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Interview

Accord de Pêche Maroc-UE : Y a le feu en mer !

Abderrahman El Yazidi est Secrétaire général du Syndicat national des officiers de la pêche hauturière qui représentent les intérêts des marins et comptent 7000 adhérents (sur les 10 000 marins que compte le pays). Il se jette à l’eau en se prêtant au jeu des questions-réponses et revient sur l’accord de pêche qui a été ratifié entre le Maroc et l’Union Européenne. Selon lui, il y a le feu dans les eaux marocaines.

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- Yabiladi : A quel stade d’opérationnalité est l’accord de pêche entre le Maroc et l’UE ?
- Abderrahman El Yazidi :
L’accord de pêche Maroc UE est dans sa phase de réalisation. Il a été ratifié par le Souverain et par le Parlement. Plus rien donc ne s’oppose à ce que la flottille européenne commence à pêcher. Cette flottille forte de 119 unités dont 99 dans la catégorie de notre pêche côtière et non des navires artisanaux, représentera, contrairement à ce qui est avancé par les responsables du département des pêches maritimes et la presse nationale, un effort de pêche très important qui aura des effets néfastes sur différentes ressources halieutiques, sur les emplois en mer comme à terre, sur l’approvisionnement des marchés traditionnels et par conséquence sur la rentabilité des armements nationaux, déjà mis à mal par l’envolée des charges d’exploitation de ces dernières années et le fléchissement des captures. Le secteur de la pêche au Maroc agonise.

- Cet accord ne peut pas comporter que des inconvénients, c’est un peu fort de café…
- Les avantages de cet accord pour le Maroc, outre la prétendue dimension politique qui m’échappe, je n’en vois vraiment pas ! On nous parle de mise à niveau, de modernisation de la pêche côtière et artisanale. Pourquoi se fera-t-elle dans le cadre de ce nouvel accord, alors qu’elle n’a pas été réalisée dans le cadre des précédents accords. Des clauses relatives à ces questions y étaient déjà mentionnées. De plus, un programme de modernisation avait été arrêté en 1996 et une enveloppe de 200 millions de dhs était prévue à cet effet. Puis une année s’est écoulée, le programme était arrêté et l’enveloppe utilisée…. à d’autres fins. Depuis, on nous parle de la nécessité de trouver et de bloquer une enveloppe de 200 millions de dhs pour un programme de modernisation et de mise à niveau de la flotte côtière et artisanale. Pour ce qui de là contrepartie financière 36 millions d’euros par an, c’est l’équivalent de 360 appartements à Casablanca d’une valeur d’un million de dhs.

A mon sens, l’accord est une défaite, voire une humiliation pour le Maroc. Alors que nous avons réussi à retrouver notre souveraineté réelle dans nos eaux devant l’arrogance des espagnols qui nous imposaient toujours leur diktat, par le principe de droits historiques de pêcher dans nos eaux, au prix très fort. Y a qu’à se rappeler de l’humiliation de nos soldats sur l’îlot Leïla. Et voilà que nos officiels, en juillet 2005, acceptent des clauses contraires aux intérêts du pays. Supposons que c’est le Roi qui a décidé d’avoir un accord de pêche avec l’UE, qu’est ce qui a empêché nos officiels, en charge du dossier, de négocier sans sacrifier les intérêts de la nation ? En outre, aucun navire européen ne sera obligé de décharger la totalité de ses captures dans les ports du Maroc, une clause hautement de souveraineté. A l’exception des 20 senneurs qui vont pêcher au Sahara, tous les autres navires (au nombre de 99) ne sont pas tenus d’avoir en permanence et sur toute la durée de leur présence dans les eaux marocaines un observateur scientifique pour contrôler les quantités et les espèces réellement pêchées.
A mon sens les gens qui ont négocié et préparé les détails techniques de cet accord ont trahi la confiance du Roi et du peuple.

- On parle souvent, et à juste titre, de la raréfaction de la ressource halieutique. Qu’en est-il concrètement ?
- La raréfaction de la ressource n’est pas un fantasme, mais malheureusement une réalité vécue par de nombreux pêcheurs à travers le monde. Seulement, il y a encore quelques années, nous, Marocains, avions l’impression d’être préservés par ce phénomène. Nous ne le sommes plus ! D’autres pays et notamment ceux d’Europe, touchés par la raréfaction des ressources, mènent une politique drastique de préservation des espèces par des réductions des efforts de pêche. Ainsi ils déplacent leurs efforts supplémentaires vers des pays tiers. C’est ce qui explique l’existence des accords de pêche. Au Maroc, les problèmes de ressources ne pourront être résolus en déplaçant nos efforts de pêche vers d’autres pays. Nous les vivrons par la mise au chômage de nombreux marins et avec une détérioration de nos conditions socio-économiques.

- Il se murmure ici et là que l’Etat s’apprêterait à introduire la TVA sur le gasoil. Info ou intox ?
- Le trafic de carburant en provenance des ports est une très vieille réalité. Il faut aussi reconnaître qu’il y a un important trafic de carburant en provenance du Sahara qui fait le bonheur de beaucoup d’agriculteurs et d’officiels militaires et civils. S’il y a un trafic, c’est que cela arrange beaucoup de nos fonctionnaires et pas forcement les plus petits. L’Etat doit avoir le courage d’y mettre fin et de sanctionner les impliqués quelque soit leur grade. Il me revient a l’esprit l’affaire du militaire basé à Errachidia qui avait dénoncé, il y a quelques années ce genre de trafic. Il a été emprisonné et renvoyé de l’armée.

- Revenons à la ressource et sa disponibilité. Il semblerait que le poulpe «coule à flot» ?
- Effectivement, le poulpe donne des signes de reprise. Mais c’est le seul et par quel traitement ? Des mois de chômage technique chaque année et une interdiction, de fait, de pêcher de nombreuses espèces évoluant dans la zone Sud et qui sont toutes aussi intéressantes à exploiter que le poulpe lui-même. De fait, comme une hirondelle ne fait pas le printemps, une bonne marée sur le poulpe ne veut pas dire que les entreprises de pêches se portent bien. A ma connaissance, elles sont de plus en plus nombreuses à être en redressement judiciaire ou en arrêt d’activité pur et simple.

- Et qu’en est-il pour le merlu, la sardine, les poissons de fond d’eau,…
- En dehors du poulpe, les rendements sur la sardine sont inquiétants. L’Institut national de recherche halieutique (INRH) estime que l’effort de pêche sur les stocks (A et B), traditionnellement exploités par la flotte côtière nationale subissent un effort de pêche supérieur de 20 à 30%, à ce qu’il devrait être. Les opérateurs sur le stock du sud (stock C), ils déclarent que leurs prises sont inférieures de 30% par rapport à l’année précédente.
Pour la pêche à la palangre (hameçons) qui a connu un grand engouement à partir de 1999, fi du précédent accord de pêche avec l’UE, les arrêts d’activité ou les reconversions vers d’autres pêcheries moins sélectives sont la règle. En effet, l’effondrement des prises en merlus et autres poissons de fonds, associé à la non maîtrise des marchés, ne laisse aucun espoir de rentabilité à cette flottille nationale.

- Et le ministère de tutelle dans tout cela. Quelle lecture faîtes-vous de son action en faveur du secteur ?
- En dehors de l’application de la matrice d’aménagement de la pêcherie poulpière, qui n’est d’ailleurs pas appliquée sur tous les segments faute de volonté du ministère de tutelle, je ne perçois aucune politique claire et prospective de la part du département des pêches maritimes. J’ai l’impression que ce département développe surtout sa fonction de «sapeur-pompier» et que les acteurs du secteur sont livrés à eux-mêmes et risquent de devenir de vrais pyromanes. Aujourd'hui le secteur agonise et les ministres défilent…

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