Et puis je me suis souvenue du courage de ces gens que j’ai vus braver les policiers en restant sur place près de trois heures malgré les coups qui pleuvaient. Je me suis souvenue de l’intelligence et de la maturité des slogans qui demandaient juste la «karama», la dignité, pour les enfants marocains. Je me suis souvenue de tous ces jeunes et moins jeunes réunis par une seule chose : le devoir patriotique de dénoncer une décision lorsqu’elle touche aux valeurs de justice et de dignité. Je me suis souvenue de cette formidable énergie qui habitait chacun et chacune, portés par la certitude que leur demande était juste, nécessaire et légitime.
Et j’ai compris que c’est justement cette légitimité qui fait peur à l’autorité publique, et qui la pousse à répondre par la violence. Une chose s’est passée au Maroc qui ne s’était jamais passée avant : il y a aujourd’hui une indignation collective d’ampleur non pas contre une situation politique, mais contre une erreur morale. C’est inédit, et c’est ce qui pousse des gens non politisés, non affiliés à des groupes ou partis, à descendre aussi dans la rue, et pour une raison dont le pouvoir ne pourra jamais dire qu’elle est illégitime.
La fonction royale désacralisée ?
Ces gens n’ont plus peur de demander des comptes à leur Souverain quand ils le jugent nécessaire. Ils ne sont plus prêts à donner d’autres enfants en sacrifice, il y en déjà tellement trop qui sont tombés, dans l’indifférence générale des pouvoirs publics. Ils veulent une justice qui les protège, et non un pouvoir qui les soumet au nom d’une symbolique dépassée qui ne suffit plus à cacher un profond manque d’éthique.
Il y a un autre fait inédit. La décision royale, mais plus encore le silence qui s’en est suivi et qui n’est toujours pas rompu, a fait ce que jamais l’opposition politique n’avait réussi à faire : elle a désacralisé la fonction royale en la révélant faillible. Il aurait été tout à l’honneur des dirigeants habituellement si prompts à s’exprimer de définir les responsabilités et prendre les mesures nécessaires pour réparer cette décision.
Mais ce refus du pouvoir de communiquer, outre qu’il tient du mépris pour des citoyens à juste titre indignés, et parce qu’il s’accompagne d’une répression terrible, creuse le fossé entre le peuple et son dirigeant. De morale, la crise est en train de devenir politique.
J’ai alors compris que si j’avais eu peur de mon réveil, le pouvoir avait encore plus peur du nôtre à tous et toutes.