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Grand Angle

Racisme anti-noir au Maroc : « Sous » la peau d'un homme

Aujourd’hui, la blogueuse-chroniqueuse Yamna a choisi de rendre hommage aux immigrés subsahariens victimes de racisme au Maroc. Un texte cru plein de vérités qui retrace le parcours de milliers de ces immigrés ayant fuit leurs pays à la recherche d’une vie meilleure. 

Publié
Ph : Illustration / Les chroniques de Yamna
Temps de lecture: 5'

Au loin, où je naquis en plein hiver, les corps avaient péri avec l'aube. Chaque jour de famine, emportait des dizaines de cadavres vers un fleuve jaune, au cœur de l'Ethiopie. Un cours d'eau, gelé, comme s'il avait goûté à la mort. Une mort rouge. Une mort éternelle. La vie semblait s'y éteindre délicatement, avec ses plaines arides, la sécheresse de ses terres, et des estomacs affamés par la touffeur du midi. Personne ne causait. Personne ne rêvassait. Seuls les plus braves, tentaient de rejoindre les côtes européennes, avec une anxiété creuse, tandis que, nous autres, pareils à des larves de mouches, nous étouffions de bas en haut, au milieu d'une brousse africaine. Il régnait dans cette savane sahélienne, un parfum noir. Noir, parfois gris. Le parfum d'une famine, pesée par la mort béante, soufflant les âmes, les unes après les autres, au travers de tous ces corps.

La déchéance d'une vie perdue

Vingt-huit ans que j'habitais un village perdu, au fin fond de l'Afrique, un continent des plus maudits. Vingt-huit ans que j'habitais une cavité damnée, cueillant des roses dans des exploitations indiennes, pour quelques centimes par jour, longeant, ensuite, les extrémités du lac Langano, avec les rêves d'un petit garçon, sans avoir jamais vu le monde. C'était la déchéance d'une vie perdue. Ma vie, qui, lasse d'escompter l'avènement d'un monde meilleur, se décidait, dans un demi-vertige, à le braver finalement, par tous les moyens.

Désespérés, rongés par la faim, ma famille et moi, j'avais décidé de partir. Partir, au loin, avec la promesse d'y revenir un jour, peut-être. A ce moment là, le soleil se couchait sèchement, éclairant mes pensées dans les obscurités funestes, par un léger voile. Ces rayons d'un rouge vermeil, étripaient hardiment mes espérances, et pressaient mes contingences d'une vie meilleure, à grand pas. Je m'en allais, le teint pâle, au milieu de cette pénurie d'eau et de pain. Et Je m'en allaisles poings dans mes poches crevéesoù, rimant au milieu des ombres fantastiques, de mes souliers blessés, un pied près de mon cœur ; comme disait si bien Rimbaud.  

Cette odeur agréable

On quitta Addis-Abeba, sous un ciel blafard. Un de ces ciels grisants d'orages, asphyxiant en été les provinces de Godjam, et de Welega, assèches et stériles, mais désirables encore, avec leurs plaines verdâtres de printemps. Et, dans un silence leste, on monta lentement, en pente, le long du lac Turkana, vers le Tchad. Depuis des semaines qu'on ne grignotait plus. L'odeur même de l'orge avait disparu. Cette odeur agréable qui annonçait le ragoût de viande au loin, sous cette affluence de charbon de bois, et de plantes herbacées. L'air abattu, on sillonnait les artères de la brousse soudanienne occidentale, le long des acacias et de genévriers, où, toutes les feuilles mortes, sentaient la mousson de l'océan, et humaient la famine, à l'infini.

Un soir, les passeurs, que la mort ne troublait pas, marmonnaient d'embaucher des travailleurs clandestins, dans des exploitations agricoles, dans le sud du Maroc. Et, ce fût une longe expédition, pour mes compagnons de voyage, et moi. Nebiyu, mon ami, eut l'idée de rêver en grand. " On partirait à deux, peut-être à trois. On irait du coté de Chaouen, ou bien de Tanger, avec l'espoir d'en finir avec toutes les injustices de cette vie " balbutiait-il d'un air joyeux. Qu'est ce qu'on avait à perdre finalement ? Autant tenter notre chance au Maroc.  Autant s'aventurer dans un pays africain, que d'aller périr en eaux troubles, en essayant de joindre les frontières espagnoles. Un jour même, On courait les champs du Niger, en mangeant sans viande, toutes sortes d'oignons. On fouillait les berges du lac Sélingué, au Mali, pour y pêcher des poissons Tilapia, qu'on avalait fumés ou, crus. On récoltait des dattes, dans les zones oasiennes, au large de la Mauritanie. Et on poussait plus loin, dans les creux du Sahara, à des centaines de kilomètres, jusqu'aux frontières marocaines. 

Le Maroc !

Le Maroc ! La cité idéale, toujours du même songe, proche à nos cœurs, par son histoire multiculturelle, par la diversité de sa population, et par le souffle de ses désinvoltures. " Ici, nous sommes libres, nous sommes frères, nous sommes chez nous" murmurait un camarde, d'un ton assuré. Ainsi, dans la forêt de Mesguina, sous les étoiles de minuit, on s'était réunis à dix. Des fois, l'air était froid. Des fois, l'air était chaud. Des fois, la colonne d'air froide soufflait en rafales. Des fois, la colonne d'air dégageait de l'humidité. Il fallait des heures à un berger allemand pour nous flairer, au fond de cette étendue boisée, Nebiyu, ses cousins, et moi.

Entre les cloisons étroites en carton, à terre, au fond de notre trou, sous les branches mortes ; l'écume de l'air pesait comme de la moisissure d'œufs, propulsant dans les arbres avoisinants son haleine rancie, où se mélangeait l'odeur de la pisse, au soupir de nos halètements. Le matin, dès cinq heures, affamés, las de crever de faim, on se réveillait. Une flambée noire longeait mes nerfs, d'où coulait un filet de bave bleue, à l'idée de n'avoir que du pain rassis, et quelques graines de café, à manger.

Ceux, qui travaillaient dans des exploitations agricoles, se lavaient soigneusement, pieds nus, le sceau d'eau froide sous les pieds, n'osant risquer de n'être propre, pour cueillir des fraises. Tandis que, les autres, noyés de fatigue, la marchandise sur les épaules, s'en allaient vers la ville, en essayant d'y vendre des bracelets touaregs, pour une dizaine de dirhams. On nous dévisageait, d'un air d'amertume, telles des bêtes sauvages, voraces, n'ayant plus ni pain, ni eau, partout où on allait. Un lot de rancunes crépitait en eux, en ayant l'air de nous quémander, ce qu'on faisait chez eux. Une rancune insondable. Une rancune rouge, et absolue, de tous cotés, à en mourir.

Oui, nous étions noirs

Certains clients, pour éviter de nous payer, la marchandise, nous menaçaient de vol auprès des autorités. Et, jusqu'aux groupes d'enfants, joyeux, ayant l'air tolérants, ne s'apprêtaient qu'en paroles violentes, d'où le fameux mot d'ordre, " ya l3azzi". Un mot violent, répété sans cesse, flânant de bouche en bouche. Réduits à ce lot d'humiliations, extenués, les autres vendeurs, au lieu de nous porter secours, nous traitaient ainsi que des esclaves, menaçant de nous chasser, à coups de bâtons, pour ne pas leur faire de l'ombre.

Dans cette justice des droits de l'homme, où ne se hissaient que des injures de toutes sortes, il était important de se taire, sans espérer ne jamais être respecté, ou traité comme tout être humain normal. Les astres rouges s'éclipsaient au loin, découpant mes rêvasseries de petit garçon, à petit feu. II fallait baisser les têtes, vidées par la famine, qui voyaient rouge sang, au milieu de cette apothéose de vexations, de crachats, et de mendicité. A cette ségrégation raciale, la raison vacillait hardiment. Il ne restait que l'idée fixe de décamper ce pays. Un pays, où on nous accusait d'être noirs.

Oui, nous étions noirs. Aussi noirs qu'une nuit sans étoiles. Et alors ? Nous sommes des êtres humains, comme vous tous.

Le Maroc devient le péril suprême, la grande épouvante, pour les Africains. Lorsqu' il s'agit de tourisme international, mettant en scènes des ressortissants saoudiens, allemands, ou suisses ; nous sommes aux petits soins, bien heureux de les accueillir sur nos terres, fécondes. Mais, lorsque le touriste en question, est un de nos frères africains, subsahariens, de couleur noire, nous devenons, sans le vouloir, intolérants, irrespectueux et racistes, avec comme lot quotidien....3zzi, khel, mousekh, lwina !

Le racisme est une chose que je ne peux pas comprendre ! Je trouve monstrueux de considérer qu'il y a des êtres qui sont inférieurs simplement parce qu'ils ne sont pas comme nous. Ils ont déjà ce handicap. Quino

A la mémoire d'Ismael Faye, sénégalais, assassiné à Fès...

A la mémoire d'Amadou, malien, assassiné à Rabat...

A la mémoire de tous ceux qui ont été victimes d'une injustice et de racismes...

A la mémoire de tous ceux qui ont quitté trop tôt.....

A mon ange....

Retrouvez les chroniques de Yamna sur son blog

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