Quel regard portez-vous sur la «guerre d’information» menée par Israël, sur les réseaux sociaux ?
La guerre de l’information israélienne n’est pas nouvelle. Elle ne date pas de la guerre actuelle. Elle est plutôt liée à l’existence d’Israël. La propagande a commencé, dès la première conférence sioniste avec Theodor Herzl en 1897, partant de l’idée que pour ses partisans, cette guerre est une question existentielle.
Pour eux, il existe donc plusieurs fronts. Par la centralité de celui de l’information, ils investissent beaucoup dedans. Cette stratégie peut être résumée dans le mot «Hasbara», un terme en hébreu signifiant «explication» ou «interprétation». Il s’agit d’une stratégie visant à essayer de s’adresser à chaque cible avec un discours spécifique à sa compréhension. Par exemple, le contenu adressé aux pays européens est différent de celui pour les Etats-Unis, les pays hispanophones d’Amérique du Sud ou les Etats arabes et l’Iran.
Ils ciblent des groupes régionaux considérés comme importants, en s’intéressant d’abord à l’opinion publique interne, puis aux pays voisins représentés par tous les Etats arabes, puis à l’Iran parce qu’ils estiment que beaucoup d’Iraniens sympathiseraient avec Israël. Ils visent aussi l’Europe, qui garde le sentiment de culpabilité envers les juifs et Israël, mais aussi l’Inde et les pays hispanophones d’Amérique Latine.
Les Etats-Unis sont considérés comme le pays le plus important dans lequel ces actions sont très présentes, à travers l’«AIPAC» (American Israel Public Affairs Committee), la plus grande organisation de lobbying qui dirige presque la politique étrangère américaine.
Qu’en est-il du Maroc ?
Selon mon suivi de leur stratégie, ils considèrent le Maroc comme un pays important dans cette stratégie, en raison de la présence de juifs d’origine marocaine en Israël, où leur nombre est estimé entre 800 000 et 1 million, sachant que le nombre d’Israéliens dépasse les 9 millions. Là-bas, le Maroc est encore fortement présent parmi les juifs originaires du pays. A cela s’ajoutent les relations avec le royaume, officielles ou officieuses.
Israël a un intérêt constant pour le Maroc. On voit plusieurs comptes Twitter, dont les propriétaires parlent en dialecte marocain ou en arabe et se présentent comme Marocains, tout en abordant des sujets variés. Ils publient des messages principalement hostiles à l’Algérie, en mettant l’accent sur le différend régional, même si les discours du roi insistent sur la mise en place de bonnes relations avec le voisin de l’Est. Ils ont pour objectif d’isoler le Maroc, afin qu’Israël soit le principal allié.
Il existe, en outre, une guerre de l’information menée par Israël, à travers une stratégie orientée vers les Etats arabes (dont le Maroc), notamment par une campagne numérique arabe. Le ministère israélien des Affaires étrangères utilise activement les réseaux sociaux pour atteindre et influencer le public arabe.
Guerre d’information menée par Israël : Stratégie orientée vers les pays arabes (dont le Maroc) :
— Marouane HARMACH مروان حرماش (@sniper_ma) December 3, 2023
1. Campagne numérique en arabe : Le Ministère des Affaires étrangères d'Israël utilise activement les réseaux sociaux pour atteindre et influencer le public arabe.
2. Contenu… pic.twitter.com/OLBFtM7bko
Il se concentre également sur le thème de «Taza avant Gaza», en abordant des sujets d’intérêt pour les Marocains, comme le conflit avec le Polisario et les questions intérieures. On appelle les internautes à se concentrer dessus, tout en évoquant la présence marocaine en Israël, et que les ’Marocains d’Israël’ sont plus proches de nous que les arabes de Palestine. Tout cela vise à isoler le Maroc de sa part arabe.
Y a-t-il des Marocains mobilisés dans cette campagne ?
Il existe différents profils. Le premier est celui des comptes gérés par Israël. Il y a les comptes suspects, dont les propriétaires sont des Marocains recrutés ou ayant des relations avec Israël. Le troisième est celui touché par cette propagande. Il y a eu une pénétration directe, avec un petit groupe qu’on a pu diriger et qui est convaincu de l’importance des relations entre le Maroc et Israël, ainsi que de la capacité d’Israël à défendre la cause nationale. Je ne parle pas d’une percée, mais plutôt d’un impact sur une petite partie.
Qu’en est-il des réactions marocaines ?
Le monde virtuel nous présente une image déformée de la réalité. Il y a de grands mouvements sur ces sites, comme les Moorish par exemple. Beaucoup croient qu’ils existent réellement, alors que non. Il y a une tendance dans le monde virtuel, mais sa présence dans la réalité est une autre affaire.
Je crois qu’une minorité défend ces idées qui sont promues, soit par intérêt, soit par influence..., mais la société marocaine est majoritairement sympathisante de la question palestinienne, avec laquelle des générations ont grandi. C’est quasiment parmi les constantes nationales et même un des sujets sacrés.
Face à ces tentatives d’influence, existe-t-il des moyens de lutter ?
Oui, bien sûr. Il peut sembler que quelqu’un qui publie beaucoup soit omniprésent, et cela fait partie d’une stratégie générale, car il existe des moyens de créer de faux comptes, ce qui donne l’impression que l’autre mouvement est minoritaire. Mais en réalité, c’est l’inverse qui est vrai. Le Marocain moyen, qui a un compte normal, est souvent contre la normalisation, ou accepte les relations avec Israël dans une situation particulière, dans le cadre des Accords d’Abraham.
Le Maroc officiel a également souligné, à plusieurs reprises, les droits légitimes du peuple palestinien, que ce soit à travers des déclarations du Palais royal ou des communications du ministère marocain des Affaires étrangères. Je crois qu’il existe au Maroc une tendance profonde qui est inefficace sur les réseaux sociaux, lesquels sont majoritairement anti-normalisation et favorables à la cause palestinienne.
Ce qui est dangereux dans les campagnes d’influence et d’infiltration en général, et pas seulement en ce qui concerne la position sur la guerre en Palestine, c’est que ces tentatives peuvent orienter l’opinion publique concerne des questions qui pourraient ne pas être dans l’intérêt du pays, comme les tentatives d’influence sur les élections, de contrôle des résultats ou faire déchoir des responsables politiques.
On se souvient, par exemple, de la tentative d’un Etat du Golfe d’influencer le gouvernement PJD en 2015 et 2016, car cet Etat a un projet stratégique contre les Frères musulmans et l’Islam politique.
Pour moi, le front intérieur doit être fortifié et les débats dans la sphère publique doivent être à l’abri des tentatives d’infiltration, que des pays ou des groupes peuvent bien sûr soutenir, tout en respectant le droit à la liberté d’expression garanti par la loi. L’opinion publique numérique fait partie de la cybersécurité et de la sécurité globale du pays.