Pour une fois, le chef du gouvernement n’use pas de son vocabulaire populaire et ironique. Abdelilah Benkirane prend un ton grave, fait des annonces solennelles, et s’érige en premier citoyen à respecter le code de la route puisqu’il assène publiqumement aux policiers (oubliant les gendarmes au passage) de faire respecter la loi par tous, y compris le chef du gouvernement. La séquence d’après consiste à donner la parole aux représentants ou présidents des groupes à la deuxième chambre. Benchemass, fidèle à son éloquence et son rôle d’opposant, fustige le chef du gouvernement en levant son téléphone tel un drapeau de victoire : «j’ai ici, dans cet appareil, la photo de la voiture du chef de gouvernement, une 607, je ne sais pas si je dois en donner l’immatriculation, garée dans un lieu interdit au stationnement».
C’est de bonne guerre. Et Benkirane y répliquera par la suite. Ce qui est de meilleure guerre et sans aucune possibilité de riposte, sinon les sourires de Rebbah, ministre des Transports présent à cette séance, et de Baha, ministre d’Etat sans portefeuille, c’est ce qui va suivre. «Nous, on roule à 110 km/heure quand la limitation est à 120 km/heure, et la vérité, personne ne nous arrête sur l’autoroute. Mais le drame des accidents de la route, ce sont ces petites voitures asiatiques et coréennes, qui roulent à des grandes vitesses. Ce ne sont donc pas les grosses voitures, Hummer et autre, qui posent problème, mais ces petits engins qu’on doit absolument contrôler à l’achat», assène en substance un conseiller. Dans le même registre, «Il faut des campagnes de sensibilisation. Il faut changer le slogan «Papa, ne roule pas vite, on t’attend pas la maison» par «Mon fils, ou ma fille, ne roule pas vite, on t’attend à la maison».
Ainsi, le civisme sur la route serait pour nos conseillers, représentants de la nation, une histoire de sagesse liée à l’âge, et de robustesse des véhicules. A les entendre, il ne faut accorder le permis de conduire qu’aux citoyens dépassant un certain âge, et prouvant la possession actuelle ou future d’une voiture robuste, de grande marque si c’est possible. Un autre fera encore mieux. Il proposera au gouvernement, tout simplement, d’exiger un âge minimum pour autoriser les chauffeurs professionnels à conduire les autocars de voyageurs, 40 ans dit-il. Mieux encore, voici la perle des perles : «Il faut absolument exiger que ces chauffeurs soient mariés et père de famille. Il n’est pas normal de confier des voyageurs à un chauffeur qui n’est pas marié». Voilà donc ce qui n’est pas discriminatoire du tout ! Désolé pour les célibataires, les veufs, les ayant des difficultés à se marier ou à procréer…
En matière d’humour noir, en ces temps de péril de couleur, on ne peut pas faire mieux, et Benkirane a été battu à son propre jeu, le spectacle sous l’hémicycle. Au secours, les sages, qui ont perdu de la vitesse, perdent la tête !