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Interview

Europe : Les émeutes après les matchs du Maroc, «révélatrices d’un certain malaise social»

Les violences déclenchées en Belgique, aux Pays-Bas et dans d’autres pays européens après les matchs du Maroc au Mondial 2022 au Qatar ont largement été médiatisées et analysées en Europe. Alors que certains médias pointent des «problèmes d’intégrations», le sociologue et enseignant-chercheur à l’Institut des sciences du sport de l’Université Hassan I-Settat, Abderrahim Bourkia, apporte une autre lecture.

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Une voiture en feu sur la Mercatorplein, à Amsterdam-Ouest, après le match Maroc-Belgique. / Ph. ANP
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Les matchs des Lions de l’Atlas ont été marqués par des émeutes dans plusieurs pays européens, notamment en Belgique et aux Pays-Bas. Quelle est votre lecture de ce qui s’est passé ?

Je ne sais pas si on peut qualifier les incidents qui restent, à mon avis marginales, d’émeutes. Il y a toujours des tensions qui surgissent à n’importe quel événement ou attroupement festif ou revendicatif en ce moment en Europe. Ils prennent le football en otage. Cela donne l’occasion à certains pour s’adonner au pillage et au vandalisme.  C’est devenu «normal» et cela fait partie malheureusement du quotidien des policiers en France, en Belgique ou aux Pays-Bas.

Même si, je précise que cela reste marginal, il n’empêche qu’il y a certes une banalisation de cette violence qui gagne du terrain. Il ne faut pas s’étonner lorsqu’on voit des gens qui se «tapent» dessus dans les métros ou dans la rue. Et il y a lieu de ne pas pointer du doigt uniquement ces personnes qui s’adonnent à des actes de violence pour faire parler d’eux de cette manière, mais aussi ces parlementaires en France, censés donner l’exemple, qui s’adressent entre eux comme des «gars de quartiers».

Pour donner une lecture, ces incidents sont révélateurs d’un certain malaise social chez les auteurs. C’est en quelque sorte une manière de dire que l’on ne croit pas ou plus à la collectivité que cela soit en France, en Belgique ou aux Pays-Bas. En Europe, c’est un problème des Etats et d’un système socio-économique et politique qui n’arrive pas à contenir toutes les composantes de la société. Surtout chez des familles dont les enfants sont «biberonnés» par une amertume, gêne et un sentiment d’être exclu depuis leur enfance.

Certains médias évoquent des «problèmes d’intégration» pour expliquer ce fléau. Etes-vous du même avis ?

Ce n’est pas aussi évident qu’ils pensent. Hélas, il s’agit souvent d’un raccourci que le traitement journalistique en fait ses choux gras, guidé par un sens aigu de la spectacularité médiatique et un prétexte pour ne pas aller chercher les vraies causes et de creuser davantage afin de trouver des origines qui peuvent fâcher même les patrons de ces médias.

L’analyse de l’intérieur nuance, voire dément, ce que nous évoque ce traitement superficiel. On évoque souvent à tort et à raison, les défauts d’intégration concernant surtout les Maghrébins et un peu moins les Africains, alors que les joueurs de l’équipe de France à titre d’exemple (et plus ou moins la Belgique et les Pays-Bas) sont un parfait model d’intégration. Nous trouvons des joueurs issus des anciennes colonies de ces pays «impérialistes». Comment se fait-il que ce ne sont que les Maghrébins qui sont des troubles fête et ne s’accommodent pas avec les conventions sociales et qui s’agitent et sortent leurs drapeaux étoilés (celui de la Palestine aussi) à n’importe quelle occasion pour s’insurger contre une supposée humiliation subie par la communauté ? Est-ce vraiment les jeunes générations des Maghrébins qui sont moins résignées que leurs parents, qui sont «fautifs» et qui ne veulent pas se fondre et se «mixer» dans la société ? Ou ce sont les politiques publiques et les systèmes (acteurs politiques et économique) en place, moins indulgents et peu commodes, qui refusent de les considérer comme citoyens français, belges ou néerlandais avec leurs spécificités qui sont parfois aux antipodes de la société où ils vivent, depuis des deux ou trois générations ?

Le sociologue et enseignant-chercheur à l’Institut des Sciences du Sport de l’Université Hassan I Settat, Abderrahim Bourkia. / DRLe sociologue et enseignant-chercheur à l’Institut des Sciences du Sport de l’Université Hassan I Settat, Abderrahim Bourkia. / DR

Pensez-vous que les célébrations des victoires et des qualifications au Maroc constituent une expression de liens forts entre le Maroc et sa diaspora à l’étranger ?

Oui, bien évidement. Ces victoires redorent le blason de la «Nation retrouvée». De telles victoires favorisent l’expression de valeurs refoulées dans le quotidien surtout des Marocains résidant à l’étranger et mettent au grand jour le sentiment de communauté diffus dans la vie de tous les jours.

Les victoires et l’épopée de notre sélection nationale jouent le rôle de ciment culturel et symbolique et déclenchent une mobilisation collective pas seulement chez les Marocains mais chez les peuples arabo-musulmans, Africains et d’autres qui ont vu cette réussite comme une revanche sur ce Nord où ils vivent, qui pourrait cristalliser à lui seul toutes une gamme de regards négatifs : «arrogant», «froid», «austère» et qui méprise leurs valeurs fondamentales.

Pourquoi, à votre avis, les célébrations des victoires et des qualifications au Maroc n’ont pas été marquées par des actes de hooliganisme ?

Je pense que les actes de violence qui gravitent autour des matchs entre les clubs nationaux ne sont pas transposables sur les matchs de la sélection nationale. Ce n’est pas le même contexte. Ici, la composition de l’équipe offre une autre métaphore expressive de l’identité collective sous le drapeau national. Les rencontres de l’équipe nationale ne donnent pas lieu à des actes de violence au Maroc. Au contraire, elles donnent l’opportunité de festoyer, à vivre des moments de jubilation et à se laisser emporter par l’envahissante euphorie de la «Nation retrouvée». 

Notre pays est l’un des grands vainqueurs de cette prestigieuse Coupe du monde. Il y a un profond sentiment de fierté de voir le Maroc se hisser à ce niveau et surtout de jouer égal à égal avec des vielles nations de football et être dans la cour des grands.

Pourquoi le football s’accompagne de violences, même lorsqu’il s’agit de célébrer une victoire ?

Les matchs sont aussi des amplificateurs des «inimitiés». Il y a une exaspération de l’hostilité qui se déclenche avant, durant et après certaines rencontres footballistiques, et même les joueurs n’y échappent pas. Car il y a des rancœurs léguées par l’histoire pour les matchs : France-Algérie avec son héritage historique pas encore réglé, Argentine-Angleterre avec la guerre des Malouines ou Argentine-Pays-Bas et nous avons tous vu la tension qui régnait durant la rencontre.

Malgré la victoire, ces plaies non pansées se réveillent et tolèrent les débridements des émotions qui pourraient éventuellement déboucher sur des actes de violence.

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