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Grand Angle

Diaspo #257 : Rayane Bensaghir, un écrivain à contre-courant des «talents gâchés»

De parents marocains installés à Bruxelles, Rayane Bensaghir a grandi avec une passion pour le football, qui le mène à faire ses premiers pas dans le milieu professionnel, avant de tracer une toute autre trajectoire de vie. Auteur d’un premier roman qui a connu un franc succès depuis juin, il propose de célébrer les histoires de réussite issues des quartiers, comme un pied de nez à la conception condescendante du «talent gâché».

Publié
Rayane Bensaghir
Temps de lecture: 5'

«– Connais-tu une personne que l’on qualifie de talent gâché ? – J’en connais. – Ceux qui en sont flattés sont de la pire espèce ! Ils sont heureux d’avoir presque été. Or, ils présentaient toutes les prédispositions à Être (...) Eux, les gens de talent, possèdent un tout-terrain et un GPS. À mi-chemin pourtant, ils balancent ce dernier. Pourquoi ? Parce que nul n’a à leur dicter le chemin. Ils savent mieux (...) Trop talentueux pour avoir à cravacher. Alors ils abandonnent et toujours ils trouvent un moyen de légitimer leur échec.»

Auteur du roman «Le fou allié du Diable», le jeune écrivain belgo-marocain Rayane Bensaghir nous confie s’en être pris à celui qu’il a été, en dénonçant la condescendance d’une certaine sympathie de l’entourage, qui couvre d’éloge le «talent gâché» au lieu de le pousser à tout faire pour y arriver. Dans cet extrait du livre, l’auteur s’en saisit à bras le corps, en relatant l’histoire et les vies multiples de Gafora, le personnage principal. Mal aimé, ce dernier refait le film de sa vie chaotique au fond d’une cellule de prison. Il se questionne sur sa part de responsabilité et celle des autres dans ce qui est advenu de lui.

Une enfance en décalage avec l’école

Né à Saint-Josse (Bruxelles) d’une famille ouvrière originaire de Tanger et de Berkane, Rayane Bensaghir n’a pas eu un parcours de vie tout tracé. Pour autant, il n’est pas tombé dans la délinquance. Il se rappelle que ses parents ont travaillé dur pour lui assurer l’accès à un enseignement de qualité. Avant de prendre la nouvelle trajectoire de vie qui l’a amené à l’écriture, l’auteur raconte à Yabiladi avoir pris conscience des sacrifices de son père et de sa mère, après une période de jeunesse chaotique.

Prédestiné au football dès cinq ans, Rayane est inscrit en club par son père, afin de lui éviter de «trainer dans les quartiers». Il fait sa formation en évoluant avec Michy Batshuayi, actuellement joueur en sélection belge. A l’âge de 17 ans, les portes du domaine professionnel s’ouvrent à lui. Après une évolution en deuxième division, il se souvient pourtant avoir mis fin à sa nouvelle carrière, «sur un coup de tête». A ce moment-là, Rayane a déjà arrêté ses études, puis a pu passer son baccalauréat. Dans les discothèques à Bruxelles, il sert et prépare des chichas, travaille le soir et dort le jour, rencontre ses anciens coéquipiers et se plaît à les voir évoquer ses talents de footballeur qui n’a pas poursuivi sa carrière.

«L’âge et la maturité me font dire que j’ai été égoïste en faisant parler ma fierté, alors que mes talents auraient pu me permettre d’aider ma famille et de transformer sa vie en la rendant plus agréable», déclare-t-il à Yabiladi. Enfant, Rayane peine à se trouver une place à l’école, où il redouble à deux ou trois reprises. «C’était pour moi un passage extrêmement compliqué», reconnaît-il. Issu d’un milieu modeste, il arrive à être intégré par sa mère au collège Saint-Michel d’Etterbeek, établissement huppé de la capitale, où sont notamment passés des membres de la famille royale belge. Mais il réalise le grand écart entre lui et les autres élèves.

«Ma mère voulait absolument nous éviter de faire les écoles du quartier, qui sont parfois sous-financées. Elle a mis les mains et les pieds pour me faire entrer à Saint-Michel. Vu mes problèmes d’apprentissage, le souci à l’école n’a pas été d’essayer de me repêcher, mais de faire en sorte que je nuise le moins possible au confort des camarades de classe», se souvient-il. «Mes parents sacrifiaient le peu qu’ils avaient pour m’offrir aussi des cours particuliers, mais j’avais tellement le sentiment de ne pas être fait pour cela que je refusais d’apprendre. J’ai quitté donc l’école pour me consacrer entièrement au football, que j’ai fini par abandonner au bout d’une saison professionnelle également, pour me tourner vers le travail dans les bars et les boîtes de Bruxelles», nous confie encore l’écrivain.

A ce stade, Rayane se rappelle ne pas avoir forcément mal vécu ce changement. «C’était pour moi la première fois que je gagnais réellement ma vie et c’était mon lot de consolation. Le temps m’a permis d’avoir un regard différent sur cette période, mais durant trois ans, ma vie a basculé vers un cycle infernal», nous dit-il encore. Dans cette spirale, le jeune homme est happé par «le sentiment d’exister, de compter», d’autant qu’il s’est fait connaître à Bruxelles pour son passage dans le football.

Une prise de conscience au contact avec la mort

Mais Rayane Bensaghir prend conscience rapidement de l’urgence de se ressaisir, après le décès de son grand-père dont il a toujours été proche. «Je vivais chaque jour comme si c’était le dernier, puis ce décès a été le premier très marquant que j’ai vécu. Mon grand-père me charriait, me taquinait, me chouchoutait aussi, je perdais pour la première fois une personne qui comptait énormément pour moi», se souvient-il.

Jusque-là, la condition sociale des parents n’a pas permis à la petite famille de se rendre au Maroc à chaque été, contrairement à d’autres MRE. «J’y étais seulement deux fois avec mon père et en dehors de cela, on ne partait pas en vacances. Je connais donc très peu le pays et j’y suis retourné, pour la première fois, en étant jeune adulte pour enterrer mon grand-père à Berkane», nous confie l’écrivain.

L’atmosphère de ce voyage, la première rencontre avec les sœurs et les frères du grand-père et la levée du cercueil ont été des moments qui l’ont profondément marqué. En mettant en terre son grand-père, Rayane se souvient avoir été pris d’une peur pour son patriarche, sa nouvelle vie. «Je me suis dit que si j’avais peur pour lui, qu’est-ce qu’il en serait de ma propre personne. En revenant à Bruxelles, j’ai arrêté mon rythme de vie infernale. La rupture a été très nette, ce qui aurait pu être dangereux aussi, mais j’ai eu tout de suite l’idée de reprendre mes études universitaires», nous dit-il, rattrapé par l’esprit combatif qu’il a gardé du football.

«Une des choses que le football m’a permis de garder est que lorsque j’ai un objectif en tête, je suis capable de fournir tous les efforts nécessaires pour y arriver», nous déclare-t-il. Rayane Bensaghir est tellement motivé que même en travaillant à plein temps dans un centre de sport, il consacre toutes les heures nécessaires à ses études en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles. «C’est ce qui m’a aidé à réussir jusqu’à mon bachelor et maintenant, je suis en dernière année de master orienté vers les relations internationales», nous déclare-t-il fièrement.

C’est en se retournant vers les études que Rayane Bensaghir pense aussi à écrire son premier roman, pour s’emparer de sa vie antérieure et des errements de jeunesse observés également dans le quartier. En visionnant une ancienne interview de Thierry Ardisson invitant Rachid Djaïdani au sujet de son premier ouvrage, le jeune auteur est encore plus décidé à se mettre à l’écriture. «Djaïdani était issu de la même culture que moi, a connu aussi la vie des quartiers, je me suis dit que s’il a pu faire un livre, pourquoi je n’essayerai pas moi aussi», nous raconte-t-il.

«Quel que soit le but de chacun d’entre nous, l’important est de se fixer un objectif et de tout faire dans le combat avec soi-même pour y arriver», insiste l’écrivain. Dans ce sens, il estime important de montrer un autre visage de la culture des quartiers populaires. C’est ainsi qu’au sein du média Streety Magazine, lancé avec trois autres connaissances, il se consacre à mettre en lumière sa ville, Bruxelles, par le biais d’artistes, de sportifs et de talents qui, loin d’être gâchés, inspirent d’autres jeunes.

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