Au fur et à mesure que la date du 8 septembre s’éloigne, l’urgence sanitaire et alimentaire laisse place à la phase de reconstruction des habitations touchées par le séisme, qui a fait près de 3 000 morts, particulièrement dans les provinces de la région de Marrakech-Safi. Les zones rurales montagneuses étant les plus impactées, des architectes préconisent une réédification combinant avantages du progrès technique et particularités locales, piliers d’un patrimoine à préserver. Un chantier titanesque, puisqu’au niveau des cinq provinces les plus touchées, 50 000 logements sont totalement ou partiellement effondrés.
A l’issue d’une réunion présidée par le roi Mohammed VI, le 14 septembre, un communiqué du cabinet royal a fait savoir qu’outre les actions urgentes de relogement provisoire, une aide de 30 000 dirhams est prévue pour les ménages concernés. A cet égard, le roi a «attiré l’attention des autorités compétentes sur le caractère extrêmement prioritaire de l’opération de relogement, qui doit s’effectuer dans les conditions nécessaires d’équité et d’écoute permanente des besoins des populations concernées». Lors de cette même réunion, le souverain a insisté sur la nécessité que «l’opération de reconstruction soit menée sur la base d’un cahier des charges et sous une supervision technique et architecturale en harmonie avec le patrimoine de la région, dans le respect des caractéristiques architecturales locales uniques».
A la suite de la troisième réunion de la Commission interministérielle chargée du déploiement du programme d’urgence de réhabilitation et d’aide à la reconstruction des logements détruits, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch a pour sa part assuré que l’exécutif menait «une réflexion et une action permanentes autour des mécanismes à même d’assurer le bon déroulement de l’opération», conformément à la volonté royale et «en harmonie avec le patrimoine et les caractéristiques architecturales de chaque région». Du côté des professionnels, cette question a mis en avant l’importance des techniques parasismiques vernaculaires, qui privilégient l’usage de matériaux locaux (pierre, terre crue ou cuite, bois…), combinés à des techniques de construction peu énergivores mais dont l’efficacité est prouvée.
Spécialiste en urbanisme et patrimoine, l’architecte suisse Milo Hofmann a précédemment expliqué, dans un entretien, que «l’idée principale est de redécouvrir, revisiter et analyser l’architecture vernaculaire parasismique, afin de mieux comprendre les caractéristiques propres aux systèmes de construction mis en place depuis des siècles». Par extension, «l’objectif est d’étudier le comportement des différents matériaux utilisés dans cette architecture».
Dans l’architecture traditionnelle en Méditerranée, au moins deux techniques se sont révélées «particulièrement résistantes aux tremblements de terre». Selon l’architecte, «la première est basée sur une ossature en bois avec remplissage». A la différence du colombage, elle est «remplie avec de la maçonnerie en pierre, en terre crue ou en terre cuite». La seconde option est celle de la «maçonnerie en pierre, en briques de terre crue ou de terre cuite, renforcée par des poutres horizontales encastrées dans le mur». «Ces deux techniques se retrouvent, avec des adaptations régionales notamment au niveau du matériel utilisé et des dimensions des éléments, du bassin méditerranéen à la chaîne de l’Himalaya», a souligné Hofmann.
Gagner en qualité du bâtiment dans les zones montagneuses
Au Maroc, les architectes Karim Rouissi et Abderrahim Kassou se sont rendus sur les lieux du séisme. En plus d’habitations entièrement effondrées, ils soulignent que des monuments ont été touchés, notamment des kasbahs, des greniers collectifs ou encore Dar El Guendafi, ainsi que la mosquée de Tinmel, inscrite au patrimoine national et incluse à la liste indicative de l’UNESCO. Contacté par Yabiladi, Karim Rouissi souligne que les dégâts les plus lourds se constatent dans les villages, en fonction de la proximité de l’épicentre, de la qualité du bâtiment ou encore des facteurs topographiques et d’autres liés à la nature du sol.
Déjà une leçon à retenir du séisme : nous avons encore des enseignements à tirer de l’habitat vernaculaire, certains anciens douars ont résisté là où des constructions récentes limitrophes ont subi des dégâts importants. pic.twitter.com/Eu9OjHb3rD
— Rouissi Karim (@K_Rouissi) September 11, 2023
Pour l’architecte, «si la reconstruction traditionnelle signifie refaire exactement de la même manière, on se trompe de sujet car on n’est plus dans le même schéma d’auto-construction collective ; les modes de production ne sont plus exactement les mêmes». «Les modes de vie ont évolué aussi, mais il faut s’inspirer de cet héritage, de ces cultures et ce savoir-faire ancestral, en étudiant les techniques, en les comprenant et en les modernisant», a-t-il souligné. «Aujourd’hui, ce serait donc un contresens d’utiliser des matériaux exogènes, mais ce serait tout autant un contresens d’être passéiste en appliquant linéairement une architecture traditionnelle non améliorée», estime Karim Rouissi, pour qui «c’est un entre-deux qui permettra de réussir le chantier».
«Aujourd’hui et partout dans le monde, on essaye d’utiliser des matériaux biosourcés, naturels, issus du même site de construction, qui n’impliquent pas forcément une transformation ou un bilan carbone élevé. Ces éléments-là peuvent par ailleurs être industrialisés pour faciliter la construction, la rendre plus rapide, sans nécessiter autant de main-d’œuvre que dans le passé, mais tout en permettant de réaliser des constructions durables, parasismiques et capables d’offrir de bonnes conditions de vie, notamment en termes d’isolation et d’esthétique.»
L’architecte souligne également l’importance de «réfléchir à des matériaux existants, à comment construire vite en les modernisant à travers des techniques déjà utilisées au Maroc». «La question est comment, avec ces éléments devenus en vogue dans la construction pour personnes aisées, on peut faire un habitat pour le plus grand nombre, avec une bonne qualité mais à un coût réduit. C’est l’exercice auquel on devrait répondre», a-t-il indiqué.
Concernant l’utilisation du béton armé, mise en avant par d’autres professionnels, Karim Rouissi rappelle que ce matériau «a bonne presse, étant un symbole de la modernité». «Il a longtemps été avancé en tant que matériau le plus résistant. Or, il n’existe pas de mauvais ou de bon matériau. Il n’y a que des matériaux qui peuvent être bien ou mal utilisés. Le béton armé mal employé n’a d’ailleurs pas évité des désastres», a-t-il indiqué. Dans ce sens, il a souligné qu’une construction de qualité, en terre ou en pierre, est tout aussi possible lorsque les prescriptions techniques et les normes de sécurité sont respectées.
Remettre en valeur les territoires et non les défigurer
L’architecte Abderrahim Kassou, qui s’est également rendu dans les provinces sinistrées, souligne auprès de Yabiladi l’importance de distinguer la question des monuments historiques sur place de celle des constructions vernaculaires, «dans une région largement abîmée par un béton mal construit et mal mis en œuvre».
«Quand on parle d’architecture avec des matériaux traditionnels -et pas forcément de l’architecture traditionnelle-, il y a moyen d’améliorer la construction pour la rendre plus performante, notamment au niveau structurel, tout en utilisant des matériaux de construction locaux. Nous avons une marge importante de progression dans l’industrialisation du processus pour avoir une meilleure résistance. Il ne s’agit pas non plus d’être un fondamentaliste de l’un ou de l’autre.»
Dans le même sens, le spécialiste indique ne pas soutenir l’idée, entre autres, d’«utiliser du béton et le draper de matériaux locaux, car cela véhicule l’idée que l’architecture sans structure en béton ne serait pas solide, ce qui est faux et encore plus pour les monuments». A ce titre, il rappelle que depuis 2013, les décrets 2.12.682 modifiant le règlement de construction parasismique et 2.12.666 relatif au règlement parasismique pour les constructions en terre posent un cadre normatif en la matière, indiquant la possibilité d’utiliser les matériaux locaux, tout en construisant des bâtiments plus résistants aux séismes.
«L’idée n’est donc pas de reconstruire comme avant, mais de s’en inspirer en apportant des techniques qui rendraient ces bâtiments-là plus performants», souligne Abderrahim Kassou. Actuellement, la question se pose dans Al Haouz, vu le drame récent, mais elle pose plus globalement celle de «comment construire dans les montagnes ou les oasis», selon l’architecte. «Il y a moyen de tirer des enseignements pour améliorer les filières de construction et de bâtiment, qui peuvent irriguer dans le sens positif les autres régions du pays, car cela permettra à la fois de reconstruire et d’améliorer la qualité de l’ouvrage», a-t-il ajouté.
Au sujet du respect des spécificités locales, non seulement au niveau du patrimoine, mais aussi concernant les modes de vie et la prise en compte de cette dimension dans la reconstruction, Karim Rouissi souligne par ailleurs qu’à ce stade, «on ne peut pas parler de déplacer des villages». «On ne déplace pas des habitants par la force, puisqu’ils ont le droit de choisir où loger», a-t-il affirmé.
L’architecte insiste ainsi sur le besoin des habitants «d’être installés sur leurs mêmes territoires et leurs douars où ils ont leurs repères, leurs habitudes et leurs attaches culturelles» ancestrales. «Ce sont les populations locales de ces villages qui gèrent ces terres au quotidien, les cultivent et les façonnent. Cela fait partie de notre patrimoine immatériel et on ne peut pas simplement décréter que les gens quittent leurs zones habitées comme cela», a plaidé le spécialiste.