Youssef Belal : « On pourrait envisager la réduction du pouvoir du roi pour éviter la mise en cause de sa responsabilité » [Interview]

Yabiladi : Par rapport à la mobilisation, il y a eu un gros changement entre ce qui s’est passé à Rabat vendredi et ce qui s’est passé mardi à Casablanca. Comment vous analysez ce changement de comportement de la part de la police ?

Youssef Belal : La mobilisation sur les réseaux sociaux, le relai des médias internationaux, notamment français, et la manifestation de vendredi dernier ont joué un rôle déterminant dans la manière dont s’est déroulée la manifestation de mardi. Pour l’opinion nationale et internationale, il était incompréhensible de réprimer une manifestation qui ne demandait pas le départ du roi, mais qui exprimait tout simplement une indignation morale partagée par l’ensemble des Marocains. La répression était donc incompréhensible et elle montrait que le régime avait, vendredi, une réaction totalement irrationnelle.

Il y aussi eu entre temps, les interventions du roi Mohammed VI pour désamorcer la bombe et répondre à la gronde populaire...

Effectivement, il y a eu beaucoup de rebondissements et beaucoup de retours en arrière. C’est historique ! Pour la première fois, nous avons une décision royale qui est contestée publiquement et critiquée par les citoyens et pour laquelle le palais royal est directement mis en cause. On a clairement eu dans les différents communiqués, là aussi pour la première fois, un retour en arrière. Cela a cassé le mythe de la décision royale qui serait infaillible, indiscutée et indiscutable.
L’appel à manifester lancé pour vendredi et largement relayé par les médias internationaux - les nationaux à part quelques titres étaient totalement absents – a permis de prouver le contraire. Les citoyens ont montré que la décision royale pouvait être discutée, révoquée et que le roi pouvait se déjuger lui-même.

Finalement, la mobilisation sur les réseaux sociaux a montré la voie aux acteurs politiques …

Absolument. La question est de savoir si les partis politiques sont en mesure d’exploiter ce moment d’opportunités et d’aller plus loin en réclamant la régulation du pouvoir qui ne doit plus être un monopole du roi.

Le roi vient de limoger Hafid Benhachem, le délégué général de l’administration pénitentiaire. On évoque également la possibilité de sanctionner d’autres personnes. A quel niveau pensez-vous que se situent les responsabilités ? 

Il y a plusieurs niveaux de responsabilité, mais dans une chaine de responsabilité, c’est d’abord celui qui détient le plus de pouvoir qui doit répondre. Déjà, il ne faut pas oublier que la Constitution dit que le droit de grâce est un privilège royal. Le roi exerce donc ce pouvoir de manière exclusive. La rationalité politique voudrait que la mise en cause de la responsabilité du roi politique soit aussi comptée. Mais ce n’est pas le fond de la question.
Si ce pouvoir était entre les mains d’un chef du gouvernement démocratiquement élu, on aurait eu des demandes de démission ou d’explications de la part du chef de l’Etat lui-même.

Le problème qui se pose aujourd’hui est de savoir s’il faut réguler la décision royale pour qu’elle soit sous le contrôle d’autres institutions, à l’instar du parlement. L’autre alternative serait la réduction du pouvoir royal comme c’est le cas dans les monarchies européennes, pour justement éviter d’impliquer le monarque dans ce type de mise en cause de sa responsabilité.

C’est à ce niveau que se situe la contradiction du système politique marocain. Aujourd’hui, la monarchie ne peut pas continuer à ce rythme. Nous avons eu un premier épisode avec le 20 février. C’était la même chose. A chaque fois, il y avait cette intervention royale, parce qu’il n’y a pas de mécanisme institutionnel. Aujourd’hui avec l’affaire du pédophile nous avons un cas de virement de ce pouvoir qui ne rend pas de compte. Il ne peut pas prétendre qu’il est démocratique et refuser des principes de base qui sont d’une part le fait de mettre en relation l’exercice des pouvoirs et d’autre part, la reddition des comptes.

On peut inclure dans votre critique les membres du cabinet royal ?

Effectivement. Ils n’ont aucune existence institutionnelle et ils ont un pouvoir exorbitant, drôlement supérieur à celui du gouvernement élu.