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Interview  

FIFM 2022 : Du Canada à la Corée, Anthony Shim raconte le vécu des enfants des mères seules

La plus longue ovation après une projection au 19e Festival international du film de Marrakech (du 11 au 19 novembre 2022) est allée au réalisateur canadien Anthony Shim. Natif de Corée du Sud et installé en Amérique du Nord depuis son enfance, il s’est inspiré de son propre vécu pour raconter celui des mères seules et des enfants d’immigrés, dans «Riceboy Sleeps», son premier long-métrage en compétition officielle de ce FIFM. Les festivaliers et les professionnels en ont été conquis.

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Le jeune acteur Ethan Hwang et le réalisateur Anthony Shim (g. à d.), en débat après la projection de Riceboy Sleeps au FIFM 2022 / Ph. FIFM
Temps de lecture: 5'

Votre premier long-métrage met en image plusieurs sujets complexes, entre l’immigration, l’enfance, les blessures familiales, mais sans superflu. Comment avez-vous construit cette harmonie ?

J’ai voulu faire un film qui représente et montre mon expérience d’enfant d’immigrée au Canada. Dans tous les films que j’ai regardés, petit, je n’ai pas senti que les histoires dépeignaient visuellement, avec acuité et avec un certain sens du détail, comment je vivais cette situation. Je voulais faire un film sur ce qu’était de grandir en migration, pour un enfant de ma génération. J’ai porté une grande attention à ma manière de dire et d’imager les choses, car il ne s’agit pas de parler de la migration vers l’Amérique du Nord, dans un sens large.

Au-delà, je veux explorer les traumatismes intergénérationnels à travers le vécu de cette jeune maman et de son enfant en bas âge, qui partiront tous deux au Canada. Je voulais montrer comment le fait de migrer devient parfois une façon de fuir les douleurs du passé. Ce film est sur l’impact de cet éloignement qui est motivé par la recherche de panser ses blessures, mais il montre aussi qu’il arrivera un moment où il faudra confronter son passé pour se sentir en paix, là où on est, et enlever le poids invisible que l’on porte sur ses épaules, à force de vivre des coupures, voire des cassures, avec qui on est vraiment.

Votre film raconte l’histoire d’un enfant élevé par une mère seule, une situation connue dans de nombreux pays, y compris au Canada et au Maroc. Vous avez été cet enfant-là. Comment s’est fait le travail sur cette thématique ?

Il y a une part de dramatisation artistique dans ce film. Je viens du théâtre, j’ai été metteur en scène et acteur, avant de faire mon long-métrage. En réalité, mon père n’est pas décédé aussi tôt, mais pour le script, j’ai un peu modifié les faits réels. Toujours est-il que j’étais très jeune quand il est mort. Les parents définissent en grande partie les rôles sociaux et l’identité, dans la vie future de leurs enfants. Beaucoup de ma génération – et je pense que ce n’est pas le cas uniquement en Corée – ont connu cette notion du père absent. On développe une forme de confusion à l’égard de la figure paternelle comme repère dans la construction émotionnelle, lorsqu’on est petit.

Dans beaucoup de nos sociétés, les pères sont souvent dehors, occupés toute la journée à travailler ou à faire des activités extérieures. Les années passent et leurs fils deviennent de jeunes garçons qui n’ont jamais vu de près ce qu’ont fait leurs géniteurs. Ils ne voient que l’homme qui rentre chez lui le soir, souvent fatigué, avec qui on partage éventuellement le dîner, avant de faire les devoirs et aller dormir, puis les jours sont les mêmes jusqu’à 10, 15, 20 ans. Dans mon cas, mon père a toujours été un mystère pour moi. Je ne l’ai jamais réellement ni compris, ni connu de près, et le peu que j’ai vu de lui ne me satisfaisait pas. Nous avions une relation difficile. Il ne montrait pas beaucoup de sentiments, d’affection, et j’étais toujours en quête de sa validation. De ce fait, la grande partie de ma conception sur ce qu’est un homme ou un père venait de la perception de ma mère.

Pourtant, mon père était fier de moi, mais il ne savait pas comment le montrer d’une façon que je pourrais comprendre et percevoir, jusqu’à ce que je devienne moi-même adulte. C’est en devenant un jeune homme que j’ai commencé à comprendre des choses sur lui. Puis j’ai voyagé en Corée du Sud et c’était comme une manière pour moi de refaire les mêmes pas que lui, dans les rues et les endroits où il passait du temps, afin de reconstituer sa vie comme je ne la voyais pas en tant que son fils, de savoir beaucoup de choses sur lui, connaître ses anciens amis.

Anthony Shim / Ph. FIFMAnthony Shim / Ph. FIFM

Me refaire une image tridimensionnelle de mon père, grâce à ce périple, m’a permis de le découvrir autrement et de l’aimer réellement. J’ai réalisé que j’avais beaucoup de choses en commun avec lui. C’est toute cette expérience que je porte à l’écran et que j’explore dans ce film.

Il y a justement une ellipse de dix ans, dans votre film. On voit le personnage principal enfant, avec un jeu d’acteur époustouflant, puis adolescent (Dohyun Noel Hwang et Ethan Hwang). Comment avez-vous travaillé la direction avec des personnages incarnés par des comédiens en herbe ?

Je ne pense pas qu’il existe une façon normée de préparer des enfants au jeu d’acteur devant la caméra. Leur bas âge fait que chacun est très différent de l’autre, contrairement aux adultes qui connaissent les codes d’un plateau de tournage ou qui ont été formés pour cela, et qui en sont parfois bridés. Dohyun Noel Hwang, l’enfant qui a incarné les premières années de vie du personnage principal, a été d’un naturel déconcertant, très professionnel mais de manière instinctive. C’est un petit garçon très doué. Il savait exactement, pour les besoins de son rôle, quand il pouvait se lâcher pleinement et quand il devait avoir des postures plus réservées. Il a vraiment compris le personnage – je ne dirais pas qu’il l’a compris, en fait c’était lui, et il s’amusait pleinement en jouant devant la caméra.

Les autres acteurs et moi avons tissé une très belle relation avec lui, dès les premières répétitions, ce qui a grandement contribué à créer un lien très familial avec lui, dans le cadre du film. Il y a eu beaucoup de bienveillance de toute part. Nous étions attentionnés à son égard, à son bien-être, en nous assurant qu’il connaissait bien ses répliques, qu’il mangeait sainement, qu’il dormait suffisamment, qu’il était épanoui et à l’aise. Nous lui faisions sentir que nous l’encouragions réellement à être lui-même, puis notre travail derrière la caméra était de capter ces moments-là. Je ne lui imposais pas des choses, mais je le guidais là où il pouvait être meilleur, à sa façon. Je pense que c’est l’approche idéale pour travailler avec des enfants.

Projection-débat de Riceboy Sleeps, un film d'Anthony Shim / Ph. FIFMProjection-débat de Riceboy Sleeps, un film d'Anthony Shim / Ph. FIFM

Il nous a fallu du temps pour dénicher le profil adéquat à ce rôle. A travers le casting, nous n’avons pas réussi à trouver au Canada un enfant coréen de cet âge et correspondant au personnage. J’ai donc simplement fait une annonce publique dans les journaux édités en Corée du Sud, en indiquant que nous cherchions un enfant de telle tranche d’âge, parlant anglais, pour les besoins d’un film, et qu’aucune expérience antérieure n’était requise. Nous avons eu des retours de parents, nous avons passé les audiences surtout en appels vidéo. Dès que cet enfant a ouvert la caméra, j’ai tout de suite su que ce serait lui.

La sortie mondiale est toute récente et votre film a déjà raflé une douzaine de prix, dont deux au moins ont été décernés par le public. En compétition du FIFM, il a été très applaudi par la salle. Comment avez-vous accueilli la perception du public marocain, vis-à-vis d’un film venu du Canada, mais qui raconte un vécu qui nous parle beaucoup ici ?

C’est pour la toute première fois que je viens au Maroc. Je présente mon tout premier long-métrage, pour la première fois aussi au public marocain, au FIFM où je suis là pour la première fois également : c’est un beau baptême du feu. Lorsqu’on entend qu’un autre pays fait face à des problématiques sociétales qui se ressemblent, à un certain degré, avec nos vécus, je pense que cela ajoute encore plus à nos questionnements de réalisateur, sur comment est-ce que le public de ce pays-là va accueillir un film qui parle d’une thématique qui lui est familière. Les spectateurs peuvent plutôt avoir une réaction de rejet, car ils verront à l’écran quelque chose qu’ils savent déjà et qui peut leur sembler marronnier. J’avais beaucoup d’appréhensions par rapport à cela. Je me demandais est-ce que les gens percevraient positivement mon film ici, dans un pays où il me semble que de jeunes filles et de jeunes garçons ont vécu comme moi cette situation du père absent.

A la fin du film, j’étais très touché par l’accueil chaleureux du public et les longs applaudissements dans la salle, où il y avait beaucoup d’émotions. Je n’ai eu que des retours positifs et cela m’a conforté dans ma démarche cinématographique. Ceci m’encourage à chercher à le distribuer dans les salles de cinéma au Maroc afin de permettre à un plus large public ici de le regarder, si nous trouvons le partenaire adéquat. En tant que réalisateur, je fais des films au Canada, mais je ne veux pas me restreindre à cette niche de spectateurs.

Riceboy Sleeps, un film d'Anthony ShimRiceboy Sleeps, un film d'Anthony Shim

Je veux pouvoir raconter des histoires spécifiques, personnelles et partant d’expériences humaines, mais je veux le faire d’une manière qui permette d’unir les gens de partout. C’est ma vision du cinéma et de toute autre forme d’expression artistique. Pour moi, les meilleures créations sont celles qui nous connectent, tous différents socialement et culturellement, par le langage des émotions. Après la projection au FIFM, beaucoup de spectateurs m’ont exprimé leur ressenti commun par rapport à telle ou telle situation vue dans le film et vécue avec un proche. C’est la meilleure récompense pour un réalisateur.

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