveaux médias (forums de discussion, blogs, sites internet, etc.). Des recherches qui peuvent déboucher sur des politiques et des projets concrets. Je souhaite que le Conseil ait un centre de recherche et de documentations sur les communautés marocaines à l’étranger. Un centre qui organise des séminaires et qui publient de vraies études en relation avec les instituts scientifiques de recherche qui sont nombreux dans les pays hôtes. Il faut aussi que le Conseil permette la formation de jeunes qui travaillent dans le tissu associatif dans le pays hôte pour qu’ils puissent mieux défendre les intérêts de leurs communautés auprès des responsables politiques ou autres dans les territoires de résidence. Il y a énormément de possibilité de travail et d’action pour le Conseil.
Quant au nombre de 80 personnes, elles ne représentent qu’elles mêmes tant qu’il n’y a pas eu des élections. Mais je suis sûr que les communautés seront défendues par de très bonnes volontés qui ont des capacités de négociation et de plaidoyer non négligeables. Les critères de choix des personnes doivent être publiés pour être débattues et la liste qui sera soumise à Sa Majesté doit également être publiée. C’est la procédure de transparence démocratique qui doit prévaloir. Pour la crédibilité de l’expérience pilote, le critère de l’appartenance de ces personnes aux communautés doit prévaloir.


- Connaissez-vous la structure qui statut sur les cooptations?

Je pense qu’il y a de nombreuses structures qui proposent des noms. Les transactions seront difficiles. Mais il faut que l’équipe soit homogène et complémentaire. Les femmes doivent avoir une représentativité égale à celles des hommes. Il ne faut pas oublier que les femmes sont très actives dans les communautés marocaines à l’étranger. Les contradictions des appartenances politiques doivent s’éclipser devant le travail pour l’intérêt général car les marocains sont connus pour politiser les structures qui regroupent des individus d’obédience politiques diverses. Ceci sera difficile au début.


- Le Chef de l'Etat a annoncé la lancement de ce Conseil sous la forme d'expérience pilote d'une durée de quatre années. Partagez-vous ce choix?

Je suis d’accord dans la mesure où la période de démarrage sera lente et difficile. Il sera complexe d’organiser des élections libres et transparentes. Il y a au sein des communautés des gens qui ont des pouvoirs importants, non pas parce qu’ils défendent les intérêts des marocains, mais parce qu’ils ont des moyens matériels extraordinaires. Voter, c’est un exercice de citoyenneté. Il y a des marocains qui n’ont jamais voté dans leur vie, ni dans leur pays d’origine ni dans le pays d’accueil. Il faut éduquer, sensibiliser, expliquer pour que le vote soit libre et sur le bon candidat. Il y a aussi les structures de vote à mettre en place. Beaucoup de marocains actifs dans les affaires de l’immigration ne sont même pas inscrits dans les consulats. Je pense que une période de quatre ans est une décision juste pour expérimenter cette nouvelle aventure démocratique.


- Et enfin, qu'en est-il de la communauté britannique, est-elle sensible à la création d'une instance politique qui leur est consacrée?

Bien entendu, la communauté marocaine en Grande Bretagne, à laquelle j’appartiens, est très sensible à ce projet, au même titre que les autres communautés. Nous partageons les mêmes problèmes et les mêmes ambitions. Nous percevons le Conseil non pas comme un cadre pour résoudre les problèmes dans le pays hôte, mais comme une passerelle pour contribuer au développement de notre pays. Il y a des gens qui peuvent apporter beaucoup au Maroc, mais qui malheureusement sont découragés par le labyrinthe bureaucratique et la corruption qui sévit encore dans notre pays. Le Conseil sera aussi un moyen de regrouper la communauté sur des préoccupations et des demandes collectives.


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