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Interview

"Le Maroc a péché par deux fois dans la gestion diplomatique du dossier du Sahara"

A deux mois de la passation de service entre Kofi Annan et le Sud Coréen Ban Ki Moon, et à quelques jours de la commémoration de la fameuse Marche Verte, où en est-on avec le dossier du Sahara ? Y a-t-il des espoirs de résolution définitive de ce conflit trentenaire ? Les récentes critiques formulées contre le Maroc accusé de violation des droits de l’Homme au Sahara, la rebuffade essuyée par des parlementaires européens voulant venir enquêter au Sahara, le retrait du drapeau national à Laâyoune par la mission des Nations Unies (MINURSO), etc. ne sont-ils pas de mauvais augure pour le Maroc ? Pour répondre à ces interrogations, nous avons fait appel aux lumières de M. Mustapha Sehimi, politologue et journaliste-chroniqueur. Nous sommes également revenus sur la gestion diplomatique de ce dossier par Rabat ainsi que la portée symbolique que revêt la Marche Verte, et qu’il faudra expliquer aux jeunes. Entretien...
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- Yabiladi : A quelques mois du départ de Kofi Annan et de l’arrivée d’un nouveau patron à la tête de l’ONU, où en est-on à l’heure actuelle avec le dossier du Sahara ?

- Mustapha Sehimi :
Aujourd’hui il est devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, plus particulièrement devant le Conseil de Sécurité. Il y a un rapport qui a été présenté par le Secrétaire Général sortant de l’ONU M. Kofi Annan. Il doit être délibéré par les membres du Conseil de Sécurité et sanctionné par l’adoption d’une résolution. Ce qui paraît se dessiner aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, c’est-à-dire à quarante huit heures au plus du vote de la résolution du Conseil de Sécurité [l’interview a été réalisée le 28 octobre 2006], c’est le fait que le Conseil de Sécurité se rallie à la proposition de M. Annan pour la prorogation du mandat de la MINURSO pour six mois, et le fait qu’il appelle les parties concernées à nouer un dialogue politique pour arriver, suivant la terminologie consacrée, à un règlement durable et équilibré de la question du Sahara.


- Peut-on s’attendre à un changement de politique avec l’arrivée d’un nouveau Secrétaire Général?

- Pour cette phase-là avec le départ de Kofi Annan qui finit son mandat le 31 décembre, et la prise de fonction du nouveau Secrétaire Général le 1er janvier 2007, je ne crois pas qu’il ait une évolution quelconque dans ce domaine-là dans les semaines qui viennent. Je ne pense pas non plus que le nouveau Secrétaire Général, dès son installation, ait des idées nouvelles pour faire avancer le dossier autrement. J’ajoute que le dossier du Sahara n’est pas le dossier le plus important sur la table du Secrétaire Général de l’ONU puisque c’est le cinquantième dans la hiérarchie des priorités. Il y a des choses plus importantes aujourd’hui, le Darfour, l’Irak, le conflit du Proche Orient, l’Iran, la Corée, etc. pour que ce dossier ne bénéficie pas d’un empressement particulier au début de l’année 2007. Donc je crois que sur ce plan-là, le nouveau Secrétaire Général de l’ONU voudra prendre connaissance du dossier même s’il le connaît un peu puisqu’il était ministre des Affaires Etrangères de Corée du Sud. Et il faut attendre peut-être le prochain rendez-vous en fin avril 2007 pour voir la "patte" du nouveau Secrétaire Général. Mais il est bien entendu que le coefficient personnel du Secrétaire Général de l’ONU quel qu’il soit est relatif du fait que les décisions sont prises par le Conseil de Sécurité, et que si le Secrétaire Général peut faire des propositions dans tel ou tel sens, il est en revanche obligé de tenir compte de la volonté exprimée par les membres du Conseil de Sécurité, a fortiori les membres permanents et les rapports de force qu’il y aura.


Mahjoub Saleh, dissident du Polisario, déclarait il y a quelques jours sur les colonnes d’un hebdomadaire Casablancais qu’"il est impossible de résoudre d’une manière unilatérale, un conflit lié à la légalité internationale". Commentaire ?

C’est un point de vue. Mais c’est quoi la légalité internationale ? Je renverrai M. Salek à l’avis consultatif de la CIJ [Cour Internationale de Justice] du 16 octobre 1975 qui reconnaissait deux points importants : l’existence de liens traditionnels d’allégeance entre les tribus sahariennes et le sultan de l’empire chérifien à l’époque ; et le deuxième point retenu par l’avis de la CIJ est qu’il fallait que les populations puissent s’autodéterminer d’une manière ou d’une autre puisque c’est la doctrine constante des Nations Unies depuis la fameuse résolution 15 14 de décembre 1960 pour l’autodétermination. Le Maroc est tout à fait disposé à ce qu’il y ait autodétermination. Donc la légalité internationale, c’est le respect des textes, le respect des accords de Madrid. On oublie qu’avant le vote des deux résolutions du 10 décembre 1975 par l’assemblée générale des NU, il y a eu un mois auparavant les accords de Madrid du 14 novembre 1975 entre d’un côté le Maroc et de l’autre l’Espagne en tant que puissance occupante qui ont finalisé le transfert de souveraineté des provinces sahariennes.


Mais cet accord tripartite (avec la Mauritanie) s’est conclu en dehors des résolutions de l’ONU et sans consulter les populations de la région concernée…

Pas du tout ! Je tiens d’ailleurs à vous donner deux éléments d’information qui ne sont pas toujours rappelés comme il se devrait. Premièrement c’est que les accords de Madrid ont été déposés comme documents officiels auprès de l’ONU, enregistrés avec une référence. Deuxièmement quels étaient les organes de représentation de la population sahraouie en 1975 ? C’est la Jmâa Sahraouie présidée par Khatri Ould Joumani, et au sein de laquelle étaient représentées toutes les composantes tribales des populations sahraouies ! Il n’y avait pas autre chose. De plus, cette même Jmâa était reconnue en tant qu’organe de représentation aussi bien par l’Espagne (puissance occupante à l’époque) que par l’Algérie et le Polisario.
A mon avis, il y a là un argumentaire et un dossier qui n’a pas suffisamment été mis en valeur. Même du côté marocain on oublie ces accords de Madrid, qui ont pourtant –je le répète- opéré le transfert de souveraineté avec l’accord de l’organe légitime représentant les populations sahraouies.


Peut-on craindre un nouvel affrontement armé entre le Maroc et l’Algérie après "la guerre des sables" de 1963 et la campagne d’Amgala de 1976, et ce surtout au regard de la volonté manifeste d’Alger de se surarmer, et Rabat également qui vient d’acquérir 18 avions de combat "Rafale" ?

Ce qui est préoccupant dans votre question c’est le surarmement de l’Algérie .Vous avez fait référence également à l’acquisition par le Maroc d’un certain armement. Mais le Maroc n’a pas les mêmes moyens financiers que l’Algérie qui, avec plus de 50 milliards de dollars US de recettes d’hydrocarbures, peut s’équiper comme elle veut, notamment auprès de la Russie. Je note entre parenthèses que les contrats d’armement entre ce pays et la Russie revêtent une certaine opacité, car tout le monde sait qu’il y a une commission qui est versée aux généraux algériens et à la Nomenklatura russe.
Pour répondre maintenant à votre question, j’exclus pour ma part une reprise des hostilités entre les deux pays parce que : d’abord, si ce scénario voyait le jour, cela durerait quarante huit heures ; ensuite parce que les grandes puissances ne permettront pas l’embrasement d’une région aussi importante du point de vue stratégique que le Maghreb. Donc nous ne travaillons pas sur cette hypothèse-là. Et il faut espérer que le régime algérien n’aura pas besoin de se lancer dans une telle aventure pour des raisons de politique intérieure, parce qu’il y aura des problèmes d’équilibre entre le pouvoir civil que représente Bouteflika et l’armée. Notre région n’a donc pas besoin d’une situation de tension. Cela dit, il faut rester vigilant.


La Minurso s’est installée à Lâayoune depuis 1991. En 1994 le drapeau marocain y a été hissé. Douze ans après il y a juste quelques semaines, on a assisté au retrait de ce drapeau. Qu’est-ce qui pourrait bien justifier cet acte pour le moins surprenant ?

Je trouve cette histoire du drapeau tout à fait regrettable. Que la MINURSO créée par les NU ne respecte pas les usages internationaux en la matière. La MINURSO, là où elle est, ne bénéficie d’aucun régime d’extraterritorialité : elle n’est pas une ambassade, et par conséquent ne relève pas du traité de Vienne sur le statut des missions diplomatiques. L’acte est un enjeu symbolique, et comme tous les enjeux symboliques, il a une forte lisibilité ; c’est pourquoi il est inacceptable dans la mesure où il n’y a pas une zone relevant de la souveraineté de l’ONU en territoire marocain.
Ce qui pourrait bien justifier ce geste c’est le zèle du patron de la MINURSO et le fait que la réaction marocaine n’a pas été forte à mon avis, parce qu’on ne devrait en aucun cas accepter ces genres d’agissements.


Autre fait : Le Maroc vient d’interdire l’entrée sur ses territoires à une délégation du Parlement européen qui voulait enquêter sur la question du Sahara, arguant que ce groupe d’émissaires comportait plus de pro-polisario que de membres acquis à la cause du royaume. Y a-t-il vraiment quelque chose à cacher à ces parlementaires ?

Faut-il recevoir des gens qui, au départ, ont un fort préjugé sur ce qu’il vont voir. Une délégation de parlementaires européens au Maroc oui : notre pays est ouvert, mais à condition qu’elle soit équilibrée dans sa composition ; et qu’elle ne soit pas simplement composée de 4 ou 5 militants zélés acquis aux thèses séparatistes, et qui vont rendre un rapport partial au parlement à Strasbourg. Donc nous n’avons pas à recevoir des gens qui sont manifestement hostiles à la cause marocaine, il faut au moins une délégation équilibrée, neutre.
Il n’y a rien à cacher à ces parlementaires. Demandez à ceux parmi eux- et qui sont si préoccupés par la question du Sahara- d’aller enquêter librement dans les camps de Tindouf sans la présence de services secrets algériens et du Polisario. Ou encore, demandez au HCR d’aller visiter ces camps ! Jamais, il n’y sera autorisé. Non, on ne peut pas nous donner des leçons d’ouverture et de transparence d’information alors que le Polisario et son parrain algérien pratiquent une politique de black-out.


Parlons à présent de l’avant dernier rapport de Kofi Annan sur le Sahara datant du 16 avril 2006. En substance, il en ressort que "Le Maroc refuse le référendum, l’Algérie-Polisario refuse l’idée d’abandonner le référendum, et le Conseil de Sécurité se tient à carreau en refusant de forcer la main à quiconque". Finalement la question du Sahara est-elle condamnée à un éternel statu quo, à un éternel sur place ?

Oui, la question du Sahara dure depuis une trentaine d’années et elle continuera, s’il le faut, de durer encore des années. Ce qui devrait être admis par les autres parties (Polisario-Algérie), c’est que le Maroc ne quittera pas le Sahara. Il faut qu’ils intègrent cela une fois pour toutes dans leurs équations politiques et diplomatiques, parce qu’il n’y aura pas de concessions sur ce plan-là ni aujourd’hui, ni demain, ni après demain. Maintenant, il s’agit d’imaginer une formule politique novatrice, une formule qui soit une formule de rassemblement, et qui autorise la centaine de milliers de réfugiés qu’il y a dans les camps à venir rejoindre les provinces sahariennes, à retrouver les leurs et à pouvoir s’exprimer dans un cadre d’autodétermination et de régionalisation. Qu’on commence par cela ! Mais il n’y aura pas de concessions horizontales, c’est-à-dire de territoire ; en revanche, il peut y avoir des concessions verticales, c’est-à-dire relatives à la future entité régionale qui doit voir le jour. Donc le dossier ira de complication en complication et de renvoi en renvoi devant le Conseil de sécurité. Mais la position de principe du Maroc ne souffre d’aucune ambiguïté : pas de concessions sur l’intégrité territoriale !


Il y a eu également ce nouveau rapport de l’ONU qui épingle le Maroc sur la question des droits de l’Homme au Sahara. Est-ce une "manière de faire pression sur Rabat pour qu’il rende au plus vite sa copie sur le projet, surtout au vu de la teneur et du timing de ce rapport" ?

Evidemment, c’est de l’agitation de groupes manipulés par la propagande du Polisario. Si des citoyens se trouvant dans les provinces sahariennes portent atteinte à l’ordre public, en scandant par exemple des slogans hostiles au Maroc, ou en exhibant le drapeau du Polisario, faut-il fermer les yeux et laisser faire, sachant que ces actes sont une atteinte à l’ordre public ? Alors dans ce cas, on n’est plus dans un Etat de droit. Tous les agissements portant atteinte ou susceptibles de porter atteinte à l’ordre public devront être sanctionnés. C’est cela la mission de l’Etat : d’assurer la quiétude des citoyens et la protection de leurs biens.


Il y a quelques jours, Maroc Hebdo International titrait sur : "Le Maroc peut-il perdre le Sahara ?" Est-ce une interrogation gratuite (si l’on considère la popularité de la cause du Sahara ici contrairement en Algérie où elle n’apparaît pas comme une cause nationale…, et vu également que la légitimité du Trône en tant que gardien de l’institution religieuse mais aussi en tant que garant de l’intégrité territoriale en dépend), ou bien c’est une réelle appréhension de la part de ce journal eu égard à la conjoncture actuelle qui ne semble pas sourire au royaume notamment à cause du récent rapport … ?

C’est un titre sensationnaliste voire racoleur sur lequel je n’étais pas d’accord (M. Sehimi est chroniqueur pour cet hebdo). Il est bien entendu que les arguments contre la perte du Sahara sont nombreux et indiscutables comme la maîtrise militaire du terrain. Il y a près de 200 000 hommes, tous effectifs confondus, qui sont dans les provinces sahariennes depuis une décennie. Et ces hommes ne céderont pas le moindre pouce du territoire. Donc, il n’ y a pas de raisons d’une éventuelle perte du Sahara car, je le rappelle, la question du Sahara est constitutive de la communauté organique et structurante dans la mémoire collective. Cela dit, il faut continuer à se mobiliser sur le plan du front intérieur et redoubler aussi les efforts sur le plan diplomatique. Le Kenya par exemple vient de retirer sa reconnaissance au Polisario, etc.

Justement à votre avis Rabat a-t-il eu souvent à commettre des erreurs stratégiques dans la gestion diplomatique du dossier du Sahara ? Si oui une qui vous semble plus flagrante ?

Il y a deux erreurs qui ont été commises, mais qui sont liées à un contexte :
1. c’était d’accepter, après les accords de Madrid, que cette question revienne devant la communauté internationale. Il fallait absolument verrouiller le dossier et rester ferme. Mais nous avons manqué d’une forte détermination probablement du fait de l’environnement international à l’époque, du fait que l’Algérie était puissante et influente et que l’armée marocaine n’était pas au niveau - elle était sous-équipée- Nous n’avions pas la maîtrise militaire. Mais sur le papier c’était une erreur.
2. C’est l’acceptation du référendum en juin 1981 à Nairobi (capitale du Kenya), parce qu’on s’est mis dans un processus qui n’en finissait pas ! Juin 1981 est lié à 1975 : si on avait tiré un trait sur cette question après Madrid, on n’en serait pas arrivé là.


Pour en arriver au terme de cet entretien, dans quelques jours (le 6 novembre prochain) ce sera le trente et unième anniversaire de la fameuse "Marche Verte". Si vous devez en expliquer la portée symbolique à vos enfants ou aux jeunes Marocains en quelques mots, que leur direz-vous ?

Surtout, la ferveur exceptionnelle de 350 000 marcheurs n’ayant pour seul arme que le Coran et le drapeau, foulant une terre immémoriale qui appartenait à l’Empire Chérifien, donc au Maroc. C’est-à-dire que les peuples sont capables de grands moments si on leur offre des opportunités. Seulement je regrette que ce capital-là n’ait pas été valorisé et que la Marche Verte soit réduite, pour les nouvelles générations, à une opération de récupération sans qu’on ait suffisamment mis en relief la dimension épique de cette aventure qui était absolument fantastique. La Marche Verte a innové dans le mode de règlement des conflits. Pour la première fois, un conflit s’est dénoué sur la base d’un principe de mobilisation pacifique des populations. C’est intéressant dans les théories de règlements des conflits de montrer que la Marche Verte a été une chose exceptionnelle, parce que c’est une communauté organique, un peuple qui décide de récupérer pacifiquement sa terre. C’est cela qu’il faut expliquer aux nouvelles générations.

Propos recueillis par
félicitation farid ghennam et noureddine derbali
Auteur : leila chakir
Date : le 22 octobre 2012 à 04h37
waaaaaaaaaaaw! c'est é-pous-tou-flant à couper le souffle., je ne me lasserai jamaiis de vous entendre. vous etes vraiment grandioses tous les deux. et j'esère bien vous voir bientot tous les deux en duo et qu'il y aurai une collaboration avec le marocain redouane qui pourra bien vous donner un énorme coup de pouce vers la célébrité. bonne chance.
Sublime
Auteur : Aicha Kandicha
Date : le 21 octobre 2012 à 16h00
Et la musique ! Cool ! Bravo aux marocains qui n'ont rien a envier aux autres qui ce soit.
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