Yabiladi : Comment a évolué la perception des migrations, depuis le début des migrations internationales contemporaines dans les années 70 et 80 ?
Hillel Rapoport : A l’époque, les gens soulignaient les problèmes provoqués par la migration : la destructuration des familles, ainsi que l’augmentation des inégalités car seuls ceux qui en avaient les moyens pouvaient émigrer et gagner ainsi la possibilité de s’enrichir encore plus à l’étranger ; on les accusait de verser dans la consommation ostentatoire dans leur pays d’origine. On pointait aussi du doigt le ‘risque moral’ entraîné par des revenus assurés sans travail : certains préfèrent ne pas travailler et vivre grâce au soutien financier des transferts d’un membre de leur famille.
Aujourd’hui, nous avons plus de recul et il est possible d’analyser le processus dynamique. L’argent qui est transféré a un effet positif sur la croissance locale dans le pays d’origine. C’est un effet d’équilibre général où la richesse - les transferts - se diffuse et bénéficie à toute la société. Avec la formation, le coût de la migration a également eu tendance à baisser et émigrer est devenu accessible à des personnes plus pauvres et les transferts se diffusent donc parmi les couches les plus pauvres de la société d’origine. Avec le recul, on peut donc dire que les effets sont plutôt bons. La pauvreté et même les inégalités sont réduites.
Vous dites que les effets de la migration sont globalement positifs, mais n’existe-t-il pas des effets pervers ?
Pour certains domaines comme la santé et l’éducation qui produisent des externalités positives, il faut intégrer le contexte de la migration pour déterminer ses effets. On a constaté, par exemple, que les enfants d’émigrants, au Mexique, ont tendance à choisir de ne pas faire d’études alors qu’ils en ont les moyens, plus que d’autres, grâce aux transferts de leurs parents. Leur choix est déterminé par leur principale perspective : émigrer illégalement comme leurs parents aux Etats Unis. Puisqu’ils prévoient qu’ils seront des clandestins, ils savent qu’ils seront cantonnés, aux Etats Unis, à des emplois de plombiers, de jardiniers, de femmes de ménage ... Ils ne voient donc pas l’intérêt d’investir dans leur éducation sachant qu’elle ne servira à rien aux Etats Unis. Dans ce cas, c’est le contexte institutionnel de la migration qui provoque un effet négatif sur la société du pays d’origine.
Quel est le contexte institutionnel nécessaire pour permettre que la migration produise majoritairement des effets positifs ?
Certaines conditions relèvent du bon sens, comme la mise en place d’un système financier transparent qui assure un faible coût de transaction pour pouvoir faire circuler facilement l’argent. De la même façon, la migration illégale a un impact négatif : elle est souvent associée, dans les pays d’accueil, à la délinquance ; elle empêche l’investissement dans l’éducation. Etre en situation irrégulière empêche également de revenir dans son pays d’origine comme on le veut parce qu’on a tellement investi pour émigrer qu’on ne veut pas tout perdre en revenant sans avoir la possibilité de re-émigrer une nouvelle fois si besoin était. Pour établir ce contexte institutionnel, il faut une cogestion plus intelligente de la migration ente pays de départ et d’accueil.
Nous dirigeons nous vraiment vers l’établissement de ce contexte institutionnel favorable ? L’Union européenne ne cesse de fermer ses frontières et renforcer ainsi l’illégalité de l’immigration.
Les flux migratoires se définissent en fonction de trois caractéristiques : le nombre de migrants, leur niveau de qualification et la diversité de leurs origines. Une immigration plus qualifiée et plus diversifiée sera mieux acceptée dans le pays d’accueil et pourra donc être plus importante en nombre. Si elle est peu qualifiée, peu diverse, et donc peu importante, elle produira un cercle vicieux, c’est le modèle européen ; et si elle est qualifiée, diverse et plus importante, elle produira un cercle vertueux, c’est le modèle canadien. Il s’agit donc de parvenir à mettre en place des voies d’entrées comme le font, par exemple, les Etats Unis avec leur loterie destinée aux pays qui exportent spontanément le moins de migrants chez eux, comme la politique de l’immigration choisie lancée par Nicolas Sarkozy, mais qui n’a pas été achevée.