«Cinq ans après son lancement, le Plan Maroc vert (PMV) en est à la moitié de ses réalisations. Il a permis d’améliorer les revenus de plusieurs milliers de petits agriculteurs et de donner une grande impulsion au secteur en général en encourageant l’investissement productif et boostant les différents chantiers», a déclaré le ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch, mardi 23 avril, à l'ouverture du Salon international de l’agriculture de Mèknès (SIAM 2013).
«Bilan très riche» ?
«Le bilan [du PMV] est très riche», affirme le ministre dans une interview accordée à l’Economiste. Dans les faits, il parle d’une croissance de 43% de la production agricole sur la période 2008-2012 par rapport à 2005-07, et d’un accroissement de 32% du PIB agricole sur la même période. La productivité des différentes filières agricoles, quant à elle, a enregistré un saut de 56%, se félicite le ministre.
En prêtant attention aux statistiques du ministre, on est tout de suite frappé par la différence des plages temporaires qu’il compare : 2005-2007 et 2008-2012. Peut-on obtenir des données fiables sur cette base ? La méthode n’étonne cependant pas Najib Akesbi, économiste, enseignant-chercheur à l'Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat. Pour lui, la présentation du ministre au SIAM 2013 n’est qu’une «grosse manipulation des chiffres pour une énorme opération de communication».
«Depuis 5 ans, le ministère ne produit pas de statistiques»
«Demandez au ministère de vous donner des statistiques certifiées de l’agriculture dans le pays comme le font tous les pays qui se respectent, poursuit l’économiste. Il n’en aura pas. Depuis 2008, le département de l’Agriculture ne produit plus d’informations statistiques», relève M. Akesbi soulignant que sur le site du département dirigé par Akhannouch, ne figure que «des bribes d’informations, mais rien de sérieux».
Le plus déplorable d’après cet universitaire est que «jamais le ministère de l’Agriculture n’a autant manipulé les chiffres et fait preuve d’une telle pauvreté en matière de statistiques». «Je constate avec affliction qu’une large tranche de la presse avale toutes ces informations sans y apporter un regard critique», s’alarme-t-il.
Si on se focalise par exemple sur la filière oléicole, le bilan est plutôt négatif compte tenu des ambitions affichées au départ, mais le ministre n'en parle pas. Il fait uniquement état de l'augmentation de 27 % de la production d'huile d'olive. Or, cette filière fait face à d’énormes défis nécessitant de sérieuses mesures. Elle reste également handicapée à l’export, alors que c’est justement pour booster la commercialisation à l'international que cette filière est l'une des priorités du PMV. Le problème est d’autant plus sérieux que l’huile d’olive marocaine «n’est pas compétitive sur le marché international», reconnait sur les colonnes du quotidien Les Echos, Noureddine Ouazzani, enseignant-chercheur à l’ENA Meknès et directeur de l’agropôle Olivier.
«L’huile d’olive a eu son heure de gloire, vers le milieu des années 2000», lance Najib Akesbi. D’après lui, le Maroc a voulu tirer profit de cet essor en faisant de grands projets sur le long terme. «C’est facile quand la demande est forte. Mais la situation a changé en quelques années», dit-il.
Le Plan Maroc Vert «programme l’insécurité alimentaire»
Avec tous ses objectifs ambitieux, M. Akesbi estime que le Plan élaboré par Aziz Akhannouch et son équipe «prône une agriculture à deux vitesses et s’inscrit ainsi dans un modèle productiviste des années 50». Un modèle qui a pourtant été un échec en Europe, rappelle-t-il.
Pire, le PMV «ne présente aucune notion de la sécurité alimentaire» qui veut qu’il y ait un équilibre entre la production et la consommation, relève l’économiste, ajoutant qu’au contraire, ce plan «programme l’insécurité alimentaire». Il estime que le plus important dans un programme comme celui-là, c’est de savoir si la prévision de production en 2020 couvrira la consommation. «Mais dans ce plan, il n’y a nulle part l’ombre d’une éclaircie sur la question», déplore-t-il. Faute d’obtenir des évaluations sérieuses de la part du département d’Akhannouch, les universitaires vont sur le terrain. «En discutant avec les acteurs, on se rend compte que la réalité est très loin de l’image véhiculée par les officiels», confie M. Akesbi. Et d’ajouter : «on voit bien que le gouvernement n’a pas le souci des choses bien réfléchies».