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Tribune

La peine de mort, une aberration statistique ?

Un mini-débat comme il y en a tant s’est déroulé il y a peu de temps sur la twittoma, à propos de la pertinence du maintien de la peine de mort.

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Ce que j’ai cru comprendre des arguments des uns et des autres se résume comme suit:

1/ La peine de mort se justifie lors d’un crime particulièrement horrible, un argument ad populum qui évoque un drame hypothétique faisant d’une proche connaissance la victime du crime en question. C’est d’ailleurs un argument souvent repris par les médias, au Maroc, par l’inoxydable Moustapha Alaoui, aux Etats-Unis lors du débat présidentiel des élections de 1988 en George Bush Sr. et Michael Dukakis:

2/ La peine de mort est supposée être une punition suffisamment convaincante pour dissuader le criminel potentiel de s’engager dans son entreprise. Même en raisonnant en termes probabilistes, la grande majorité des individus est suffisamment averse au risque pour ne pas se risquer à une loterie dont l’objet est de perdre sa vie, aussi marginale la probabilité de se faire prendre soit-elle.

3/ La peine de mort est contraire aux principes de dignité et de droits humains, et devrait donc être abolie.

Des 3 propositions, je retiens la deuxième car elle se réfère à un objectif de politique publique: en menaçant une certaine classe de crime, les individus susceptibles d’adopter le comportement puni seront dissuadés car cette punition a des conséquences morbides.

Avant de me plonger dans les statistiques décrivant le lien entre peine de mort et criminalité (dans la mesure des données disponibles et de ma connaissance limitée du sujet) je dois confesser une fascination pour cette explication anthropologique de la peine de mort: elle serait le reliquat moderne du rituel sacrificiel, échangeant la vie du déviant contre l’absolution de son péché. L’argument n°1 considère ainsi que suit à son acte criminel, l’individu déviant se serait volontairement dépouillé de son humanité, et donc ne peut être pardonné qu’en perdant sa vie.

Dans sa version plus moderne, cet acte expiatoire est rationalisé dans la réponse proportionnelle de la rétribution au crime commis: à partir d’un certain seuil, la seule punition admise comme équivalente est donc la mise à mort.

Ces considérations sont fascinantes car elles relèvent du domaine de la pure pensée. Elles définissent certes un cadre philosophique justifiant un acte extrême (car irréversible) mais d’un autre côté, une fois la rationalité innée des individus acquise (omniscience ou limitée) les choses deviennent plus compliquées: puisque tous les individus d’une société savent que telle classe de crimes (comportements déviants) est punie de mort, il serait prudent de ne pas adopter ces comportements. Le premier argument fournit donc le soubassement philosophique au second: la peine de mort sert à décourager les comportements déviants.
Or, et c’est là que les choses deviennent plus intéressantes, nous avons des statistiques pour vérifier cette assertion: les pays adoptant la peine de mort (de jure ou non) observent-ils des niveaux de criminalité inférieurs à ceux des autres?

Pour ce faire, je retiens deux principales violences sur les personnes: meurtres et violences sexuelles, une moyenne entre 2003 et 2010 pour 91 pays, exprimées en nombre de crimes par 100.000 personnes. L’idée est de comparer le taux de criminalité selon l’adoption ou non de la peine de mort, on remarque ainsi que les 28 pays pratiquant ou adoptant la peine de mort dans leurs arsenaux juridiques respectifs enregistrent une moyenne de 52 crimes graves pour 100.000 habitants, contre une moyenne de 38 crimes en moyenne annuelle pour les 63 pays ayant aboli ou n’adoptant pas la peine de mort. On observe ainsi que le taux de criminalité est supérieur dans les pays pratiquant la peine de mort. La différence est-elle statistiquement significative? Non: nous n’avons que 85% de chances pour ne pas rejeter cette hypothèse de différence, ce qui n’est pas suffisant pour conclure à une réelle différence de taux de criminalité.

Ce premier résultat est peut-être une déception pour ceux qui lient le taux de criminalité à l’établissement de la peine de mort, ainsi que les abolitionnistes: certes, la criminalité est plus élevée chez les pays rétentionnistes, mais elle n’est pas fortement élevée en comparaison avec les abolitionnistes. Il est donc nécessaire de creuser un peu plus, notamment en observant l’évolution du crime dans les pays récemment abolitionnistes (une autre fois peut-être)

Une petite observation cependant: d’une manière générale, le lien entre les crimes de meurtre et de violence sexuelle est notoirement plus élevé dans les pays rétentionnistes, alors même qu’il n’ya pas de différences particulières dans la distribution des crimes de violence sexuelle nonobstant la position des pays de l’échantillon vis-à-vis la peine capitale. S’il faut tester l’efficacité de cette punition, c’est essentiellement en ce qui concerne les crimes de meurtre.

Peut-on donc conclure à l’inefficacité de la peine de mort comme outil dissuasif aux crimes extrêmes? Au vu des résultats statistiques, il semblerait que ce soit le cas: les niveaux de crimes de violence sexuelle sont sensiblement les mêmes dans les deux cas de figures (ce qui signifie que la menace d’exécution n’est pas un facteur) et les crimes de meurtre sont notoirement moins élevés dans les pays abolitionnistes, comme ont peut le voir des les tableaux ci dessous. Pour les plus curieux, voici un lien avec les données utilisées, que j’ai glanées sur le site d’Amnesty pour la liste des pays rétentionnistes, et l’Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime.

Visiter le site de l'auteur: https://moorishwanderer.wordpress.com/

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