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MRE : Un an après le discours royal du 20 août 2022, quel suivi du gouvernement ? [Tribune]

Chercheur en migrations, l’universitaire Abdelkrim Belguendouz revient sur le discours donné par le roi Mohammed VI, le 20 août 2022 en commémoration des 69 ans de la Révolution du roi et du peuple. Cette analyse s’interroge notamment sur la mise en œuvre des hautes orientations du souverain à travers cette allocution, qui, il y a exactement un an, a appelé les instances intervenantes sur les questions des MRE à l’efficience.

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Le roi Mohammed VI et le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch / DR.
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Le discours du 20 août 2022 de sa majesté le roi Mohammed VI, à l’occasion du 69e anniversaire de la Révolution du roi et du peuple, dont font partie intégrante les citoyens Marocains du monde, est également très important dans sa deuxième partie relative au dossier stratégique d’intérêt national des Marocains établis à l’extérieur (MRE) du territoire national.

Une interpellation royale multidimensionnelle

Ouvrant un grand chantier de réformes et de restructuration du champ institutionnel MRE, dont à notre sens, l’institution parlementaire dans ses deux Chambres, où les citoyens MRE ne sont pas (encore) dûment et démocratiquement représentés particulièrement à la Chambre des députés, en raison d’un «plafond de verre», ce discours a sifflé la fin de la récréation en appelant à questionner le bilan, la composition et la pertinence des institutions, des législations et des différentes politiques publiques dédiées aux citoyens marocains résidant à l’étranger.
Il ouvre en effet à toutes les discussions, à toutes les remises en cause, à l’évaluation objective, pondérée, sereine et sans concession des résultats et à la reddition des comptes, aux controverses sur l’origine et l’impact des politiques publiques migratoires suivies, sur les responsabilités des uns et des autres qui supposent redevabilité, ainsi que sur les leçons tirées de la pratique et des alternatives à suggérer pour l’avenir.

Dans ce discours du 20 août 2022, le souverain a remis tout d’abord les pendules à l’heure. A notre sens, sans les nommer, il a totalement désavoué et recadré la position des deux dirigeants du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), ainsi que d’autres responsables gouvernementaux, en considérant de manière on ne peut plus claire que les troisième et quatrième générations de MRE font partie intégrante de la nation marocaine, qu’elles contribuent à la défense de l’intégrité territoriale du Maroc au même titre que les précédentes, qu’elles sont fières d’appartenir au Maroc, et que des efforts sont à soutenir pour qu’elles renforcent leur attachement patriotique au Maroc.

Comme l’a bien montré ce discours à la nation, «intégrez-vous là-bas, désintégrez vous ici» politiquement et nationalement par rapport au Maroc, est un mot d’ordre qui ne sied nullement à une véritable vision ou stratégie nationale globale, cohérente et intégrée en direction des citoyens MRE qui fait encore défaut. Par ailleurs, ce discours incite toutes les institutions concernées et tout un chacun et chacune au sein de la société marocaine, à se poser constamment un certain nombre de questions et à en débattre pour améliorer significativement la situation des citoyens MRE, aboutir à une politique publique efficiente, le plus fondamental étant d’abord de fortifier leur attache et leur sentiment d’appartenance au Maroc : «Qu’avons-nous fait pour renforcer le sentiment patriotique de nos émigrés ? Le cadre législatif en place et les politiques publiques tiennent-ils compte de leurs spécificités ? Les procédures administratives sont-elles adaptées à leurs attentes du moment ? Leur avons-nous assuré l’encadrement religieux et éducatif nécessaire ? Leur avons-nous apporté l’accompagnement requis et les conditions favorables à la réussite de leurs projets d’investissement ?»

Outre la nécessité d’avoir un mécanisme permettant l’accompagnement des investissements des MRE et du transfert de leurs compétences, l’interpellation royale a appelé à secouer intensément le cocotier et même à procéder à un véritable big-bang institutionnel MRE pour supprimer les dysfonctionnements, revoir la gouvernance pour optimiser les résultats dans tous domaines concernant la communauté marocaine établie à l’étranger : «Compte tenu des aspirations sans cesse renouvelées des Marocains du monde, il est grand temps de moderniser et de mettre à niveau le cadre institutionnel afférent à cette catégorie de citoyens que nous chérissons. Il importe aussi de reconsidérer le modèle de gouvernance des institutions existantes afin d’en rehausser l’efficience et la complémentarité.»

L’allusion peut concerner, à notre sens, aussi bien le CCME, la Fondation Hassan II pour les MRE, le ministère-département chargé des MRE, Bank Al Amal, les Centres régionaux d’investissement (CRI), la CNSS, certains consulats, le Conseil européen des Oulémas marocains, le ministère des Habous et des affaires islamiques, le Parlement avec ses deux chambres, la commission ministérielle chargée des MRE et des affaires de la migration, l’ANAPEC et bien d’autres institutions intervenantes sur ce qui se rapporte aux MRE. L’interpellation des pouvoirs publics, de toutes les instituions et organismes concernés à titre permanent ou partiel par le dossier multidimensionnel des citoyens MRE est donc pressante et bien délimitée concernant ses objectifs, avec même certaines pistes de solution. A ce titre, on s’attendait bien entendu à une initiative résolue du gouvernement, avec un planning rigoureux, un plan d’action ou ce qui a été appelé «un programme exécutif» pour qu’il réponde concrètement et promptement aux interrogations et hautes orientations du souverain.

Une lenteur inadmissible du gouvernement

Certes, présidée par le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, la commission ministérielle chargée des MRE et des affaires de la migration s’est bien réunie aussi tôt. Elle s’est donnée trois mois pour préparer un programme exécutif en la matière. Or, le 14 novembre 2022, un communiqué du comité technique – présidé par le ministre des affaires étrangères – pour le suivi des décisions et des recommandations de la neuvième commission interministérielle pour les affaires des MRE et de la migration, faisait état de la simple constitution de cinq commissions – ce qui aurait dû être fait depuis la constitution de la commission –, les premières recommandations ne devant être livrées qu’a partir du début 2023, ramenées de fait à début juin 2023… qui n’aura été qu’une étape provisoire, la finalisation n’ayant pas encore eu lieu en ce 20 août 2023. Ceci veut dire que non seulement les questions posées par le souverain perdurent, mais elles ont tendance à s’aggraver et à devenir structurelles.

Précisons ici que le problème posé ne renvoie pas au fait qu’il n’y ait pas de communication publique sur les mesures déjà prises, mais sur le fait qu’aucune mesure n’ait encore été prise, en dépit de communiqués comme celui de la chefferie du gouvernement, daté du 2 juin 2023 et reproduit pratiquement par tous les organes de presse. Ce communiqué très sibyllin énonce que le chef de l’exécutif «a appelé l’ensemble des parties concernées à accélérer la cadence de mise en œuvre des différentes dispositions prévues par le programme exécutif relatif à la mise en œuvre du discours royal» du 20 août 2022, mais sans que l’on en sache plus sur les mesures prises et leur contenu, dans le cadre de ce plan d’action gouvernemental suite aux directives royales.

A cette confusion, le même jour, dans une déclaration à la presse, le secrétaire général du département MRE au ministère des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, Ismaïl Lamghari, a ajouté que les résultats présentés (toujours inconnus) des divers groupes thématiques ont fait l’objet de propositions (non dévoilées ici encore), «qui feront après coup l’objet d’une discussion approfondie et de concertation et ce, après une série de réunions et d’ateliers associant tous les intervenants (ministères organismes concernés, secteur privé et banques)».

Le 9 juin 2023, l’énigme semblait se dénouer, mais en partie seulement. Le site des Affaires étrangères annonce que le comité technique a tenu sa 12e réunion consacrée à «l’approfondissement de la discussion sur le contenu du rapport des travaux des comités thématiques en perspective de la formulation finale et de son approbation par la commission ministérielle lors de sa prochaine réunion» (sans précision de date)… Mais pourquoi aucune mesure n’a encore été prise ? S’agit-il de problèmes techniques, de difficultés particulières ou bien en raison de désaccords sur un certain nombre de propositions comme celle, dit-on dans les milieux bien informés, relative au statut futur de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger dont certains, à l’encontre de l’avis consultatif du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur les Marocains du monde, voudraient la détacher de toute dépendance du gouvernement pour lui attribuer un statut de «souveraineté» ?

S’il y’a un débat sur ceci comme sur d’autres points, pourquoi le Chef du gouvernement, après les consultations qui s’imposent, ne tranche-t-il pas ? C’est en effet son rôle d’impulser l’action au sein de la commission qu’il préside, de faire activer le rythme, de coordonner et de procéder aux arbitrages nécessaires. C’est à se demander s’il assume toutes ses prérogatives ou pourquoi il ne le fait pas.

S’ouvrir sur les milieux concernés

Relevons aussi que le comité technique ne s’est nullement ouvert, dans sa composition et même dans ses travaux, aux syndicats, aux partis politiques, aux chercheurs, à la société civile interne et encore moins à la société civile MRE. Il agit sans démarche inclusive. De même, les groupes thématiques n’ont procédé à aucune audition de ces milieux. Tout le travail s’est fait en vase clos, sans aucun apport externe, et d’abord celui du milieu directement concerné par le biais des ONGs de MRE, dont beaucoup ont des propositions crédibles, qui remontent du terrain. C’est donc une démarche biaisée, bien technocratique et non participative que celle suivie par le comité technique et les comités thématiques ou groupes de travail, qui se sont réunis 16 fois au total.

Toujours est-il que la commission interministérielle chargée notamment des citoyens MRE doit faire évoluer substantiellement les choses. Elle est tenue par l’obligation de résultats. Or, un an jour pour jour après le discours royal du 20 août 2022, elle n’est pas à la hauteur de l’interpellation du souverain et des attentes des citoyens aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur et s’est contentée du statuquo ambigu. Sur ce plan, ce discours doit garder son honorabilité. Il ne doit pas connaître le même sort que le discours fondateur du 6 novembre 2005 relatif aux droits politiques pleins et entiers des citoyens MRE, qui a été dévoyé par tous les gouvernements qui se sont succédés depuis cette période, ainsi (sauf exceptions rarissimes) que par la très grande majorité des partis politiques et de leurs groupes ou groupements parlementaires dans les deux chambres, rendant inachevée la réconciliation du nouveau règne avec la jaliya.

Faute de résultats tangibles au niveau du dossier des citoyens MRE et face à son incapacité à produire jusqu’ici une feuille de route conséquente en la matière, le gouvernement actuel n’est pas sérieux, au sens où il faut entendre la notion de «sérieux» à travers le tout dernier discours de la Fête du trône.

Article modifié le 21/08/2023 à 16h09

Tribune

Abdelkrim Belguendouz
Chercheur spécialisé en migrations
Abdelkrim Belguendouz
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