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Grand Angle  

Tunisie-Maroc : Une histoire parsemée de crises mais aussi de solidarité

Après une longue lune de miel, les relations tumultueuses entre le Maroc et la Tunisie song de retour. La première confrontation diplomatique remonte à 1960, au sujet de la Mauritanie. Une page que le Maroc a oubliée, insistant plutôt sur la solidarité avec Tunis, que cela soit sous le règne de Hassan II ou Mohammed VI.

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Habib Bourguiba et Hassan II / Archive - DR
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L’accueil chaleureux réservé par le président tunisien Kaïs Saïed au chef du Polisario est sans précédent. Un acte qui a déclenché une crise diplomatique ouverte entre les deux pays maghrébins, marquée par le rappel pour consultations par Rabat de son ambassadeur à Tunis... et vice versa. 

Il faut remonter aux premières années de l’indépendance du royaume et de la Tunisie, en 1956, pour tomber sur une confrontation aussi directe. Au lendemain de la proclamation de la république islamique de la Mauritanie, en 1960, le président Habib Bourguiba a pris la décision de parrainer la candidature de Nouakchott à l’adhésion aux Nations unies.

Une initiative accueillie avec surprise et colère au royaume, marquant le début d’une période de fortes tensions entre les deux pays, classés alors dans le même camp occidental. La brouille a duré jusqu’à décembre 1964. Une visite du roi Hassan II à Tunis a scellé officiellement les retrouvailles. Cette page de l’histoire sombre dans les relations maroco-tunisiennes a été définitivement tournée avec la reconnaissance officielle par le Maroc de l’existence de l’Etat mauritanien en 1969.

Hassan II était disposé à défendre militairement la Tunisie face à Kadhafi

De cet épisode, le régime tunisien a tiré des leçons qui lui ont dictées, par la suite, sa «neutralité» sur la question du Sahara occidental. Avec le déclenchement de ce conflit, le président Bourguiba a tenté de jouer le médiateur entre Rabat et Alger. Certes, l’entreprise a échoué mais elle a permis à Bourguiba de garder son pays à équidistance des deux pays maghrébins en guerre.

Mais quatre ans après le début des hostilités au Sahara, la Tunisie allait connaitre une tentative de déstabilisation, financée par un autre pays voisin, la Libye de Kadhafi. Dans un remake des événements de Moulay Bouaaza, de 1973 au Maroc, un commando composé d’une centaine d’hommes armés avait pris, fin mars 1980, le contrôle de la ville de Gafsa (sud-ouest, située à 70 km de la frontière tuniso-algérienne).

Une semaine après l’attaque, l’armée fidèle au président Bourguiba a récupéré la ville. Cette tentative de changer le régime par la force, a été vigoureusement rejetée par Hassan II. «La Tunisie ne sera jamais déstabilisée parce qu’elle est d’abord un peuple, et on ne déstabilise pas un peuple. On peut déstabiliser un régime. On peut faire que ce pays marche en claudiquant ou en peinant pendant des années, mais au-delà à effacer le subconscient et le conscient tunisien, il faudrait une bombe atomique ou plusieurs bombes atomiques», avait-t-il affirmé dans des déclarations à une chaîne française.

Il a enchainé en adressant un message de solidarité avec le peuple tunisien : «La Tunisie a des amis, qui bien qu’étant loin ne se contenteraient pas de la défendre par la presse ou la radio. Militairement, le Maroc, au cas où la Tunisie était attaquée, est prêt et a déjà pris ses dispositions pour être aux côtés du peuple tunisien.»

D’autres marques de solidarité

Au fil des années, cet élan de solidarité du Maroc avec la Tunisie n’a pas faibli. En 2014, le pays du jasmin est frappé par une série d’attaques terroristes portant la signature d’AQMI et Daech, causant la fuite de nombreux touristes. La destination Tunisie est alors boudée par les grands tours opérateurs.

Le roi Mohammed VI, qui s’y trouvait alors en visite officielle, a décidé de répondre aux effets du terrorisme en prolongeant son séjour de quelques semaines supplémentaires. Ne se contenant pas de rester à l'abris dans son palais, il a volontairement sillonné les quartiers populaires et mangé dans les cafés traditionnels au milieu du peuple tunisien, pour montrer que la sécurité règne toujours en Tunisie. Une présence et un soutien salués par l’ancien président Moncef Marzouki.

Pour le Maroc, cette solidarité avec Tunis est une constante de sa politique régionale. Le 19 juillet 2016, trois semaines après l’attaque terroriste contre Sousse, l’ex-ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, se rendait en Tunisie «porteur d’un message de solidarité et d’amitié» de Mohammed VI au nouveau locataire du palais de Carthage, Béji Caïd Essebsi. A cette occasion, Mezouar avait réitéré l’invitation royale au président pour une visite au Maroc. Un déplacement qu’Essebsi a refusé d’effectuer alors qu'il avait visité l'Algérie en février 2015, soit deux mois après son investiture. Il est mort le 25 juillet 2019.

Avec l’arrivée au pouvoir de Kaïs Saïed, en octobre 2019, les relations ont commencé à se détériorer. Rabat répondait aux mauvais signaux en provenance de Tunis par le maintient de sa politique de main tendue. Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, s’est ainsi rendu en Tunisie, porteur de messages du roi au président Saïed, en juin 2020 et juillet 2021.

Outre ces échanges épistolaires, le Maroc a vite réagi à l’appel à l'aide internationale lancé par le gouvernement tunisien, pour faire face à la pandémie de la Covid-19. En juillet 2021, Mohammed VI a ordonné l’établissement d’un pont aérien entre les deux pays et l’installation d’un hôpital militaire de campagne, à environ 14 kilomètres de la capitale, épicentre de la vague épidémique. Après avoir ignoré, dans un premier temps, le geste royal, Kaïs Saïed a effectué une visite à l’hôpital marocain, remerciant Rabat pour cette marque de solidarité.

Pourtant, trois mois plus tard, le chef d’Etat allait rompre avec la politique de «neutralité» de ses prédécesseurs sur la question du Sahara. Le 29 octobre 2021, la Tunisie s’abstient de voter la résolution 2602 du Conseil de sécurité, jugée par Alger trop favorable à Rabat. En décembre de la même année, le gouvernement tunisien participe à une réunion, organisée par l’Algérie à Oran, destinée à orienter les pays africains membres de l’instance exécutive de l’ONU à mieux défendre les positions du Polisario. L’accueil du chef du Polisario au sommet de la TICAD s’inscrit dans cette ligne politique initiée, depuis octobre 2019, par Kaïs Saïed.

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