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Interview

«We Belong», un podcast pour «tourner ses difficultés en une force pour les autres» [Interview]

Co-fondatrice de We Belong Europe, Yasmine Ouirhrane a été attaquée en 2019, après sa nomination puis sa consécration Jeune européenne de l’année. Un an plus tard, elle a lancé une série de podcasts qu’elle a nommée en référence à l’expression avec laquelle elle a terminé son discours de distinction, pour revendiquer son sentiment d’appartenance en tant qu’enfant de la diversité. Ce concept inspirant bénéficie désormais d’un succès dépassant les frontières de l’Europe.

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Yasmine Ouirhrane, co-fondatrice du podcast We Belong
Temps de lecture: 5'

Le 8 mars 2023, la série de podcasts We Belong a célébré ses trois ans d’existence le 8 Mars. Lancé par Yasmine Ouirhrane, Jana Degrott qui est l’une des plus jeunes élues luxembourgeoises, ainsi que Sumaia Saiboub, également italo-marocaine, le podcast est voulu féministe et antiraciste. Née en Italie d’une mère italienne, d’un père marocain et vivant en France à partir de l’âge de 15 ans, Yasmine a imaginé ce concept, après avoir été attaquée par l’extrême droite de Marine Le Pen, au lendemain de sa nomination puis de sa distinction Jeune européenne de l’année 2019. Pour leur engagement aux côtés des femmes issues de la diversité, Yasmine et ses co-fondatrices ont également été primées par la Obama Foundation, Gates Foundation, et récemment BMW Foundation ainsi qu’Allianz Foundation.

Souhaitant honorer l’engagement qui la tient le plus à cœur, Yasmine co-fonde ainsi We Belong en 2020, comme une façon pour elle de «tourner une difficulté personnelle en une force pour les autres». Elle confie à Yabiladi que ce projet l’a aidée dans son «long processus de guérison suite au cyberharcèlement subi en 2019». Dans cet entretien, elle revient sur l’importance de la prise de parole pour inspirer d’autres femmes issues de la diversité, plus uniquement en Europe mais à travers le monde entier.

Comment «We Belong» est passé du concept au podcast ?

«We Belong» est un projet qui est né le 8 mars 2020. Un an avant, j’avais reçu le prix de Jeune européenne de l’année. J’étais attaquée sur les réseaux sociaux, notamment en raison du voile que je portais à ce moment-là, et la vague de haine a été telle que j’ai dû saisir la justice et porter plainte contre Marine Le Pen (Rassemblement national). Au-delà de l’habit, j’ai compris que c’était notre diversité, en tant que femmes en Europe, qui était ciblée. Lorsque j’ai été primée, mon discours s’est terminé justement avec les termes «We belong, we belong, we belong to Europe».

Avec deux de mes amies, nous nous sommes regroupées pour créer cette plateforme en l’appelant ainsi. L’idée a été donc de tourner une expérience difficile en processus positif pour les autres, de manière à faire de la diversité notre force. Le podcast couvre des histoires de femmes vivant dans plus de 15 pays européens.

Cette forme d’engagement me tient particulièrement à cœur, puisque je suis dans l’associatif depuis l’âge de 16 ans. A 19 ans, pendant mes études à Sciences Po, j’ai souvent pris la parole dans des conférences internationales sur la question du genre. Ces différentes expériences m’ont fait gagner en visibilité, donc j’ai été critiquée plus qu’avant, mais c’est cette même visibilité qui me permet aujourd’hui de visibiliser d’autres femmes en leur donnant la parole.

Quelles sont les histoires que racontent les femmes qui prennent la parole dans «We Belong» ?

C’est important pour moi de montrer qu’il existe différentes femmes qui ont des histoires à raconter et qui peuvent inspirer. Initialement, notre plateforme est un projet entrepreneurial avec un volet social, qui peut être amplifié à l’échelle internationale. Pour joindre tout cela, nous avons considéré que le podcast était le format idéal, permettant de consolider et de rejoindre nos initiatives connexes de création de leadership, de transfert de savoir et de renforcement des compétences auprès des femmes issues de la diversité.

Dans le fond, notre série de podcast racontent des histoires qui nous permettent de faire un focus féministe et antiraciste sur les parcours personnels et professionnels des femmes que nous interviewons, de façon à inspirer les générations futures. Les interviewées peuvent donc être des entrepreneuses, des artistes, des activistes, des politiciennes. Je crois qu’il existe différents éléments qui font l’identité d’une personne. Ils deviennent une source de discrimination et une force à la fois.

Dans nos interviews, nous donnons réellement la parole aux femmes dans toutes leurs différences, y compris celles en situation de handicap. Il s’agit de donner de la force aux autres femmes, d’instruire la société et d’inspirer les plus jeunes.

A qui s’adressent les femmes qui partagent leur parcours de vie sur «We Belong» ?

Elles s’adressent principalement aux jeunes femmes. C’est un message et un sentiment d’appartenance, mais qui peut s’adresser aussi aux personnes qui ne s’identifient pas forcément aux femmes, car à la fin, il reste plus le récit de vie et ce qu’il nous apprend. Dans le futur, nous espérons d’ailleurs élargir le focus et adopter une approche plus globale, qui ne se limite pas qu’à la dimension de l’Europe. En effet, une grande partie de notre public est aux Etats-Unis, aujourd’hui.

Autant dire que nous parlons des femmes de nos communautés en Europe, mais ce discours intéresse tout autant ailleurs, parce que ce sont des thématiques communes à nos valeurs humaines, où que nous soyons et d’où que nous venions. Ce sont des questionnements qui traduisent nos préoccupations partagées sur la crise d’identité à une échelle personnelle et le contexte extérieur où nous vivons, comment jongler entre ces différentes sphères, trouver son harmonie et son équilibre.

L’un des récits qui m’a d’ailleurs marquée, dans nos séries de podcasts, est celui de la chanteuse Yendry, 29 ans aujourd’hui. Dans son interview, elle nous a raconté comment elle est arrivée très jeune en Italie. Elle a été momentanément séparée de sa maman car elles ne sont pas arrivées en même temps. Désormais artiste, elle collabore avec Damian Marley, le fils de Bob Marley. Je trouve que son histoire et le fait de la mettre en lumière illustrent bien notre approche de faire connaître des parcours pour motiver.

L’idée est de raconter des expériences où les interviewées sont amenées à aborder en partie leur parcours personnel. Comment menez-vous cet exercice pour ne pas perdre l’objectif d’inspirer, mais sans verser dans le voyeurisme ?

Nous évoquons en effet des expériences personnelles et selon les femmes que nous interviewons, on aborde des récits de vie qui sont parfois très douloureux. C’est l’exemple notamment du témoignage que nous avons recueilli auprès de Nadia Nadim, footballeuse d’origine afghane, qui a dû quitter son pays et venir en Europe, après que son père a été tué en Afghanistan. Certaines expériences évoquées dans les interviews ont été traumatisantes pour celles qui les ont vécues. Les aborder avec l’approche qu’il faut est une question d’empathie, à mon sens.

Je pense qu’il est important ne pas dépasser les limites personnelles, que l’on appelle plus exactement en anglais «personal boundaries», tout en faisant écho des histoires des personnes que nous interviewons. C’est un équilibre qui nécessite de l’attention, de l’empathie mais aussi du respect et de l’estime pour les femmes qui acceptent de partager leurs vécus. Il est essentiel pour nous de mettre à l’aise nos invitées.

En réécoutant les épisodes, on remarque d’ailleurs une évolution dans la manière de mener les interviews. L’idée est de raconter non pas pour victimiser mais pour aborder les difficultés vécues par les unes et les autres du point de vue des solutions, afin de voir comment nos interviewées ont dépassé ces difficultés. Ce sont des expériences de vie qui génèrent énormément de réflexions sur soi-même, sur les vécus partagés.

Quelles sont vos ambitions pour développer le concept, à l’avenir ?

L’année dernière et cette année, nous avons eu plusieurs partenariats. Nous avons pu animer des workshops, participer à des événements, implémenter des programmes de leadership. Nous avons été satisfaites de l’ensemble des actions que nous avons entreprises. Maintenant, je souhaiterais beaucoup faire bénéficier nos communautés de programmes de mentorat, pour le renforcement des parcours professionnels et pour le travail de quête de soi.

Article modifié le 05/04/2023 à 14h13

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