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Grand Angle

Maroc : La faune plus que jamais menacée d’extinction, dans des écosystèmes changeants

Dans un contexte où l’Afrique a globalement connu l’extinction de 70% de sa faune diversifiée, de 1970 à aujourd’hui, le Maroc n’est pas en reste. La tendance continentale s’illustre bien dans le pays, où les spécialistes insistent sur l’importance de réintroduire ces espèces. Plus que cela, la lutte contre le braconnage et conte la destruction du milieu naturel s’impose.

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Un faon dans une forêt incendiée / Ph. Ugo Amez
Temps de lecture: 6'

Le Maroc recèle une richesse faunistique et floristique hors du commun, grâce à son contexte géographique, qui le place au hotspot de l’écorégion de la Méditerranée. Pour sa biodiversité, il est considéré par les Nations unies et par le Fond mondial pour la nature (WWF) comme le deuxième, après la Turquie, en termes de diversité d’espèces et de taux d’endémisme, avec des variétés remarquables qui ne se retrouvent pratiquement nulle part ailleurs. C’est notamment le cas de l’arganier, du sapin du Maroc, du singe magot ou du magot de Barbarie, en plus de nombreux reptiles, amphibiens et insectivores, explique à Yabiladi Imad Cherkaoui, enseignant-chercheur en écologie à l’Université Ibn Tofaïl de Kénitra.

Cependant, cette zone exceptionnellement riche de sa biodiversité, avec des écosystèmes dont l’équilibre reste fragile, se confronte aux mêmes défis que ceux des autres régions du continent africain. Dans un rapport publié la semaine dernière, WWF alerte en effet que près de 70% de la faune d’Afrique a disparu depuis 1970. Les raisons sont multiples, à commencer par la destruction des habitats naturels, le braconnage et le réchauffement climatique, qui sont les trois facteurs principaux de menace de la biodiversité dans le continent. Selon WWF, la perdition des espèces sauvages dans leur milieu naturel a atteint 66%, entre 1970 et 2018.

Des espèces aquatiques et terrestres ont déjà disparu

Dans ce contexte, Imad Cherkaoui rappelle que le Maroc «jouit d’une position qui est un carrefour entre deux blocs de continents, l’Afrique et l’Europe, axe de migration de 200 espèces d’oiseaux qui transitent par le pays, où elles se nichent pendant certaines saisons». C’est aussi un habitat temporaire pendant la migration prénuptiale d’autres espèces, d’où l’importance de doubler de vigilance et de conscience sur la protection de ces lieux. Pour cela, «le gouvernement a créé un réseau de réserves protégées, des dizaines de parcs nationaux, des sites classés Ramsar, des zones humides restaurées et quatre réserves de biosphère pour le cèdre, l’arganier, les oasis et une réserve intercontinentale, entre le pays des Jbalas et l’Andalousie, qui est la seule dans le monde à se trouver entre deux continents», rappelle-t-il.

En revanche, cette biodiversité est menacée. Imad Cherkaoui rappelle que «le Maroc traverse son cycle de sécheresse le plus sévère de ces quarante dernières années», faisant que «beaucoup de ces écosystèmes en souffrent». «De nombreuses espèces de la faune inféodée aux zones aquatiques en sont très impactées, comme la loutre, des poissons endémiques comme la truite fario, le barbot, des oiseaux d’eau qui s’installent, se nourrissent et se reproduisent dans les zones humides», alerte-t-il. Jusqu’à maintenant, «le Maroc n’a pas encore émis sa propre liste rouge, sur la base des recommandations de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) pour définir exactement l’état de conservation de chaque espèce à part», souligne encore le spécialiste, soulevant le défi d’inventaire qui doit «concerner toutes les classes d’animaux, terrestres et aquatiques, pour aider à prioriser les efforts de conservation».

Au niveau de la Société protectrice des animaux et de la nature au Maroc (SPANA), ce travail est fait de manière à couvrir les zones écosystémiques du pays autant que possible. Son secrétaire général, Abdeslam Bouchefra, indique à Yabiladi que sur 25 000 espèces recensées, on peut savoir que 15 000 font partie de la famille des insectes. Concernant la grande faune, plus connue du large public, il existe «200 espèces, dont 92 reptiles, 11 amphibiens et 105 mammifères». «Sur l’ensemble de la faune, 2 700 espèces sont endémiques, avec une répartition sur trois grands écosystèmes qui abritent 75% de la faune marocaine : les steppes, les forêts et les zones humides», ajoute-t-il.

Il rappelle aussi que «le Maroc est un carrefour de la faune et surtout de la grande faune, dont 112 espèces font partie de celles des zones froides d’Europe et d’Asie». Il existe également «145 espèces méditerranéennes, 85 sahariennes, d’autres tropicales et d’autres cosmopolites». «C’est le résultat entre l’interactions d’événements biotiques, tectoniques et climatiques, comme nous savons que l’Afrique et l’Europe ont été un seul continent, dans une autre époque. Beaucoup d’espèces sauvages se retrouvent donc dans le pays et donnent cet aspect de biodiversité riche», explique-t-il.

La grande faune est justement parmi les espèces les plus touchées, dont beaucoup «ont complètement disparu du Maroc, entre 1925 et 1956» et certaines sont réintroduites. Abdeslam Bouchefra énumère plusieurs exemples : «On peut évoquer le lion de l’Atlas, la gazelle leptocère, l’autruche à queue rouge et des variétés réintroduites récemment dans la région d’Agadir, en plus de la pintade, du crocodile du Nil. Parmi les mammifères, des espèces sont vulnérables et menacées de disparition comme les hyènes, le guépard, la gazelle dama mhorr et le phoque moine. D’autres espèces sont devenues rares, comme le fennec, la gazelle de cuvier, le mouflon à manchette, la loutre, la mangouste, le chat ganté, la belette…».

Malgré leur abondance, il y a encore quelques années, d’autres espèces restent menacées, comme le sanglier et le singe magot, souligne l’ancien ingénieur forestier. Parmi les poissons, il rappelle que des espèces disparues ont disparu également de leur milieu naturel comme la grande alose ou la truite, qui n’existent désormais que dans le cadre de l’élevage.

Des disparitions dues principalement au facteur humain

«Au Maroc, nombre d’espèces ont disparu à cause du facteur humain», analyse Imad Cherkaoui, qui cite pour sa part l’aigle ravisseur, l’outarde arabe, ou encore l’antilope bubale. Le pays s’efforce de protéger les espèces menacées, en vertu d’un programme mis en place surtout pour préserver les espèces sahelo-sahariennes, en plus d’un projet de réhabilitation de rapaces et de singes magots. Dans ce sens, le chercheur souligne que beaucoup d’espèces du patrimoine écosystémique marocain figurent sur la liste rouge mondiale des espèces en voie de disparition ou menacées, y compris plusieurs variétés de vautours.

Imad Cherkaoui explique la phase d’extinction enregistrée sous le Protectorat (1912 – 1956) par le manque d’intérêt pour l’équilibre écosystémique, à ce moment-là, ainsi que les pratiques répandues de chasse. «Après l’Indépendance, une deuxième période d’extinction a accompagné la grande extension des zones agricoles et l’installation de grands systèmes hydro-agricoles, précipitant la destruction de plusieurs espaces naturels, des forêts, mais surtout des zones humides», souligne-t-il.

«Par ailleurs, il y a eu une prise de conscience de l’importance de la protection de ces espèces, donnant lieu à la création d’aires protégées qui ont permis la sauvegarde. En revanche, la chasse clandestine et la destruction des habitats naturels ou leur modification détruisent encore la faune locale, sans parler d’élimination systématiques d’espèces considérées comme nuisibles, notamment par l’empoisonnement», analyse le chercheur.

Abdeslam Bouchefra souligne que l’autre élément inquiétant est le rythme d’extinction de ces espèces au Maroc. «Avant, on comptait 50 jusqu’à 100 ans pour la disparition, à cause des évolutions et des changements que subissent les écosystèmes», nous déclare-t-il, expliquant ainsi que «les changements se faisaient sur un temps long, ce qui permettait aux espèces d’avoir un temps d’adaptation pour continuer à vivre dans le même milieu, ou pour se déplacer dans un autre». «Au vu du rythme devenu brutal de ces changements, actuellement, beaucoup n’arrivent ni à s’acclimater ni à se déplacer, ce qui les condamne à disparaître», analyse le spécialiste.

En plus des facteurs naturels, comme l’irrégularité climatique et la sécheresse, les facteurs de disparition «restent surtout des causes anthropiques, c’est-à-dire liées à l’action de l’Homme», confirme également le secrétaire général de la SPANA. «Ces animaux vivent dans des milieux naturels, qui sont envahis, occupés et de plus en plus exploités par les riverains. Cette pression qui s’exerce sur le milieu naturel fait que ce dernier ne peut plus assurer sa fonction et se régénérer pour s’assurer un certain équilibre. Les occupants parmi ces espèces-là ne trouvent donc plus ni leur logement ni leur nourriture», analyse-t-il. Selon lui, la situation est préoccupante, d’autant que l’humain «cherche à investir les sources de ces écosystèmes», comme le cas est pour l’eau.

Selon le militant, «ces causes s’aggravent avec les dérèglements climatiques que nous constatons à travers le monde, bouleversant les milieux naturels, en plus des dérangements, ainsi que les problèmes liés à la non mise en œuvre de certaines lois». Imad Cherkaoui insiste notamment sur le facteur de sécheresse, qui augmente aussi les risques de feux de forêts et donc le danger de destruction des habitats difficiles à restaurer. Bien que le chercheur estime que «la plupart des feux, dans notre contexte, seraient provoquées par un facteur humain et façon volontaire», il note que le phénomène est «exacerbé par le stress hydrique et les températures anormalement excessives par rapport aux saisons, ainsi que les vagues de chaleur répétées».

Ces facteurs montrent les nombreuses contraintes écosystémiques et environnementales qui pèsent sur la diversité de la faune, «en plus de toutes les menaces d’origine humaine, directes ou indirectes», selon Imad Cherkaoui. Dans ce sens, le scientifique souligne que «beaucoup de sites ont été détruits pour laisser place à des activités humaines, l’urbanisation, en plus de la pollution, du braconnage, de la chasse et de la capture illégale des animaux, observée par nombre d’associations de la société civile».

Pour sa part, WWF a recommandé en Afrique d’intensifier les efforts de conservation et de restauration, à une production et une consommation alimentaires plus durables et à une décarbonation rapide de tous les secteurs économiques.

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