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Grand Angle  

«Arrêtez de glorifier les mères», nouvelle injonction paternaliste venue d’Europe ?

Dans une saillie paternaliste truffée d’approximations et creuse en analyse psychosociale, un article d’opinion paru récemment dans le quotidien néerlandais NRC estime que la glorification de la figure maternelle, notamment par les Lions de l’Atlas et au sein de la société marocaine, serait un indicateur négatif quant à l’émancipation féminine. Qu’en est-il réellement ?

Publié
Réception de la sélection du Maroc et des mères des joueurs par le roi Mohammed VI à Rabat, le 20 décembre 2022
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Paru dans le quotidien néerlandais NRC, un article d’opinion de la microbiologiste Rosanne Hertzberger s’intitulant «arrêtez de glorifier les mères» a engendré des réactions mitigées. Sur les réseaux sociaux, il a été épinglé par la plateforme britannique Doam de lutte contre l’islamophobie. Une photo de l’un des joueurs de la sélection marocaine de football, Sofiane Boufal, célébrant l’une des victoires des Lions de l’Atlas au Mondial 2022 du Qatar avec sa mère, a accompagné le post.

L’auteure commence son article en décrivant «un spectacle émouvant : les durs footballeurs marocains, dansant avec leurs mères sur le terrain de football, après leur victoire». «A leur retour au Maroc, le roi invita l’équipe et les mères. La vox populi était sans équivoque : quel signal puissant. Grâce à leurs mères, ces footballeurs étaient devenus de vrais hommes, dont tout le Maroc peut être fier». Qualifiant le royaume de «petit pays» qui a «atteint la scène mondiale», elle ajoute que «tout devait être parfait». «Vous l’avez vu dans la façon dont un entraîneur assistant a mis les joueurs de football à genoux pour une prière commune après la victoire», a-t-elle écrit, sans étayer son propos.

Extrapolant la situation, Rosanne Hertzberger ressent une gêne à voir les joueurs et leurs mères en parfaite symbiose, lors de leur accueil par le roi Mohammed VI à Rabat, le 20 décembre dernier. «Quels footballeurs avaient atteint le sommet non pas grâce à leurs mères, mais malgré leurs mères ? Quelle mère était manipulatrice, coercitive (…) ? Les mères ne sont que des personnes. Au Maroc aussi», s’interroge-t-elle.

«Une image pessimiste» derrière «le culte de la mère»

De ses questionnements paternalistes qui ne tiennent ni de la sociologie, ni la psychologie, l’experte déduit que les femmes marocaines ne seraient célébrées davantage qu’à travers la figure maternelle. «Une image pessimiste se cache derrière le culte de la mère», écrit-elle, avançant que les citoyennes marocaines se confronteraient à des horizons fermés, où elles ne bénéficieraient d’une validation au sein de leur société qu’en étant mères, mais moins en étant médecins, enseignantes, cheffes d’entreprise ou universitaires.

«Même les femmes saoudiennes sont plus susceptibles de travailler à l’extérieur de la maison», ajoute-t-elle, dans un glissement comparatif, à partir de statistiques datées de 2004. Mêlant les questions de plafond de verre, d’intégration à l’emploi et de la place des mères dans les sociétés méditerranéennes, elle soutient que «plus de la moitié des étudiants marocains sont des femmes, mais tout ce talent, cette ambition et cette créativité sont condamnés après le mariage».

Dans ces approximations à l’aune des préjugés occidentaux et d’un féminisme du vingtième siècle, la microbiologiste oublie de mentionner qu’à ses débuts, le féminisme a remis en question le rôle familial et maternel des femmes puisque ce dernier empêchait leur émancipation. Elle ne mentionne pas non plus que ce débat est éculé, au vu de l’évolution des sociétés et du féminisme lui-même.

Reprenant une posture féministe de la seconde moitié du XXe siècle où la procréation était perçue comme un frein à l’émancipation des femmes, l’auteure ne semble pas avoir suivi l’évolution du combat féministe. Loin de cette vision cantonnée à un rôle biologique, nombre de mères de joueurs de l’équipe nationale ont concilié leurs responsabilités au foyer et leurs activités professionnelles, comme l’ont mentionné des Lions de l’Atlas en parlant de leur enfance. L’une de ces images, celle d’Achraf Hakimi avec sa mère, est même érigée en fresque murale à Barcelone, en hommage au parcours des mères migrantes que l’auteur de l’initiative a su décrire.

Sortir de la vision sociétale binaire

Professeur de sociologie à Sciences Po - Université internationale de Rabat (UIR), Mehdi Alioua a précédemment souligné auprès de Yabiladi que lors de ce Mondial, ces représentations-là n’avaient pas à se voir coller des étiquettes de matriarcat ou de patriarcat. «J’y vois plutôt un hommage aux ancêtres, à la famille, et bien-sûr aux femmes et au respect envers les mères», a-t-il souligné, insistant que «cela touche beaucoup et traduit une dimension générationnelle, surtout pour ces jeunes joueurs qui ont grandi en Europe».

Dans un entretien à Yabiladi, au lendemain de l’accueil festif de la sélection nationale à Rabat, le sociologue a rappelé que «quelque part, à travers les ancêtres et notamment la maman, on se relie plus fortement au pays et à la mère patrie». Selon lui, «cela fait miroir à ce qui se passe parfois ailleurs à travers le monde, où même si la famille reste une instance de socialisation importante, les décohabitations intergénérationnelles et le monde moderne obligent à être mobile pour trouver du travail ; même si les liens perdurent, ils deviennent donc distants, sans parler des personnes âgées qui se retrouvent seules».

Le spécialiste considère ces images comme «universelles, tout en dénotant de la centralité de la famille dans le fonctionnement des solidarités et des sociabilisations en Afrique du Nord et donc au Maroc». «C’est inédit et c’est une image de l’universalité de la famille, surtout que cela est venu plus souvent de joueurs évoluant en Europe (Sofiane Boufal, Achraf Hakimi, Abdelhamid Sabiri…), où nous voyons très peu de joueurs se mettant en scène avec leurs mères après un match de football», a-t-il encore souligné.

Plutôt qu’un renforcement des préjugés cantonnant la femme à son rôle biologique, l’entrée remarquée des mères de joueurs marocains dans ce mondial ajoute une facette supplémentaire à la féminisation du football. Après le succès des Lionnes de l’Atlas, la joie contagieuse des mamans des Lions devrait changer l’image d’un sport encore très masculin au Maroc et ailleurs. 

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