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Grand Angle

Latifa Zoubir : « Une intégration à la française »

Le rêve d'enfant de Latifa Zoubir était d'être une française comme les autres, tout simplement. Un rêve qui a été entretenu par ses parents d'origine marocaine qui lui ont tout donné pour qu'elle devienne une bonne française. Comme chaque fois après un rêve, le réveil est désagréable voire douloureux. C'est ce qui arrivera à la jeune Latifa devenue adulte et confrontée à la réalité sociale du modèle d'intégration français. Un modèle qu'elle juge aujourd'hui « hypocrite » puisqu'elle même avait tout fait pour s'assimiler... sans succès. Différentes expériences lui ont fait prendre conscience de la réalité d'une « française d'origine » comme son rôle de porte parole dans l'association Ni Putes Ni Soumises, ou plus douloureux encore son CDD dans une radio publique de « jeunes blancs urbains ». Elle couchera toute la rage accumulée et les déceptions endurées dans un livre émouvant, un livre où elle n'hésitera pas à faire aussi son autocritique. Interview avec Latifa Zoubir qui aujourd'hui s'assume en tant que franco-marocaine.
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Temps de lecture: 5'
- Yabiladi.com : Pensez-vous que c’est l’éducation de vos parents (qui voulaient faire de vous une bonne petite française comme les autres) qui vous a poussé à rejeter votre identité d’origine ? Ou bien c’est seulement dû a votre caractère indépendant, voire rebelle ?
- Latifa Zoubir :
Avec le recul de l'âge, je pense que l'éducation de mes parents était fantastique, mais que je ne mesurais pas la chance d'avoir des parents aussi ouverts et tolérants. Le problème c'est qu'en voulant faire de moi l'égale de mes camarades de classe ''100% français'', ils n'ont peut être pas perçus que j'allais progressivement penser que j'étais effectivement une ''gouer''. Du coup, je suis passée à côté de mon héritage culturel. Aujourd'hui je sais que ma richesse à moi, c'est d'être d'ici et d'ailleurs, et ça plus personne ne me le retirera de nouveau. Quand à mes parents, quand je repense à tout ce que je leur ai fait subir, je me dis qu'ils ne le méritaient vraiment pas, qu'ils se sont saignés pour m'offrir le meilleur et que je me suis comportée comme une enfant gâtée. Aujourd'hui j'en reparle avec ma mère, elle m'a pardonné mes erreurs, et ça c'est le plus beau cadeau qu'elle peut me faire!

- Vous avez longtemps rejeté votre identité marocaine, mais vous écrivez que tout votre vécu en tant que français d’origine et les rejets dont vous avez été victime, vous ont conduit à vous réapproprier votre marocanité afin de savoir d’où vous venez. Comment se matérialise ce retour vers vos origines ?
- Mon retour aux origines se manifeste de différentes manières, je reviens à mes classiques musicaux, avec des artistes comme Oum Khalsoum, Asmahan, Farid El Atrache...Quand j'écoute cette musique et le son de leurs voix, c'est comme si mon âme se réveillait d'un long sommeil! Je lis aussi beaucoup d'auteurs arabes, comme Naghib Mahfouz, Alaa Al-Aswani, Tayeb Saleh...Et puis, je regarde beaucoup beaucoup de films et téléfilms marocains! J'adore ça! Mon préféré c'est ''Femmes...et Femmes'' de Saâd Chraïbi. Entendre parler ma langue maternelle est devenu un besoin viscéral. Je compte également retourner au Maroc très prochainement parce que mon pays me manque grave! Le truc que je regrette vraiment c'est de ne pas lire et écrire l'arabe littéraire, mais j'espère pouvoir apprendre très rapidement ''inch'allah''...

- Avec votre expérience personnelle, votre éducation de « bonne française », et vos déceptions, comment jugez vous le modèle d’intégration à la Française ?
- Pour moi le modèle d'intégration à la française est hypocrite! Déjà comment peut on oser parler d'intégration à des jeunes qui comme moi sont nés en France? Ça résume bien la situation: avant d'être considérés comme des français, on sera toujours des fils et des filles d'immigrés. On aura beau s'assimiler, se désintégrer ou s'intégrer, on nous acceptera jamais comme des français, même si dans ce pays c'est le droit du sol qui prime. Moi j'ai failli perdre mon âme à vouloir devenir comme tous les autres français. Je ne le serais jamais. Et franchement, je ne le regrette pas! Je suis française d'origine marocaine. Je suis musulmane et je respecte le cadre laïque de la république française. Qu'on m'accepte comme je suis ou pas, ça n'est plus mon problème, j'ai fait ce que j'avais à faire et je ne veux plus aller contre ma culture d'origine. Ma marocanité n'est plus un problème pour moi, au contraire, c'est devenue ma richesse!

- Que pensez-vous de la discrimination positive ? Des propositions de Yazid Sabeg…
- Rien que d'associer le terme de ''discrimination'' avec le mot ''positif'', c'est déjà un non sens absolu, c'est du jargon de politicard! Pour moi toutes ces mesures, c'est encore pour mettre de la poudre aux yeux pour éviter de parler des vrais problèmes qui sont sociaux! Revenons sur ce terme de diversité, pour moi, on prône la diversité au détriment de l'égalité! On est en train de vouloir créer l'élite des ''minorités visibles'', et ceux qui n'auront pas la chance de faire partie des ''élus'', seront comme toujours réduits à faire partie de la France d'en bas. Il y a quelques mois on nous rabâchait l'égalité des chances, et maintenant on sort le terme diversité d'un chapeau, en attendant rien ne se passe, ni pour les français de souche, ni pour les français d'origine. Je le redis parce que je le pense vraiment, les problèmes sont sociaux et tant qu'on ne règlera pas le mal à sa source on continuera d'attiser les haines en divisant pour mieux régner. Quand on remonte dans le temps, et que les quartiers populaires vivaient encore la mixité sociale, je me souviens bien des darons et des daronnes qui étaient toujours prêts à se filer un coup de main. A cette époque, ils étaient blacks, blancs, beurs, ritals ou portugais, c'était vraiment pas important! Les gens se serraient les coudes quelque soit leurs origines ethniques, religieuses ou sociales. C'est ça qu'on perd peu à peu dans ce pays, le lien social, l'entraide. Et c'est pas en dressant les communautés les unes contre les autres qu'on va créer un monde meilleur pour nos enfants.

- Après avoir été à l’intérieur de l’organisation "Ni Putes Ni Soumises" vous semblez très critique vis-à-vis de ce mouvement et des manipulations en son sein. Pourtant dans votre livre, vous préférez parler de vos ambitions et manipulations au sein du mouvement (courageuse autocritique d’ailleurs), plutôt que de mettre à nue toutes les dérives de l’association, l’affiliation politique et le rôle de jouet du PS, les conflits internes, les casseroles de certains dirigeants de NPNS …
- Malgré tous les reproches qu'on peut faire à cette association, j'arrive pas à lui cracher à la gueule. C'est quand même grâce à cette assoc que j'ai beaucoup appris sur moi même. Je ne vais pas non plus vous cacher que Fadela Amara devait signer la préface. Finalement ça ne s'est pas fait, et je ne regrette pas! Je m'appelle Latifa Zoubir et j'ai besoin de personne pour exister, même si c'est vrai qu'en ayant son nom sur la couv, le livre aurait peut être bénéficié d'une meilleure publicité! En attendant, c'est pas parce que Fadela n'a pas signé cette préface que je vais lui tailler sa réputation ou révéler des secrets que tout le monde connaît déjà par ailleurs! Maintenant, le plus important pour moi c'est de continuer à être un électron libre qui trouve sa force dans son indépendance!

- Aujourd’hui quels sont vos projets ? Dans quel état d’esprit êtes-vous d’un point de vue identitaire ?
- Aujourd'hui j'ai quitté Paris avec mon mari. Je vis désormais dans le sud de la France. J'ai commencé à écrire un autre livre, une fiction cette fois! Et pour ce qui est de mon identité, je me suis réconciliée avec ma marocanité, je suis fière de mes valeurs, de ma culture d'origine et de ma religion et si je dois rester l'éternelle reubeu de service pour certains, et bien j'assume pour le meilleur mais plus jamais pour le pire!
Roman: Je m'appelle Latifa : Une intégration à la française

Je m'appelle Latifa: Une intégration à la française
Je m'appelle Latifa Zoubir, j'ai vingt-neuf ans, et depuis que je suis toute petite je n'ai qu'une envie : être une Française comme les autres. Mais je sais depuis toujours que ça sera très dur, que je n'y arriverai peut-être jamais, car il n'y a pas de sainte avec mon prénom dans le calendrier. Sur le papier, l'histoire de Latifa pourrait être celle d'une "intégration réussie ". Fille d'immigrés, beurette de première génération, élève brillante, elle devient la porte-parole de l'association Ni Putes Ni Soumises avant de rejoindre une station de radio du service public et d'entamer une belle carrière d'animatrice...

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