Il s’agit d’assurer Hassan II de «notre soutien continuel, pas simplement en termes matériels, mais aussi en termes de soutien moral à la monarchie. […] Le roi a besoin de preuve constante de notre intérêt», explique Richard Bordeaux Parker, deputy chief of mission, auprès de l’ambassade des Etats Unis à Rabat, au département d’Etat américain, à l’approche de la visite de Ahmed Taïeb Benhima, ministre des Affaires étrangères marocain, à Washington en mars 1973. Dans ce télégramme diplomatique, dévoilé parmi plusieurs millions d’autres par Wikileaks le 8 avril, Richard Parker fait plusieurs propositions à sa hiérarchie, pour s’attacher Hassan II. Un exercice de realpolitik édifiant comme les Etats Unis en ont le secret, dans un contexte associant guerre froide et instabilité politique au Maroc.
Les nouveaux câbles diplomatiques dévoilés par Wikileaks, commencent, pour le Maroc en 1973, année de grands bouleversements : Hassan II, pour garder le pouvoir, doit surveiller l’armée après deux tentatives de coups d’Etat en 71 et 72 et résister en même temps à la tentative de révolution lancée depuis la Libye par les membres de l’UNFP en exil, le 3 mars 73. Le Maroc est au beau milieu des années de plomb. Les Etats unis le savent : l’ambassade relaie fidèlement les enquêtes menées par la police marocaine, les arrestations et les colis piégés reçus par plusieurs opposants.
Guerre froide
Dans ce contexte, Ahmed Taïeb Benhima Benhima est invité à se rendre aux Etats Unis pour rencontrer le secrétaire d’Etat américain William P. Rogers, le 29 mars. Pourquoi, les Etats Unis l’ont-ils invité ? D’abord, pour lui rendre la pareille : il avait reçu quelques temps auparavant Robert Murphy, ambassadeur américain. «J’ai demandé au secrétaire d’Etat Rogers de passer en revue tous les aspects de la relation Maroc-Etats Unis et d’être prêts, dans un avenir proche à en discuter avec le ministre des affaires étrangères Benhima ou tout autre représentant que votre majesté voudra bien désigner», écrit Richard Nixon, dans sa lettre de remerciement à Hassan II.
Ensuite parce que, comme l’illustrent de nombreux autres câbles diplomatiques, les Etats Unis suivent de très près tous les contacts entre l’URSS et le Maroc. La crainte de voir Hassan II se tourner vers l’URSS pour obtenir un soutien international que les Etats Unis lui refuseraient peut expliquer l’empressement des Etats Unis à répondre aux sujets que Benhima propose d’aborder avec le secrétaire d’Etat américain, lors de sa visite à Washington.
Hassan II a besoin d’aide
L’ambassade américaine ne s’en tient pas aux seules propositions de Benhima, qui laissent sceptique, mais fait sa propre analyse de ses intentions cachées. «Nous pensons que le plus important sujet dans l’esprit de Benhima sera surtout la question des relations américano-marocaines et le besoin du roi de nous voir réaffirmer notre soutien», estime l’ambassade. «Dans l’effervescence nationale et internationale, le désordre croissant, le roi a besoin de soutiens extérieurs. Les contacts actuels et les échanges avec les soviétiques devraient peut-être être interprétés dans ce contexte, mais la visite de Benhima à Washington doit en tout cas être lue ainsi, c’est certain», analyse l’ambassade, dans un télégramme adressé au département d’Etat, le 26 mars.
L’objectif est donc de rassurer Hassan II pour qu’il n’aille pas se tourner vers l’URSS. Cependant «comme il est difficile de donner des preuves tangible de notre soutien au moment où nos moyens pour l’aide [internationale] s’amenuisent, nous devons compter sur des [propositions] cosmétiques», suggère Richard Parker au département d’Etat.
Offres américaines à Hassan II
Pour atteindre ce but, elle propose une série de propositions à faire à Benhima pour plaire à Hassan II sans pour autant augmenter l’aide qui lui est déjà fournie. «L’une d’elles serait d’offrir d’aider le roi à propos de ses problèmes de protection personnelle. Sachant le rôle majeur des Français dans ce domaine, nous ne pouvons nous attendre à ce que notre offre soit acceptée, mais elle aurait un impact psychologique utile. Deuxièmement, il faut programmer plus de visites de VIP au Maroc, qu’ils aient ou non quelque chose d’important à discuter ici. Le roi a besoin de preuves constantes de notre intérêt. Troisièmement, il faut soulever la question d’une visite royale aux Etats Unis et essayer de travailler sur une date. Quatrièmement, il faut publier un communiqué à la fin de la visite de Benhima dans lequel on tient un discours qui donne du crédit au roi pour son attitude constructive sur les questions mondiales. Cinquièmement, il faut organiser la visite de Benhima à la Maison blanche», énumère le télégramme de Richard Parker, à l’ambassade américaine à Rabat.
Il y a fort à parier que toutes ces propositions auront été fidèlement suivies, car le 29 mars, jour de la rencontre le département d’Etat américain envoie à plusieurs de ses ambassades le communiqué de presse officiel. «La visite, qui a eu lieu dans le cadre d’une amitié de longue date entre les Etats Unis et le Maroc, témoigne de l’intérêt continue des Etats Unis pour le bien être du pays et de ses meilleurs vœux de réussite pour sa majesté le roi Hassan II pour la promotion et le développement du pays», annonce officiellement le département d’Etat.