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Interview  

FIFM 2022 : David Depesseville célèbre la résilience de l’enfance dans «Astrakan» [Interview]

«Astrakan» est le premier long-métrage du réalisateur français David Depesseville, qui présente son opus au 19ème Festival international du film de Marrakech (du 11 au 19 novembre 2022). Derrière sa caméra, il réussit à mettre en image l’histoire douloureuse du cumul des abus, mais dans une approche emplie d’humanité et loin d’être victimaire. Samuel, un orphelin de douze ans à l’allure sauvage, est placé dans le Morvan chez Marie, Clément et leurs deux garçons. Il s’émancipe, découvre les sensations et les troubles de son âge, affronte aussi les secrets de sa nouvelle famille.

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Astrakan, un film de David Depesseville, en compétition officielle au FIFM 2022
Temps de lecture: 5'

Votre film est tout public, la majeure partie de vos spectateurs au FIFM sont des adultes qui ont apprécié cette œuvre, d’après les retours après la projection, mais il reste à hauteur d’enfant. Pourquoi ce choix ?

J’ai souhaité faire un film tout public et à hauteur d’enfant, tout à fait. C’était un parti pris, dès le départ, car je ne voulais pas appliquer un regard d’adulte sur l’enfant. Je voulais vraiment me remettre à la hauteur de ce dernier et capter, comprendre ses impressions, ses sensations. Il y a plusieurs enfants, à commencer par la voisine Hélène, les frères de cette famille. Les enfants sont les personnages au centre de ce premier long-métrage, puis il y a tous ces adultes autour, plus ou moins dysfonctionnants. C’est un drôle de monde et comme il est vu à hauteur d’enfants, les adultes peuvent paraître un peu étranges, méchants ou incompréhensibles. C’était très important pour moi de filmer ce contraste entre le monde d’adultes et celui des enfants.

Lorsqu’on est enfant, on voit le monde dans une dimension plus grande. Comment traduire ces ressentis-là à l’image ?

Ça se travaille dès l’écriture. Il s’agit d’essayer de reconquérir toutes ces impressions et se souvenir des nôtres aussi, pour se mettre à la bonne hauteur. Ça se travaille ensuite à la mise en scène, c’est-à-dire qu’on veille à ne jamais être en surplomb. Je voulais par exemple des mouvements de caméra très doux, des plans fixes pendant longtemps, humbles. Je l’ai fait aussi dans le choix de tourner en pellicule plutôt qu’en numérique, car cela permet quelque chose de plus doux dans les contours, de moins défini et de moins cru. C’est par tous ces moyens-là qu’on arrive à restituer quelque chose de l’enfance, dans un film tout public.

La pellicule utilisée est du 16 mm, on n’en trouve plus beaucoup, mais il en existe deux en location à Paris. Nous en avons eu une, puis nous avons acheté la pellicule. En numérique, pour un sujet déjà dur, j’avais l’impression qu’il y aurait eu quelque chose de cru, en termes de cinématographie de l’image si l’on y ajoute trop de précisions. Je trouve qu’on serait tombé dans l’obscénité, alors que la pellicule et son grain si particulier amenait quelque chose de plus flou.

Le plus compliqué, en filmant de la sorte, est la post-production et la numérisation. Cela a un certain coût non-négligeable, mais il est encore possible de tourner en pellicule et c’était mon plus grand souhait, pour mon premier long-métrage.

On voit à l’écran que vous avez fait ce film avec beaucoup de cœur, que ce soit à l’écriture ou sur les aspects techniques, en passant par la direction. Pourtant, créer un film est un processus qui se fait souvent dans la douleur. Comment avez-vous vécu toutes ces phases-là ?

C’était très difficile, émotionnellement, en effet. Il y a quelque chose dans le processus créatif d’un film qui commence dans une grande solitude. Cela peut être douloureux, avec beaucoup de doutes. Puis d’un seul coup, cela devient collectif, avec une équipe qu’il faut convaincre et amener avec nous. Tout cela peut sembler vertigineux, mais c’est aussi plein d’excitation. J’avais un désir très fort de raconter cette histoire. C’est un projet que je porte depuis très longtemps. Ma peur était surtout que le désir s’estompe. Mais il a toujours été là et je voulais absolument parler de cet orphelin, Astrakan, et de cette famille.

Le film est le fruit d’un réel investissement personnel. Il peut être parfois dur, dans l’histoire en elle-même, donc il y a eu quelque chose de douloureux dans la fabrication aussi, avec l’engagement que cela demande. Mais tout cela s’est fait avec le cœur, comme vous l’avez bien dit, parce que je souhaitais aussi ne pas être que dans la dureté. Pour moi, il a absolument fallu qu’il y ait une forme de lumière, voire de grâce, à filmer ces enfants et à les célébrer. C’était très important pour moi.

David Depesseville en débat après la projection de son film Astrakan, en compétition officielle du FIFM 2022 / Ph. FIFMDavid Depesseville en débat après la projection de son film Astrakan, en compétition officielle du FIFM 2022 / Ph. FIFM

Puisque les enfants sont au centre de votre film, comment s’est opéré le travail d’accompagnement avec eux pour le tournage ?

Le point de départ était de trouver un jeune garçon de 12-13 ans. Pour que la recherche ne soit pas infinie, j’ai tout de suite axé sur un profil de gymnaste. Nous avons donc commencé à chercher les enfants au sein des clubs de gym de la région dans laquelle on tourne, puis on a élargi pour avoir le choix. J’ai rencontré Mirko, qui interprète Samuel, qui avait déjà fait de la gym dans les Alpes.

J’ai séjourné chez lui. Le matin, on lisait le scénario et on en discutait. L’après-midi, je le filmais dans sa vie quotidienne, lorsqu’il faisait du vélo. On faisait de l’escalade et des activités extérieures qui nous permettaient de s’appréhender. Je voyais ainsi comment il vivait, et cela a été d’un grand apport dans la relation de confiance qui a grandement facilité le travail de tournage dans le cadre du film. C’est plus intuitif, avec les enfants. Mirko était très présent, il proposait beaucoup de choses qui étaient souvent très justes et l’équipe du film en était joyeusement surprise.

Je ne voulais pas appliquer quelque chose qui ne lui ressemblait pas. Le temps que nous avons partagé avant de commencer à travailler sur le tournage m’a permis de pouvoir partir de lui, de ce qu’il savait faire, et c’est ce que je voulais capter.

David Depesseville en débat après la projection de son film Astrakan, en compétition officielle du FIFM 2022 / Ph. FIFMDavid Depesseville en débat après la projection de son film Astrakan, en compétition officielle du FIFM 2022 / Ph. FIFM

Vous avez une approche de préparation qui tient beaucoup de celle du documentaire. Dans votre traitement de la thématique de l’enfance, on retrouve aussi cette dimension, bien que le film reste une fiction. Ces deux genres sont-ils complémentaires, selon vous ?

Complètement. Je prends du documentaire ce que son approche me permet et me sert, artistiquement, et je fais pareil avec l’imagination, afin de créer une fiction au plus près de ce que j’aimerais réellement raconter, surtout pour un film où l’on vit les événements à hauteur d’enfant. Dans le travail qui a été fait avec Mirko, le but était exactement, comme pour un documentaire, de passer du temps ensemble, de s’apprivoiser, de se connaître, puis ramener doucement la caméra au milieu de ce décor, sans pour autant tomber dans le voyeurisme.

Tourner aussi dans le Morvan, au milieu d’un paysage qui n’a pas changé depuis des années, donnant un aspect figé et hors de temps, était très important pour moi. Il y a quelque chose du documentaire dans cela. J’aime beaucoup tourner dans les vrais lieux, où il n’y aura pas de reconstitution. Par exemple, la scène du cimetière à la sortie de l’église, dans ce film, montre un passage devant des tombes existantes. Ce sont de vraies tombes d’enfants orphelins issus de la région et sur lesquelles il est écrit «anonyme», «illisible», ou «inconnu». C’est un lieu où ont été réellement recueillis des enfants sans parents. Pour moi, cela va imprégner la fiction et se diffuser dedans.

Astrakan, un film de David Depesseville, en compétition officielle du FIFM 2022 / Ph. FIFMAstrakan, un film de David Depesseville, en compétition officielle du FIFM 2022 / Ph. FIFM

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour le choix de l’histoire ?

Le film n’est pas autobiographique. Mais lorsqu’on fait un film sur l’enfance, on est obligé d’aller récupérer nos propres ressentis, souvenirs et impressions. Il y a dans cela quelque chose de très personnel. Ce qui m’a tenu à cœur pour mettre en avant l’histoire d’un orphelin, c’est de célébrer sa capacité à se relever, sa capacité de résilience. Il y a quelque chose qui m’émeut beaucoup dans les parcours de ces enfants qui sont obligés de devenirs adultes avant l’heure, du jour au lendemain, afin de se débrouiller tout seuls. Ça m’a toujours bouleversé. La figure de l’orphelin, au cinéma ou dans la littérature, a pour moi une puissance très forte, mélodramatique, qui me touche directement et profondément.

Je suis ravi de pouvoir retravailler cette figure-là et d’en faire un tableau très personnel. Aussi, j’ai beaucoup lu sur ces enfants seuls qui ont été accueillis dans le Morvan, avec de nombreux témoignages bouleversants, qui parlent soit d’abus sexuels, de maltraitance, de manière très fréquente. Je ne voulais pas éluder ces vécus. Je pense que le cinéma a moyen d’en parler, sans en faire un cliché misérabiliste et victimaire. Il s’agit d’amener le film à ce drôle d’endroit, qui peut à la fois émouvoir, être doux dans la dureté et célébrer la lumière dans l’obscurité.

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