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Interview

L’ADFM promeut une approche globale «Pour une école de l’égalité» au Maroc [Interview]

L’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) a tenu une table ronde, mardi à Rabat, dans le cadre du lancement de son mémorandum «Pour une école de l’égalité entre les sexes». Cette rencontre s’est tenue lors de la Journée mondiale de l’éducation, célébrée le 24 janvier, avec l’idée de pérenniser l’enseignement des valeurs égalitaires grâce à une approche transversale. Présidente du bureau de Rabat de l’ONG, Amina Lotfi nous éclaire sur cette initiative.

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Amina Lotfi, présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) Rabat et membre du groupe de travail pour la promotion de la culture de l’égalité dans le système éducatif
Temps de lecture: 5'

Quel est l’état des lieux que vous avez dressé et qui vous a poussé à lancer ce mémorandum ?

Pour élaborer notre mémorandum «Pour une école de l’égalité entre les sexes», nous avons dressé un état des lieux depuis 1992, date à laquelle la Constitution du Maroc a reconnu l’adhésion du pays aux droits humains universellement reconnus, pour la première fois. Nous sommes arrivés au constat suivant : en termes quantitatifs, à savoir l’accès des filles à l’école et la réduction des écarts avec les garçons, nous avons réalisé des progrès indéniables, confirmés par les statistiques. En termes qualitatifs, de déconstruction des stéréotypes et des préjugés, de formation des enfants à la culture de l’égalité, des choses ont été faites. Les ministres qui se sont succédés à la tête du secteur de l’éducation ont pris des initiatives, mais malheureusement, ces dernières n’ont pas connu une continuité, au fil des années et des gouvernements.

Ces actions n’ont pas été réfléchies de manière globale, en questionnant les actions possibles pour consacrer une école de l’égalité, où les apprenant(e)s, à la fin de leur cycle éducatif, n’auront plus de préjugés et de stéréotypes de genre. Par conséquent, nous sommes face à des initiatives disparates, d’un exécutif à l’autre, et qui n’ont pas donné les résultats escomptés.

Le processus de réalisation de votre mémorandum a inclus justement ces anciens ministres, depuis 1992, mais aussi les centrales syndicales et les associations dans le milieu scolaire. Comment s’est fait le travail avec toutes ces parties prenantes ?

Lorsqu’on parle de vision globale, cela implique une approche et une réflexion participatives et inclusives. Ceci signifie qu’il est important d’intégrer toutes les parties prenantes à ce processus. Nous avons pensé à toutes les composantes du système éducatif. Parmi elles, nous avons donc rencontré les anciens ministres de l’Education nationale depuis 1992. Nous avons discuté avec eux et tous, sans exception, ont été vraiment acquis à cette cause. Tous, durant leur mandat, ont essayé de faire quelque chose pour la culture de l’égalité et des droits humains. Mais à travers nos échanges, j’ai moi-même été surprise d’apprendre qu’ils avaient tous été confrontés à des obstacles.

Cette vision globale qui a fait défaut donne le même résultat à chaque fois : en quatre ou cinq ans de mandat ministériel, on ne peut pas intégrer la culture de l’égalité dans le système éducatif. On peut entamer le processus, mais les successeurs doivent le continuer, selon une feuille de route. Ce processus est pourtant irréversible, surtout actuellement et depuis 2011. Notre Constitution l’exige en prônant l’égalité hommes-femmes et la lutte contre toutes les formes de discrimination. L’exécutif est là pour mettre en application ces principes. Les politiques publiques doivent être planifiées, élaborées, mises en œuvre, suivies et évaluées, selon le principe de l’égalité.

Dans l’éducation nationale, les anciens ministres ont essayé de faire chacun ce qu’il a pu, mais sans qu’il n’y ait de continuité et de prise de relais, ce qui a donné les résultats actuels. Nous les avons informés de notre initiative, en mettant à leur disposition les grandes lignes d’une déclaration qu’ils ont approuvée et signée. Ce processus a été le même mené auprès des syndicats de l’enseignement, des fédérations des associations de parents d’élèves, des associations des professeurs et au niveau de la société civile. Il y a eu, en effet, l’adhésion d’une centaine d’ONG, en plus des réseaux et des coalitions d’associations.

Combien de temps a nécessité l’élaboration de ce mémorandum, y compris tout ce travail que vous avez réalisé en amont ?

Je peux dire que ce travail a commencé avec la création de l’ADFM ! Depuis 1985, nous avons toujours plaidé pour la promotion de la culture de l’égalité, l’institutionnalisation de l’égalité des sexes dans tous les secteurs. Cela a toujours fait partie de nos plaidoyers de nos actions. En effet, notre association repose sur trois axes principaux d’intervention, que sont la lutte contre les discriminations dans les lois, l’institutionnalisation de l’égalité des sexes dans les politiques publiques et la promotion de la culture de l’égalité à travers la déconstruction des préjugés et la lutte contre les idées reçues.

Ce mémorandum a finalement vu le jour en 2023, dans un contexte où le gouvernement actuel, issu des élections de septembre 2021, a intégré à son programme l’éducation de qualité. Nous avons aussi une loi-cadre relative au système éducatif, tandis que le ministère de tutelle a mis en place une feuille de route pour une école de qualité. A l’ADFM, nous soutenons qu’il ne peut y avoir une école de qualité sans y intégrer la déconstruction des préjugés inégalitaires, de manière à former les adultes de demain qui, à leur tour, vont lutter contre ces stéréotypes, agir pour une société juste et égalitaire.

En décembre 2022, nous avons déjà remis ce mémorandum au ministre actuel de l’Education nationale. Chakib Benmoussa a été très ouvert à nos propositions, tout en reconnaissant qu’il s’agit là d’un grand chantier, qu’il est nécessaire d’aborder celui-ci sur le court, le moyen et le long terme, avec une vision globale justement.

Au sein de l’ADFM, vous pointez le déphasage entre les lois et les pratiques. C’est le cas de dire que cela s’applique au milieu scolaire, vu la multitude des approches pédagogiques, lorsqu’il s’agit de transmettre les valeurs égalitaires. Quel travail estimez-vous nécessaire pour homogénéiser ces usages et harmoniser, ainsi, l’apprentissage ?

C’est d’abord et avant tout à travers une vision globale. J’insiste là-dessus car c’est véritablement la clé de la promotion et de l’intégration de l’éducation à l’égalité dans notre système. Cela passera par la formation initiale et continue des enseignant(e)s, la révision de tous les manuels scolaires, pour les nettoyer de tous les préjugés et les discriminations sexistes. Ce processus s’applique au curricula, aux pratiques et à l’administration. La culture de l’égalité doit être abordée de manière transversale et c’est pour cela que nous parlons du système de l’éducation, avec toutes ses composantes.

Pour que chaque enseignant n’enseigne pas ces valeurs-là tel qu'il les conçoit et non comme l’exige le curricula, il est du rôle du ministère de faire respecter le cadre de référence que les professeurs sont appelés à garder dans leur pratique quotidienne, avec des lignes directrices unifiées, sur la base de notre Constitution et du principe de l’égalité hommes-femmes.

Il ressort justement des réformes des curriculum que ces derniers permettent encore qu’on trouve de tout, dans les manuels scolaires, avec des messages qui peuvent être interprétés selon l’idéologie des uns et des autres. Quelle approche pourrait apporter un certain équilibre à ces interprétations-là ?

Je pense, dans ce sens, que ce n’est pas le volet religieux en lui-même qui interpelle. Chaque enseignant a son propre socle de valeurs sociétales et individuelles, auquel peut se greffer une idéologie ou une autre, religieuse ou non. Enseigner donc de différentes manières, au gré de chaque individu qui est le professeur de classe, est une pratique courante dans les différentes matières, au-delà du religieux. Il appartient au ministère de l’Education nationale de bien spécifier et faire respecter le cadre de référence par toutes et tous, avec une approche unifiée.

C’est là l’importance d’intégrer les approches égalitaires depuis la formation des enseignants, dans les approches pédagogiques et didactiques qui leur sont transmises. Il en est de même pour les inspecteurs et les inspectrices. Un suivi rigoureux est important, surtout pour les phases de démarrage, pour que nos approches intègrent le principe de l’égalité comme l’entendent la Constitution de notre pays.

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