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Grand Angle  

Liban : Sous les bombardements, les familles marocaines face à l’inconnu

Depuis octobre 2023, avec la guerre d’occupation dans la bande de Gaza, Israël a multiplié parallèlement les attaques au sud du Liban. Dans le pays du Cèdre, les cibles ont été situées de plus en plus vers le nord. Depuis la semaine dernière, Beyrouth, sa banlieue puis son centre ont été visés. Auprès de Yabiladi, des mères de famille marocaines ont fait part de leur angoisse sur l’évolution de la situation.

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Dahiyé, la banlieue sud de Beyrouth, visée le 27  septembre par des frappes israéliennes / Ph. Adrienne Surprenant - MYOP - Le Monde
Temps de lecture: 5'

Sous les bombardements, la population au Liban ne sait plus quel serait l’endroit le plus sûr pour y trouver un abri. Depuis une semaine, Israël a accéléré l’escalade de violence dans le pays, faisant plusieurs milliers de morts et autant de blessés. Jusque-là épargnés, même des quartiers du centre de Beyrouth sont désormais pris pour cible, après l’offensive sur sa banlieue sud, vendredi, ayant visé Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah.

Le bombardement israélien sur le quartier général du parti chiite a tué l’homme politique, en plus d’avoir causé la mort de plusieurs centaines d’autres personnes. L’escalade a accéléré les déplacements forcés, qui équivalent actuellement un habitant du Liban sur cinq. Parmi ceux de Beyrouth, nombreuses sont les familles marocaines à n’avoir aucune visibilité sur leur avenir même dans la ville.

«J’habite un quartier qui n’est pas loin des frappes, que nous suivons et entendons avec la plus grande inquiétude et la peur qu’elles regagnent notre pâté de maison, à un moment ou à un autre», nous confie une ressortissante marocaine, contactée par Yabiladi. Auprès de notre rédaction, la mère de famille nous dit ressentir «une grande injustice au milieu de ce qui se passe». Un sentiment partagé avec l’ensemble des habitants au Liban. «Nous sommes partagés entre l’injustice, la crainte de ce dont demain sera fait et le fait de ne savoir où aller, nous et nos familles», nous a-t-elle déclaré.

S’agissant de l’interaction avec le service consulaire sur place, notre interlocutrice rappelle que «la seule représentation du Maroc est l’ambassade». «En m’y rendant, j’ai appris que nous pouvions nous inscrire sur des listes, mais nous n'en savons pas plus, pour le moment. Dans des situations comme celle-ci, le fait d’avoir un consulat entièrement dédié aux affaires administratives des ressortissants aurait facilité l’accès au service pour nous d’une part, et le processus de centralisation des noms des présents sur le territoire pour le Maroc, d’autre part», souligne-t-elle.

Des frappes d’une violence sans précédent

Dans ces circonstances, la ressortissante dit partager le sentiment général d’expectative. «Il y a peu de nouvelles qui circulent sur les concitoyens restés à Beyrouth, déplacés ou ceux ayant pu quitter le territoire... et vers où ?», nous dit-elle. La situation est telle que la capitale n’est plus un endroit sûr, même pour les familles déplacées des gouvernorats plus au sud, ciblés précédemment par l’armée israélienne. C’est le cas de Khadija*, une jeune mère de deux enfants. Vivant au Liban depuis 2013, elle a résidé jusque-là dans la ville côtière de Khalde, à 12 km de Beyrouth. Désormais, son quotidien est bouleversé.

«Dès le premier jour, nous avons reçu une notification de menaces et nous avons quitté les lieux. Lundi de la semaine dernière, nous sommes sortis de notre domicile à Khalde, mes deux enfants et moi, pour trouver refuge chez une amie. Nous nous sommes déplacés un peu plus au nord, espérant être à l’abri des attaques, mais nous ne pouvons pas savoir si ce lieu resterait sûr et comment les choses pourraient évoluer dans tout le pays, d’ici les prochaines heures.»

Khadija, résidente marocaine au Liban

Vendredi dernier, Khadija et sa famille n’ont pas fermé l’œil de la nuit. «Nous entendions les déflagrations à Beyrouth et juste à côté de chez moi. J’ai vidé les lieux, mais plusieurs autres personne n’ont pas trouvé où aller. Certains ont pu s’installer dans des hébergements, mais beaucoup dorment dans les rues», déplore la ressortissante. Sur la Place des Martyrs et tout au long de la côte maritime, parents et enfants sont nombreux à passer les nuits. «Je connais moi-même une concitoyenne parmi eux, avec son mari et ses petits. Les habitants sont solidaires et se partagent les repas, mais les conditions sanitaires et l’accès à l’assainissement manquent», nous dit Khadija.

A Beyrouth, la situation est en effet loin d’être rassurante. Dans une escalade de violence sans précédent, des frappes survenues dans la nuit de dimanche à lundi ont ciblé «une zone sunnite du centre, qui a été épargnée depuis 1982 ; nous ne savons pas si cette spirale va se terminer et comment», s’inquiète Khadija. La mère de famille a par ailleurs eu accès au service consulaire pour y inscrire ses informations personnelles, en attendant les suites. Yabiladi a tenté de joindre l’ambassade du Maroc au Liban, mais en vain.

«A l’ambassade, on nous a demandé d’inscrire nos noms, prénoms, ceux de nos maris et de nos enfants, dans l’attente de prochaines instructions. Nous souhaiterions juste avoir une visibilité sur ce qui pourrait se décider», s’inquiète la jeune mère. En effet, populations locales comme ressortissants étrangers trouvent peu d’options pour un éventuel départ. «Les vols encore disponibles sont souvent ceux de Middle East Airlines. La plupart affichent complets et les places encore libres sont prévues à des dates éloignées. Parfois, il arrive de trouver une seule place, ce qui n’est pas évident pour une famille avec des enfants», souligne Khadija. Selon elle, «beaucoup de gens parmi ceux qui partent n’emportent ni bagages, ni argent».

Des familles s’accrochent à la vie, mais appellent à une intervention étatique

A environ 30 km à l’est de Beyrouth, Fatiha* habite quant à elle à Bekaa. «Nous pouvons voir et entendre les bombardements depuis ici. J’ai décidé de rester chez moi, mais nous sentons le poids de la menace. Nous vivons dans l’horreur quotidienne. Nous avons peur pour nos vies et celles de nos enfants», nous dit cette mère de famille, qui vit au Liban depuis 8 ans maintenant. «Bien que nous n’ayons pas quitté nos domiciles, nous passons pratiquement la nuit dehors, par crainte des raids et des bombardements. Le jour, nous rentrons manger et nous doucher», confie la ressortissante, contactée par notre rédaction, appelleant à une intervention du côté marocain.

Pour Karima, la peur s’est installée depuis l’année dernière. Habitante du gouvernorat du Liban-Sud, elle nous confie son sentiment d’«insécurité totale». «Nous avons été poussés à partir du Jnoub. J’ai cinq enfants, le plus jeune a deux ans. Je suis actuellement chez une amie marocaine, près de Beyrouth, mais elle ne peut nous héberger que pour trois jours. Après quoi, je dois trouver un nouvel abri», nous déclare-t-elle.

«Nous avons quitté notre domicile, hier, après avoir entendu des bombardements. Deux maisons voisines ont été bombardées et mon mari a été blessé. Nous sommes traumatisés. Mon fils a eu un épisode hémorragique et ma petite fille est maintenant terrifiée au moindre bruit. Nous avons attendu le matin, car sortir la nuit est dangereux. Nous avons l’impression que ce qui s’est passé à Gaza est en train de se reproduire avec nous. Nous appelons le roi Mohammed VI à nous aider pour notre rapatriement, avant qu’il ne soit trop tard.»

Karima, résidente marocaine au Liban

La mère de famille nous confie avoir envisagé toutes les possibilités pour partir, mais que toutes s’avèrent risquées. «Nous ne savons pas si demain, l’aéroport sera bombardé. J’ai essayé de trouver un moyen de partir, par bateau ou via la Syrie, mais c’est aussi dangereux et je ne peux pas faire ça à mes enfants. Notre ambassade a fait ce qu’elle a pu, nous avons été inscrits sur une liste. Nous avons envoyé nos documents et nous attendons, mais c’est épuisant. J’ai peur pour mes enfants, je veux juste dormir et me sentir en sécurité. Je passe toute la nuit éveillée en pensant qu’une bombe va nous tomber dessus», nous dit-elle en pleurant.

Déplacée également depuis le gouvernorat du sud, Elham nous confie quant à elle avoir «tout perdu», depuis que sa maison a été détruite en octobre 2023. «Le 9 octobre de l’année dernière, nous avons couru pour nous sauver. Nous sommes arrivés à Saïda, sur la côte méditerranéenne. Nous étions hébergés par ma belle-famille, mais après un certain temps, j’ai dû louer une maison et recommencer à travailler», nous dit-elle.

Depuis, Elham s’estime chanceuse d’avoir eu la possibilité d’échapper à la mort. «Mais cette fois-ci, nous ne pouvons plus, nous n’avons même pas d’argent pour acheter des billets qui coûtent jusqu’à 4 000 dollars», nous confie la mère de famille.

«Nous ne voulons pas mourir ici. J’ai trois enfants, ils sont terrifiés. Nous entendons les bombardements d’ici. Nous appelons le roi Mohammed VI pour aider à notre rapatriement et nous appelons le ministère des Affaires étrangères à accélérer l’opération, car chaque jour compte», lance Elham.

* Les prénoms ont été changés

Article modifié le 30/09/2024 à 23h33

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