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Grand Angle

Maroc : Où suivre mes études ? فين غادي نقـــرا

A l’approche des examens du baccalauréat, les élèves marocains concernés pensent plus que jamais au chemin que prendra désormais leur avenir. Yamna Joe s’en préoccupe aussi. La blogueuse marocaine se penche cette fois sur les failles du système éducatif marocain, trop injuste à ses yeux envers les étudiants les plus démunis du pays qui, une fois leur diplôme en poche, se retrouvent face à des écoles bien trop exigeantes. Bonne lecture ladies !

Publié
Ph : Illustration
Temps de lecture: 4'

Les études, au Maroc, on n'y comprend rien. On dirait que l'imaginaire se met en marche vers un univers chimérique. Ça ressemble beaucoup au monde fantastique d'Oz, où se passe des choses auxquelles personne ne comprend rien !

Mes parents ne me donnaient jamais d'argent. Ils se méfiaient un peu trop de ma liberté. Une liberté qu'il me semblait illégitime de revendiquer. C'était un fait connu, dès qu'un de mes frères encaissait quelques dirhams, il les picolait. Au milieu de la nuit, ils partageaient leurs calamités, autour de l'unique bouteille de Merlot qu'ils mettaient des heures à vider. Lorsqu'ils avaient absorbé un peu trop vite leur breuvage, ils gravissaient ainsi, par une perte de raison, l'exaltation d'une vie meilleure. Mes frères n'étaient pas vraiment méchants. Ils étaient peut être pauvres et peu instruits. " Mes fils ont hérité de ma pauvreté et de mon ignorance ", disait mon père. Un seul espoir lui restait, la conscience de m'instruire.

Je me suis lancé dans l'écriture lorsque je fréquentais le lycée du "cha3b". Mes professeurs qui ne pensaient pas que j'étais l'auteur de mes écrits, me prenaient tous pour un tricheur. Comment un jeune marocain qui sentait les croquettes de thon, dont le père n'était qu'un chauffeur de taxi, pouvait débattre de la liberté chez Descartes et palabrer les théories de la conscience selon Hegel? Bien sûr, les pauvres ne doivent pas s'instruire. Je me suis attaché à leur prouver que j'étais assez intelligent pour réussir mon bac, la voie suprême pour accéder aux grandes écoles et ainsi devenir quelqu'un.

J'avais du mal à m'identifier aux jeunes de mon âge. Il m'arrivait de faire quelques détours dans des pubs selects, situés dans ces quartiers réputés riches. De bien belles voitures que j'aurais aimé incendier au gasoil. De bien jolies têtes que j'aurais aimé fracasser avec une hache. De beaux vêtements que j'aurais aimé déchirer à l'aide d'une tronçonneuse. Avait-on jamais vu ça? Une progéniture qui valait des millions de dirhams à leurs parents. Dans une brève lucidité, j'ai compris que je ne valais rien. Des vêtements de marques contrefaits. Une nouvelle paire de chaussure trouée. Les clignotants de mon scooter qui ne marchaient plus. C'est dès lors que j'ai vraiment pris conscience que j'avais intérêt à étudier hardiment.  

J'ai obtenu mon bac, un jour d'été où il faisait froid. J'étais tellement heureux qu'un léger vent de liberté attisait mes esprits vaillamment. Pendant une heure, mon père resta ainsi, comme écrasé par un tracteur allemand. Il avait du mal à y croire, au point de nous répéter sans cesse " Le fils de Lahcen moul Taxi... a eu son bac, scientifique et avec mention bien !". Papa était fier, si bien qu'il le cachait derrière un regard oblique et une bouteille de vin bon marché. De là, mon obstination entêté pour chevaucher les péripéties d'une vie, faite jadis d'illusions, venait de débuter. J'étais certes passionné par la philosophie, mais je voulais tenter toutes mes chances. J'ai commencé par déposer ma candidature dans toutes les écoles, où l'admission se faisait sur étude de dossier. Puis, dans les écoles, où l'accès était déterminé par un concours écrit et oral. Cependant, quel fut mon étonnement et mon indignation, lorsque j'ai pris connaissance des seuils d'accès aux grandes écoles marocaines. Et pourtant, ce n'était pas une blague ! L’École nationale d’architecture avait fixé son seuil d’accès à 17,27 de moyenne. L’École nationale de commerce et de gestion avait fixé son seuil d’accès à 16 de moyenne. La faculté de médecine avait fixé son seuil d’accès à de 15,54. Et apparemment, demain, la fac sera payante aussi. 

J'avais un 14 de moyenne, mais je ne pouvais rien faire de ma vie. Mon père n'avait pas assez d'argent pour me nourrir correctement. Comment pouvait-il m'envoyer à l'étranger pour étudier à Paris-Sorbonne, ou m'instruire à London Metropolitan University ? Comment pouvait-il offrir un tapis persan à un haut responsable pour que mon dossier soit accepté? Comment pouvait-il contacter le cousin de la tante à la belle sœur du directeur d'une école de commerce pour que je sois admis? Comment pouvait-il financer mes études dans un établissement privé? Comment pouvait-il en être autrement?  A ce moment, dans ma chambre obscure, j'eus l'étonnement d'écouter une voix. La voix de la folie. Peut être celle de la démence. 

Près de cents jeunes, étaient au rendez-vous ce soir là, à l'hôtel où je suis réceptionniste. De jeunes hommes, de très belles femmes, envahissaient peu à peu les lieux enjolivés, pour célébrer la remise de leurs diplômes. Diplômés des plus grandes écoles en Europe, ils causaient de ma jeunesse qu'ils avaient volé. Les enfants de riches sont-ils plus intelligents?

Où va-t-on honnêtement ? Vers la matérialisation de l'intelligence ou vers la virtualisation de l'argent? La vérité est qu'il n'est pas seulement une question d'argent, mais de tout un système éducatif corrompu. Il est donc évident que le nombre de places dans les écoles supérieures est très limité par rapport au nombre de demandes. Seuls les abonnés à la misère de la vie comme moi, devraient doubler d'efforts pour avoir plus de chance de saisir un banc dans une école, ou choisir d'arpenter les aléas restreints des facultés. Je fais partie d'une race affamée, affairée et négligée de tous, mais audacieuse et déterminée encore à lutter. Je tenterai à nouveau ma chance l'année prochaine qui sait.....Pas en tant que bachelier, mais en tant que voyou, parmi tant d'autres. Excusez-moi, mais il n'y a pas assez de places pour moi.  أنا ما عندي فين نقرا

Il est essentiel pour les jeunes, avant de choisir la bonne école, de se poser plusieurs questions existentielles. Qu’est-ce que je veux faire dans la vie? Sachez bien qu' à partir d'aujourd'hui, l'autre question à se poser est la suivante "Qu'est ce que je vais bien pouvoir faire de ma vie sans des études supérieures ?!"

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