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Interview

Interview Kenza Isnasni : «La Belgique connaît une véritable montée du racisme»

Le 7 mai 2002, un double homicide secoue la commune de Schaerbeek, à Bruxelles. Le couple Isnasni, d’origine marocaine, est abattu dans sa propre maison, devant ses enfants. Mobile du crime : racisme.
Cinq ans après, Kenza Isnasni est toujours aussi déterminée ; la mort de ses parents ne doit pas être vaine. Elle a engagé un combat contre la xénophobie, elle est décidée à le poursuivre jusqu’au bout.
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- Yabiladi : Quel est votre sentiment aujourd'hui, cinq ans après le drame?
- Kenza Isnasni :
A l’époque nous nous étions constitués partie civile pour que justice soit rendue et pour comprendre comment un tel drame a pu se produire. Une plainte a été déposée contre x pour non assistance à personne en danger. On se demande pourquoi les autorités compétentes n’ont pas réagi, pourquoi le fond régional du logement bruxellois n’est pas intervenu alors qu’énormément de plaintes avaient été déposées contre l’assassin… Il y a une enquête qui a été menée par le comité permanent de contrôle des services de police, le Comité P. Concernant l’action pour meurtre, elle fut éteinte car le forcené s’était donné la mort.
Beaucoup de promesses ont été faites publiquement par une majorité de politiques qui était présent le jour des funérailles officielles, mais depuis je n’ai rien vu arriver comme initiative concrète et efficace. J’y avais tellement cru. Je pensais qu’on allait vraiment en tirer des leçons. Ensuite, d’autres meurtres odieux ont eu lieu après celui de mes parents et toujours rien. Sur le moment tout le monde est indigné, en colère ; ensuite le temps passe, on oublie et on retombe dans l’indifférence et dans la banalisation du racisme.
J’éprouve actuellement un grand sentiment de déception et de colère. Je vis toujours dans l’incompréhension et à la recherche d’un semblant d’espoir, pour que la mort de mes parents ne soit pas vaine. J’ai toujours cette rage de me battre malgré tout ; cela, je pense que rien ni personne ne pourra me l’enlever.

- Comment sont devenues les choses à Schaerbeek, après ce double meurtre raciste?
- Ce double meurtre raciste a marqué la commune. Au départ, on a pris des résolutions, des initiatives… Ensuite, plus rien. Je pense qu’il y a des initiatives ici et là, mais rien de concret pour du long terme. Au départ, je pense que l’erreur a été d’avoir considéré le racisme comme un phénomène local, de quartier. On a considéré que c’était un fait isolé. Alors que tous les jours, il y a des actes racistes. Il y a des éléments fondamentaux qu’il faut soulever. Il faut un vrai débat de société. Actuellement à Schaerbeek, on n’a pas vraiment conscience de cela, de peur de ternir son image.

- Peu de temps après le drame, vous avez décidé d'agir en créant l'association "Mieux vivre ensemble", le but étant de transformer ce lieu de sinistre mémoire en lieu de rencontre. Avez-vous rencontré des difficultés dans la mise en oeuvre de vos projets?
- Lorsque que j’ai voulu créer ce projet, j’avais un grand espoir de le voir se réaliser. Tout le monde a soutenu ce projet. La commune s’était engagée à m’aider à le réaliser. Je suis arrivée avec ce projet sous le bras en espérant travailler dans un climat de confiance, mais finalement je n’ai eu que des opportunistes en face de moi. On a voulu changer complètement la nature du projet, pour pouvoir faire de la récupération politique et en retirer des intérêts personnels. Mais moi ce n’est pas ce que je recherche. Je n’ai que l’ambition de contribuer, par mon expérience, à un monde meilleur sans peur de l’autre, sans inégalité, avec plus d’échange et de dialogue entre tous. C’est tout.

- Vous veniez de terminer vos études en puériculture lorsque vos parents ont été assassinés. Après ces événements tragiques, vous avez aussitôt changé de voie en entamant des études de communication. Pourquoi ce brusque changement de carrière ?
- Je finis en ce moment mes études de communication car j’ai voulu être apte à gérer mon projet, et pourquoi pas, d’autres projets dans le futur. D’ailleurs, il y en a un en particulier qui me tient à cœur actuellement, mais j’en parlerai au moment opportun. Après mes études je vais continuer mon combat et poursuivre jusqu’au bout toutes mes ambitions et mon militantisme.


- Pensez-vous qu'une volonté politique de réprimer le racisme et la discrimination soit née ?
- Non. Il y a effectivement des lois qui répriment le racisme. Mais il ne suffit pas de créer des lois et de s’en laver les mains après. Les lois c’est très bien, mais est-ce qu’il y a réellement des condamnations, est-ce que ces plaintes sont réellement prises en considération, est-ce que cela a vraiment changé la situation? La Belgique connaît un véritable fléau du racisme depuis la montée de l’extrême droite, qui ne cesse de grandir. C’est sur cela qu’il faudrait le plus s’attarde, et se poser la question de savoir pourquoi les gens votent extrême droite. C’est de toutes ces questions qu’il faut débattre, avec toutes les composantes de la société.

Propos recueillis par
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