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Tribune

Maroc : La décompensation, un choix de société

La décompensation n’est pas une affaire de gouvernement, mais d’Etat. Avant d’être technique, la décompensation est un choix de société

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Le gouvernement, comme l’opposition, jouent un jeu dangereux. Le premier continue sa politique de ballons d’essai, en envoyant au charbon tel ou tel ministre avec telle ou telle déclaration, évitant le débat public serein sur cette question. Attention car le sujet est plus grave que la réforme de l’audiovisuel ou la liste des agréments. La seconde se contente de refiler la patate chaude au gouvernement et ne fait pas de propositions concrètes sur la nécessaire décompensation, dont le principe jouit d’une unanimité sans précédent. Sa seule manœuvre politicienne enregistrée à ce jour est celle qui consiste à crucifier l’idée des aides directes aux ménages, en agitant le risque d’achat déguisé des voix électorales et la difficulté de ciblage de qui est vraiment pauvre et qui ne l’est pas vraiment.

De quoi parle-t-on sérieusement ?

D’une aide publique, déployée depuis des années, grâce à la caisse de compensation, qui subventionne les produits (Carburants, gaz, sucre, farine…) afin d’en maitriser le prix de vente sur le marché. Cette aide dépasse aujourd’hui les 50 milliards de dirhams par an, soit presque l’équivalent de la recette des transferts des MRE vers le Maroc, première source de revenus en devises du pays. D’abord, c’est trop. Ensuite, la subvention faite directement sur les produits mène à des dérives, des détournements et, étude à l’appui, profite davantage à une catégorie sociale réputée aisée plutôt que celle décrite comme pauvre.

Quel est le projet du gouvernement? Au lieu de subventionner les produits, aider directement les ménages nécessiteux, et annuler la caisse de compensation. Techniquement, cette idée est confrontée à deux difficultés majeures: la première, comment cibler les ménages nécessiteux, sachant que le Maroc dispose de plusieurs sources de données en la matière : carte de la pauvreté de l’INDH, programme d’accès aux soins RAMED, et statistiques du HCP notamment par le recensement national de la population. La deuxième, comment calibrer cette aide, en partant du principe que être pauvre n’est pas une fatalité ni un crime, et on n’a pas vocation à le rester. Une aide directe, on sait quand est-ce que cela commence, on doit pouvoir y mettre des critères supplémentaires d’éligibilité (scolarité des enfants, formation professionnelle des jeunes, action associative d’intérêt public, participation à une activité génératrice de revenu, lire un livre par semaine, faire du sport, rouler correctement…), et surtout, on doit pouvoir mettre un cap de sortie à la situation de nécessité pour faire du bénéficiaire de la solidarité nationale un futur contributeur à l’effort public.

Quel est le seul reproche de l’opposition? Ce schéma pose, il est vrai, un problème de reconnaissance du grand public qui commencera à recevoir de l’argent toutes les fins de mois du gouvernement en place, donc le parti majoritaire en place, laquelle reconnaissance se traduira, pour cette raison ou pour d’autres, en vote de loyauté et de remerciements. Attention, cela pose également le risque que ce même parti majoritaire engendre la colère des citoyens au regard de l’augmentation du prix du gaz, et sous l’impact de la hausse du prix des carburants, l’augmentation du coût de la vie de façon générale, proportionnellement plus vite et de manière plus importante que les aides reçues…

Donc, c’est une question de valeurs de société d’abord. Eviter la faillite de l’Etat, oui. Aider les plus nécessiteux, avec option de s’en sortir, oui. Créer un nouveau couloir de non-droit, basé sur la mention administrative sur un document désignant le pauvre de celui qui ne l’est pas, non. Faire l’apologie de la pauvreté, non. Revenir, sous la pression sociale, à débourser dans le nouveau système la même somme, 50 milliards de DH, voire plus, non. La décompensation par les aides directes posera un problème d’équité devant la responsabilité collective, surtout auprès de la classe moyenne appelée à consentir des efforts sans précédent pour garantir la stabilité du pays.

Une troisième voie peut-être ?

C’est possible : Subventionner l’usage du produit, et non le produit et surtout pas le ménage dans l’absolu. Près de 90% de la caisse de compensation est destinée au soutien des prix des carburants. C’est là où les plus grandes économies sont possibles. Le ciblage est plus précis, car il s’agit de motos et véhicules identifiables grâce à leurs cartes grises, la carte nationale biométrique de leurs propriétaires, leurs permis de conduire biométrique et leurs polices d’assurances. Subventionner l’usage revient à garantir un prix aidé pour une certaine quantité de carburant par mois, par véhicule, par permis. Au-delà du quota, le consommateur paiera plein prix. Or, la technologie permet cela : une carte carburant. L’Egypte s’y mettra dans 3 mois et prévoit de forte baisse de l’effort public sur les prix des carburants. Cela revient à mettre tout le monde sur le même pied d’égalité. Un grand voyageur ou un passionné de voiture saura qu’il faut payer plein prix pour son plaisir, mais profitera de l’aide publique pour aller au travail ou emmener ses enfants à l’école. Cette rationalisation par la subvention de l’usage du produit est également, par les mêmes technologies, voire la même carte, applicable à la distribution du gaz dans un réseau informatisé (hyper et supermarchés, stations-services…). Quant à la farine et le sucre, les seules économies réelles à faire sont au niveau de l’industrie des boissons et de la biscuiterie. Ce sont des matières de sécurité, avec la menthe et le thé, pour lesquels il est peu recommandé de tenter de modifier le prix. Dans cette troisième voie, la caisse de compensation devra continuer d’exister, mais plafonnée à ce qu’il faut pour subventionner le prix de l’usage nécessaire du carburant (professionnels et particuliers), et le soutien du prix de la farine et du sucre grand public (soit 2 à 3 milliards de DH). Les aides directes n’ont pas vocation à produire une nouvelle rente, mais optimiser, renforcer et compléter les systèmes d’aides aux ménages nécessiteux déjà en marche dans le pôle social (Entraide nationale, Tayssir, Agence de Développement Social) et les programmes sociaux (INDH, RAMED, Villes sans Bidonvilles). Dans cette histoire de décompensation, il n’y qu’un pauvre pour y voir plus clair, voilà peut-être pourquoi Steve Jobs concluait son discours historique par «Restons affamés, restons pauvres».

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Auteur : Anassss
Date : le 18 février 2013 à 23h30
On persiste à croire que le célébre adage "affame ton chien il te suivra" est celui qui convient à cette situation, jusqu'au ce qu'il se mette à déranger les voisins.
On tente dès lors la négociation et on lui lâche, à ce moment là seulement, un os en guise de "récompense".

Pourtant et même s'il est vrai, que les marges de manœuvres sont bcp plus réduites par les temps qui courent, le risque de manquer ce rendez-vous ou de voir son compagnon perdre son calme et patienter jusqu'aux pourparlers, est très plausible.

D'autre part, au Maroc, le référentiel en données sociales, ou autre instrument de mesure, pour soi-disant cibler les ménages nécessiteux n'est pas indispensable puisque cela relève déjà des compétences de l'Intérieur!
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