Malgré un début d'hiver marqué par des pluies tardives et rares, les récentes précipitations au Maroc ont été salutaires à bien des égards. Outre l'impact positif sur l'agriculture et le remplissage des barrages, ces averses ont redonné un souffle de vie à des espaces naturels, ravivant leur verdure après sept années de sécheresse historique. Elles ont également permis de revitaliser les écosystèmes des zones humides, notamment aux embouchures où l'eau ne parvenait plus à la mer en raison du stress hydrique, du pompage excessif et de la surexploitation.
L'oued Moulouya, situé dans l'Oriental et classé site d'intérêt biologique et écologique (SIBE), illustre parfaitement cette situation. En décembre dernier, Mohamed Benatta, ingénieur agronome, avait alerté Yabiladi sur le fait que l'eau douce ne se déversait plus en mer, menaçant un écosystème déjà fragile. Cependant, grâce à l'implication d'acteurs écologiques locaux, un retour des cours d'eau vers la Méditerranée a été observé depuis le 7 mars.
L'oued Moulouya retrouve son embouchure
Mohamed Benatta, docteur en géographie, président de l’Espace de solidarité et de coopération de l’Oriental (ESCO) et coordinateur de la plateforme écologique du Maroc du Nord (ECOLOMAN), a déclaré ce mardi que «les dernières pluies ont permis de dégager l'embouchure grâce à l'amélioration du débit». «L'estuaire de la Moulouya n'est plus fermé, l'oued atteint la mer et élargit son lit», a-t-il expliqué.
L'embouchure du Moulouya au 7 mars 2025
«Les premiers jours, la mer de Saïdia a pris une teinte rougeâtre à brune, due à la boue et aux éléments charriés par les crues en amont. Mais aujourd'hui, le bleu azur du littoral marocain est de retour, prouvant que les cours d'eau se dirigent naturellement vers l'embouchure, remplaçant les sédiments», ajoute Mohamed Benatta, saluant un retour à «l'équilibre écologique régional».
À Azemmour, les cours d'eau douce retrouvent également leur chemin vers l'embouchure. «Des chercheurs et acteurs locaux nous ont informés que la situation de l'oued Oum Rabiî, du côté de l'Atlantique, s'est temporairement améliorée», note l'associatif, décrivant un retour du courant dans le plus grand fleuve du pays vers la mer. Depuis des années, la zone était asséchée et ensablée, tant par le manque d'eau que par les activités humaines, avec un impact environnemental conséquent.
L'impact des dernières années de sécheresse a également été ressenti à Sidi Boughaba, près de Kénitra. En 2020, ce site protégé par la Convention Ramsar a vu le niveau de son lac baisser en raison de l'assèchement de la nappe phréatique. Après une si longue période de sécheresse, les récentes pluies de février et mars 2025 ont été plus que bénéfiques pour l'ensemble de l'écosystème, confirme Abdeslam Bouchefra.
Une partie asséchée du lac de Sidi Boughaba en 2020 / Ph. Association marocaine pour l’économie verte, l’environnement et la justice climatique
Des espèces sauvages retrouvent leur lieu de nidification
En charge de la conservation du site en tant que secrétaire général de la Société protectrice des animaux et de la nature au Maroc (SPANA), en partenariat avec le département des Eaux et forêts, Abdeslam Bouchefra nous explique que, même si la situation reste en deçà de la normale en dehors des périodes de sécheresse, cette amélioration a permis à plusieurs espèces de retrouver leur lieu de nidification, s’adaptant au stress hydrique persistant sur ce site inscrit sur la liste Ramsar depuis 1980.
«Depuis la semaine du 10 au 16 mars, nous avons constaté que de bonnes quantités d'eau ont regagné leur point naturel après une période très critique. Avant cela, plusieurs zones de nidification s'étaient complètement asséchées, faute de pluie. Sur le plan hydrique, nous notons une nette amélioration, bien qu'avec un certain retard par rapport à la période d'accouplement, ce qui pourrait perturber la reproduction des oiseaux», précise le spécialiste.
Selon l'associatif, ces espèces «se sont retrouvées dans des habitats qui ne correspondent pas exactement à leur milieu naturel, mais les animaux sauvages possèdent une capacité d'adaptation étonnante face aux contraintes, ce qui a permis à certains de se déplacer ou de construire de nouveaux nids».
Sidi Boughaba en mars 2025 / Ph. SPANA
Durant les années de sécheresse, le lac a également connu une sédimentation importante en provenance des bassins versants. «Ce mécanisme a impacté la zone aquatique et étranglé certaines parties du lac, où l'eau ne circule plus sur près d'un kilomètre pour une étendue de six kilomètres», explique Abdeslam Bouchefra.
«Le niveau d'eau a baissé et avec l'accumulation des sédiments dans le lac, la végétation terrestre s'est installée, empêchant l'eau de circuler entre les deux parties et réduisant la surface hydrique. Bien entendu, ce phénomène peut être naturel, mais il est accéléré par des facteurs comme les pâturages ou l'érosion. Ici, le défi pour l'avenir du lac de Sidi Boughaba est surtout la sédimentation et la sécheresse. Des solutions techniques existent, mais elles demandent des moyens importants.»
Les pouvoirs locaux ont leur part de responsabilité dans la conservation
En février dernier, la direction régionale de l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF) de Rabat-Salé-Kénitra a dévoilé le Plan d’aménagement et de gestion de la zone humide de Sidi Boughaba, en collaboration avec la SPANA. Ce plan vise à «fédérer l’ensemble des acteurs autour d’une vision commune pour la conservation et la valorisation des services écosystémiques rendus par cette zone humide».
Le lac de Sidi Boughaba avant les récentes précipitations / Ph. SPANA
À ce titre, Abdeslam Bouchefra interpelle sur le rôle des pouvoirs locaux et élus dans la conservation des zones humides au Maroc. «Une autre qualification a été lancée pour les Villes Ramsar, dont Ifrane fait partie. Récemment, Mehdia s’y est ajoutée, en attendant de recevoir sa certification au COP 15 de la Convention Ramsar, en juillet prochain», nous a-t-il déclaré.
Selon l’acteur associatif, «il s’agit d’un pas salutaire d’une grande importance, en reconnaissance des efforts collectifs de conservation de la zone humide de Mehdia par les pouvoirs publics, les spécialistes et les associations».
«L’initiative des Villes Ramsar implique l’engagement des municipalités à soutenir la pérennité et la durabilité des zones humides», souligne Abdeslam Bouchefra, pour qui c’est «un message fort aux pouvoirs locaux, afin de garantir la préservation de ces écosystèmes fragiles».